Appel à publications : « Comprendre les images pré-industrielles comme des médias multimodaux : agentivité, performance et médialogie dans l’étude des objets visuels » – Dossier 2024 dirigé par Marianne Cailloux et Claudia Quattrocchi pour Images Re-vues
Date limite d’envoi des propositions (5000 signes espaces compris) : 15 mars 2023
date limite de remise des articles (45000 signes espaces compris maximum) : 15 août 2023
Les propositions sont à envoyer aux adresses électroniques suivantes : marianne.cailloux@univ-lille.fr ; claudiaquattrocchi4@gmail.com
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Une partie du dossier sera constitué d’articles tirés du panel organisé pour le colloque de la Renaissance Society of America (Dublin, 2022) : “Framing the Multimodality of Early Modern Images: Agency, Performance, and Medialogy to Study Artefacts”, qui comme son titre l’indique se focalisait sur la période des XIVe-XVIe siècles. De fait, dans un souci d’étendre aux autres périodes de l’Ancien Régime (Antiquité, Haut Moyen Âge, Modernité tardive), cet appel cible principalement des contributions portant sur les périodes avant le XIVe siècle et après le XVIIe siècle, afin de compléter le panel originel.
Depuis plusieurs années, les Humanités investissent de nouvelles démarches disciplinaires, conduisant à l’appréhension d’images, peintes comme sculptées, mais aussi combinatoires (les ensembles décoratifs multimédiatiques), comme des « dispositifs » (Michel De Certeau, Giorgio Agamben). Aux approches d’anthropologie visuelles de Hans Belting, qui ont renouvelé l’histoire de l’art, à l’époque de l’essor de la micro-histoire de l’école des Annales (Carlo Ginzburg, Enrico Castelnuovo), s’ajoutent les avancées en sciences cognitives (David Freedberg et Vittorio Gallese), aujourd’hui couramment utilisées pour analyser les objets visuels, à travers leurs effets sur les publics. Notamment dans leurs implantations architectoniques et spatiales, les artefacts sont étudiés en termes de fonctions, d’usages, de pratiques – par exemple dévotionnelles et liturgiques – parfois de manière acculturative. Néanmoins, rares sont les dossiers qui indiquent clairement les emprunts conceptuels faits aux sciences de l’Information, du Document et de la Communication ou encore à la sémiologie visuelle.
Pourtant, ce sont ces champs disciplinaires qui au cours du XXe siècle formalisent conceptuellement les théories de la réception, qui sont reprises en histoire culturelle des images, et une modélisation des types d’échanges communicationnels, par exemple comme processus dynamiques multilatéraux. A contrario, les chercheu.r.ses des SID-SIC (Sciences de l’Information Documentaire-Sciences de l’Information et de la Communication) ne semblent pas prêt.e.s à l’aube du XXIe siècle à prendre en compte les objets pré-industriels comme des supports d’information et des vecteurs communicationnels, au même titre que les « nouveaux » médias de l’ère contemporaine, et privilégient les études sur les nouvelles technologies, du télégraphe à internet, ou encore les images médiatiques qui « font » systèmes et dévoilent une diffusion de masse, donc à partir de la production industrielle (presse, affiches) dans le meilleur des cas (Julia Buonaccorsi).
Les travaux les plus récents, où se côtoient – à bas bruit – deux sphères disciplinaires (les sciences historiques et les sciences de l’information) montrent bien les difficultés à envisager les objets visuels pré-industriels comme des médias. Pourtant, les travaux pionniers sur la nature du document (Marie-Anne Chabin, Viviane Couzinet, Jean Meyriat) posent des définitions notionnelles qui font écho avec les nouvelles théories historiques. Replacer les images anciennes dans un processus de production, médiation et réception est de fait chose courante dans les nouvelles Humanités, ce que faciliterait grandement la théorisation issue des SIC, permettant l’investissement d’un socle de fondamentaux solides. Étudier les processus dynamiques de médiation, interpersonnelle comme collective (Mucchielli), permet en réalité une histoire culturelle transdisciplinaire des objets pour mieux comprendre à la fois les représentations socio-culturelles, personnelles et groupales, et les modalités d’utilisation des images dans leur performance sémantique et symbolique médiée (Alfred Gell), et dans leur appropriation de fonctions (Yves Jeanneret). Cette discussion ouvre ainsi de nouveaux points d’échanges, à travers plusieurs axes : visualité et spatialité ; évolution et réappropriation ; modélisation et théorisation.
Dans le premier, il s’agit d’interroger la prise en compte de la visualité, de la pratique ordinaire et extraordinaire du lieu, et l’éventuel systématisme de la spatialisation. On peut alors se demander si ces notions sont suffisantes pour appréhender l’image dans sa globalité (Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt). Par spatialisation, nous entendons l’insertion architectonique des images au sein de l’édifice, mais aussi les espaces immatériels (re)composés par la liturgie, le rituel, le déplacement physique, l’engagement par le corps et le regard. Le lieu est ainsi compris en tant que matérialité architecturale et géographique mais aussi comme investi mental qui participe de la contextualisation des réceptions et des appropriations par les publics.
