Appel à publication : « Un je-ne-sais-quoi de « poétique ». L’idée de poésie hors du champ littéraire », revue Fabula, n°20, 2016

Andreas Engesvik, Les Bois, 2013, sculpture en verre souffléUn spectacle « plein de poésie et d’humour », un tableau qualifié de « poème visuel », un film « tendre et poétique » ou même une « promenade poétique buissonnière » : le terme « poésie » et ses dérivés abondent aujourd’hui dans les usages même les plus triviaux. Que faire de ce « je-ne-sais-quoi » qui peut, selon les cas, servir à exalter une œuvre ou à en souligner l’hermétisme (« Mais ça ne veut rien dire ! C’est poétique ! ») ?

Si les références empruntées à d’autres arts pour qualifier la poésie sont aujourd’hui amplement étudiées, la réciproque est loin d’être vraie. Une réflexion sur les usages du terme « poétique » hors du champ littéraire reste à faire. Que signifie en effet un tel adjectif lorsqu’il s’applique aux domaines de la peinture, du cinéma, de la danse, aux mass media ou même à la publicité ? Ces usages s’expliqueraient-ils uniquement par l’extension du terme poiesis à l’ensemble de la création ou par la large acception que les romantiques ont conférée à la poésie ? Cet héritage historique suffit-il à rendre compte de l’extraordinaire essor du terme « poétique » hors du domaine littéraire ? Depuis qu’à la lumière du mythe rimbaldien, la poésie se fait « au besoin sans poèmes » selon la formule de Breton, le terme, en abordant d’autres territoires, semble avoir gagné en complexité.

De la « poésie de journalisme » de Cocteau aux nombreux blogs « poétiques et décalés », l’histoire de l’idée de poésie à travers ses usages linguistiques est encore à écrire. Cette réflexion s’inscrit à la fois dans le cadre des recherches sur l’histoire des idées de littérature et dans celui des études intermédiales. Le détour par les utilisations du terme « poétique » dans les arts et les médias permet en effet de penser l’histoire des idées de poésie. Ce numéro invite à des approches inductives et pragmatiques : il s’agira de partir non des théories fondatrices de la poésie, mais plutôt d’usages concrets pour mettre au jour les valeurs attribuées au « poétique ».

Si la référence à la poésie est en général un impensé dans le discours journalistique contemporain, pour les créateurs, la poésie peut être un modèle explicite et réfléchi. L’usage du terme mobilise alors différentes traditions critiques, différents imaginaires. Ce qui est dit « poétique », est-ce ce qui n’est pas narratif (dans la tradition issue de Mallarmé) ? Ce qui s’écarte d’une norme (dans la lignée formaliste et celle de Jakobson) ? Ce qui est tu ? Ce qui touche les sens et non l’intellect ? Ce qui est lyrique (dans la lignée romantique) ? Ce qui rend compte d’une expérience existentielle et en suscite une à son tour (comme chez Hölderlin) ? Ce qui est surprenant, mystérieux, onirique (à la suite des surréalistes) ? Ce qui change notre regard sur le monde et les objets (Cocteau) ? Ce qui est gratuit (Valéry, Sartre) ? Ce qui crée chez le spectateur l’état poétique (Reverdy) ? Ce qui relève d’un « état d’esprit » (comme l’affirme Soupault), ou ce qui révèle, plus largement encore, une façon d’être au monde (dans la lignée, là aussi de la poésie des surréalistes se voulant plus vécue qu’écrite) ?

On privilégiera les usages du qualificatif « poétique » hors du domaine littéraire, qu’il émane des créateurs ou des commentateurs. En effet, si les questions relatives au roman et au théâtre dits « poétiques » participent assurément de l’histoire des idées de poésie, elle relèvent de problématiques déjà bien balisées par la critique et, restant dans le domaine strictement textuel (à moins, bien sûr, qu’on ne parle de la mise en scène d’une pièce), elles ne permettent pas de rendre compte du transfert de cette notion à un autre medium qui se manifeste tout particulièrement aux XXe et XXIe siècles, et qui constitue le cœur de notre réflexion. Les propositions pourront ainsi porter sur un medium, un artiste, une période donnée ou faire l’objet d’approches plus générales, lexicologiques, linguistiques ou encore esthétiques.

Modalités pratiques d’envoi des propositions
Des propositions développées (1000-1500 mots) devront être adressées avant le 1er mai 2016  aux adresses suivantes : laure.depretto@gmail.com et jeannelle@fabula.org.
Elles seront évaluées de manière anonyme, conformément aux usages de la revue. La version définitive des textes sélectionnés sera à remettre à l’automne 2016.

Coordination

  • Nadja Cohen (FWO/ KU Leuven, groupe MDRN)
  • Anne Reverseau (FWO/ KU Leuven, groupe MDRN)

 

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