Le discours sur l’art travaille sur une portion mineure des pratiques créatrices réelles. L’élargissement démocratique des publics et l’installation par le tournant numérique de nouvelles formes, de nouveaux acteurs et modèles d’actions ont, depuis la fin des années soixante, transformé la définition de l’art dans son rapport à la vie. Elles ont contesté tout à la fois les conceptions élitistes du « grand art » et le monopole de certains arts récents sur la culture populaire. En amateurs, les utilisateurs des réseaux sociaux diffusent et détournent citations, tableaux, films, spectacles, extraits de vidéos ou musique à des fins d’interaction sociale ; ils produisent des objets et formes relationnelles (fanfictions, autofictions numériques, photographies par millions sur Flickr ou Instagram). Hors ligne, on trouve ateliers d’écriture à finalité de divertissement ou thérapeutique ; Home Movie Days, festivals musicaux ou expositions de quartier, clubs de lecteurs se développent hors des structures institutionnelles et sans les médiateurs traditionnels de la « démocratisation culturelle ». À la manière des Wikipédiens et des activistes du do-it-yourself en science participative, ces « amateurs » évaluent, discutent, jugent toutes les formes d’expression, produisant des débats critiques et une intelligence collective.
L’objectif de ce numéro
Que ce soit du côté de l’activisme amateur ou des pratiques individuelles traditionnelles, en sortant l’art d’une posture esthétisante et autotélique, fondée sur la figure de l’auteur, on assiste à l’entrée en scène d’une nouvelle « création ordinaire » laquelle déplace les frontières conceptuelles de l’art en nous interrogeant tantôt sur l’extension des concepts œuvre, création, artiste tantôt sur la pertinence de la délimitation des disciplines artistiques et des genres esthétiques. En perdant leur extraterritorialité, les créations ordinaires des amateurs abandonnent l’aura aristocratique de l’art et participent de l’espace commun, déplaçant nos catégories esthétiques.Ces phénomènes d’attention à la démocratisation de l’art ont été certes perçus et commentés par des sociologues s’inspirant notamment des travaux de Hoggart (1970) sur « la culture du pauvre », de Becker (1988) sur les mondes de l’art, et ce dans des directions variées (Hennion 2000 et Flichy, 2010 autour de la notion d’amateur ; Heinich (2012) et l’idée de visibilité ; Menger (2009) et le « travail créateur »), par des spécialistes des cultures en réseaux (Cardon, 2008 ou Beuscart 2014), par des observateurs de l’économie du numérique ou des cultures des médias s’efforçant d’établir la légitimité de ces domaines. On peut également évoquer les approches pragmatiques faisant de l’art un concept « ouvert » (Wittgenstein 1953, Danto 2015) et en suivant l’hypothèse, fondée dans « l’art comme expérience » de John Dewey, que l’on peut renouveler l’approche ontologique et esthétique de l’art (Laugier 2006) si l’on y voit une esthétique de la vie ordinaire (Formis 2010). Mais l’art amateur est désormais un fait social, autant que culturel, massif et diversifié qui impose des méthodes et des catégories de recherche inédites en évitant des positions souvent pré-catégorisées (« art populaire », « art de masse », « écritures mineures », « contre-culture », etc.), le terme « d’amateur » employé dans le titre du numéro méritant au demeurant une historicisation et un examen critique, ne serait-ce que parce que tout artiste a été, un jour, un amateur.
L’objectif ce numéro de la Nouvelle Revue d’Esthétique est donc d’étudier les phénomènes de démocratisation de la création à l’heure du numérique, du point de vue de l’expérimentation, de la production, comme de la réception, en s’intéressant à la figure de l’amateur, dans son histoire comme dans ses formulations contemporaines – il faudra au demeurant autant analyser les productions amateurs dans l’histoire de l’art et leur contribution à nos catégories esthétiques que les formes de réappropriation de l’autorité artistique.
Numéro coordonné par Alexandre Gefen
Modalités de soumission
Les propositions doivent comprendre :
- L’article (25000 signes espaces compris ; + ou – 20%)
- le nom de l’auteur ou des auteurs
- une présentation succincte de l’auteur ou des auteurs (100 mots maximum)
- un résumé de 300 mots maximum
Elles seront envoyées au format Word à chateaudominique@mac.com, Carole.TALON-HUGON@unice.fr et alexandre.gefen@cnrs.fr
Date limite d’envoi des propositions : 1erseptembre 2019.
Évaluation
Les propositions de contribution seront examinées et sélectionnées par le comité de rédaction de la NRE : Isabelle Rieusset-Lemarié ; Dominique Chateau ; Alexandre Gefen ; Carole Talon-Hugon ; Jean-Marie Schaeffer ; Marc Cerisuelo ; Bernard Vouilloux ; Jacques Morizot ; Bernard Sève ; Marianne Massin.
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