Ensuite, ce sont les discours a posteriori qu’il convient d’étudier dans une historiographie de la recherche et une réflexion autour de la fabrique de l’artefact, en s’interrogeant sur les enjeux de l’intérêt porté à l’évolution de la relation entre dispositif initial de l’artefact et ses appropriations post-modernes (patrimoniales, touristiques, etc.). En effet, comment organiser l’analyse du regard et celle de l’engagement par le corps sans qu’elles s’excluent dans la perception de la spatialisation des images ?
Surtout, il semble aujourd’hui nécessaire d’ancrer ces réflexions en termes de démarches méthodologiques concrètes, en pensant des outils proposables, viables, la manière de les mutualiser et de les mettre à disposition dans le réseau professionnel et académique. En effet, les « humanistes » sont plutôt habitués à travailler à partir de corpora dont les processus de construction sont rarement exposés, et sans toujours chercher à distancier et partager leurs outils expérimentaux, eux-mêmes constitués par « bricolage ». Il s’agit dès lors de réfléchir à comment étendre une modélisation de processus qui « marchera » pour les dynamiques d’une étude de cas, pour en faire un outil applicable à d’autres, et ce de manière réflexive ; comment critéraliser ces outils pour les rendre plastiques et adaptables. L’on pourrait aussi s’interroger sur la pertinence de vouloir partir de l’étude de cas pour réaliser une mise en système / modèle. En effet, là se situe peut-être le danger de retomber dans une histoire de l’art catégorisante et hiérarchisante. S’il n’y a que des cas, devons-nous définitivement abandonner toute tentation de voir des tendances phénoménales autour de l’image pré-industrielle, ou bien les nouvelles médialogies nous permettent une modélisation relative mais fonctionnellement satisfaisante ?
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Sans exhaustivité, ce dossier se propose de traiter notamment les enjeux suivants :
– agentivités, performances et appropriations fonctionnelles des dispositifs anciens : comment les ensembles visuels (architecture, sculpture, peinture) sont utilisés et activés, quels effets ont-ils sur les individus et les groupes, quelles sont leurs fonctions, les manières de les utiliser, de les consommer, de modifier leurs usages ?
– utilisation des modèles théoriques des SID-SIC sur les médias anciens : peut-on modéliser les échanges d’informations contenus dans les images pré-industrielles ?
– productions, médiations et réceptions contextualisées des publics autour de ces objets : comment s’organisent les échanges d’information de la création à la consommation de l’objet visuel, comment l’information est-elle transformée et transportée en fonction des différents acteurs impliqués et des phénomènes culturels où ils sont pris ?
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Suggestions bibliographiques :
G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot-Rivages, 2006.
E. Alloa, Penser l’image. III. Comment lire les images, Paris, Les Presses du Réel, 2017.
J. Baetens, « Récit et image », Vox poetica, 2007 [En Ligne]
C. Bailey et H. Gardiner (dir.), Revisualizing Visual Culture, Farnham, Ashgate, 2010.
J. Baschet et P.-O. Dittmar (dir.), Les images dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, L’Atelier du Médiéviste, 2015.
Anne Bayert-Geslin, L’image préoccupée, Paris, Hermès-Lavoisier, 2009.
H. Belting, “Medium, Body: A new approach to iconology”, Critical Inquiry, 31, 2, 2005, p. 302-319.
J.-F. Bordron, « Dynamiques des images », Signata [En Ligne], 10, 2019.
J. Bonaccorsi, Fantasmagories de l’écran. Nouvelles scènes de lecture, 1980-2012, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. Information-Communication, 2020.
H. Blume, C. Leitgeb, M. Rössner, Narrated communities – narrated realities. Narration as cognitive processing and cultural practice, Amsterdam, Brill Rodopi, 2015.
Marianne Cailloux, « Au croisement de l’histoire culturelle et des sciences de l’information et de la communication. Une approche transdisciplinaire des transferts culturels dans les Alpes Occidentales tardo-médiévales », Diasporas [En Ligne], 32, 2018.
E. Castelnuovo et Carlo Ginzburg, « Domination symbolique et géographie artistique », Actes de la recherche en sciences sociales, 40, 1, 1981, p. 51-72.
E. Castelnuovo, « L’histoire sociale de l’art. Un bilan provisoire », Actes de la recherche en sciences sociales, 1976, 2, 6, p. 63-75.
M. H. Caviness, Visualizing Women in the Middle Ages: Sight, Spectacle, and the Scopic Economy, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001.
M.-A. Chabin, « Document trace et document source. La technologie numérique change-t-elle la notion de document ? », Revue I3 – Information Interaction Intelligence [En Ligne], 2004, 4, 1.
M. de Certeau, L’invention du quotidien, II, Paris, Gallimard, 1994.
M. Colas-Blaise et A. Beyaert-Geslin, (dir.), Le Sens de la métamorphose, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2009.
M. Colas-Blaise, « Comment penser la narrativité dans l’image fixe ? », Pratiques [En Ligne], 181-182, 2019.
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M. G. Dondero, Les langages de l’image. De la peinture aux Big Visual Data, Paris, Hermann, 2020.
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M. Freedberg et V. Gallese, “Motion, emotion and empathy in esthetic experience”, Trends in cognitive sciences, 2007, 11, 5, p. 197-203.
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