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« Il est du principe de l’œuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. » Depuis cette célèbre assertion de Walter Benjamin, la question de la reproduction en art s’est considérablement actualisée. Bien loin de susciter une « perte d’aura » de l’œuvre d’art, la reproduction est un outil depuis longtemps indispensable à la diffusion et à la connaissance des œuvres, et elle est aujourd’hui omniprésente, sous des formes extrêmement variées. Pour certains publics, la reproduction peut même être le seul accès possible à l’art, et les récents événements liés à la crise sanitaire ont révélé un fort besoin d’images permettant d’entrer en contact avec des collections parfois lointaines. L’apparition de nouvelles technologies numériques ces dernières années est pour beaucoup dans ce renouvellement du regard porté sur la reproduction. Des scans en très haute définition aux « Deep Fakes » (exposition, Lausanne, EPFL, 2022) en passant par la réalité virtuelle, les modalités de la reproduction en art se sont aujourd’hui diversifiées en définissant par là-même de nouveaux usages. Ces technologies s’inscrivent dans une longue histoire du perfectionnement des techniques de reproduction, qui, de l’estampe au moulage en passant par la photographie, ont permis pendant des siècles de répondre au besoin de multiplier l’œuvre, d’en garder une trace, de diffuser son image. Au-delà de la simple copie, ce numéro de la revue Histoire de l’art invite à considérer l’ensemble des techniques de reproduction et de leurs usages, notamment dans la pratique de la discipline histoire de l’art, mais aussi dans le domaine des musées et du patrimoine, et de la création artistique, sur un temps long.
Les articles pourront adopter des approches variées, permettant d’interroger les enjeux, les apports et les limites de la reproduction en art, pour toutes les techniques et toutes les périodes de l’histoire de l’art. Les études pourront s’inscrire dans les axes suivants, qui ne sont pas limitatifs.
Techniques, acteurs et circuits de diffusion
L’invention de nouvelles techniques de reproduction grâce à des outils, des matériaux, des procédés mécaniques ou industriels, constitue, depuis l’Antiquité, un enjeu majeur de la production artistique, dont il convient de garder à l’esprit les dimensions esthétique, commerciale, socio-économique, mais aussi juridique. Les propositions de communication pourront porter sur des techniques en particulier et les problèmes qu’elles posent en termes de changement d’échelle ou de médium par rapport à l’œuvre originale, et sur les différents acteurs impliqués allant des artistes ou des inventeurs comme Achille Collas aux outils eux-mêmes comme le panthographe, sans oublier l’ensemble des professionnels de la reproduction qui permettent leur commercialisation (éditeurs, marchands, etc.). Il s’agira d’étudier les stratégies commerciales, voire publicitaires, et les circuits de diffusion. La position des artistes eux-mêmes et leur degré d’implication ou non dans la diffusion de leurs œuvres par le biais de la reproduction ainsi que leurs réactions constituent également des angles d’approche possibles. Par ailleurs, les reproductions posent des problèmes juridiques pouvant conduire à des litiges ou à une nécessité de contrôle strict, comme cela a été le cas dès l’invention de l’estampe avec l’exemple précoce des conflits entre Marcantonio Raimondi et Albrecht Dürer. La question des droits d’auteurs concernant les reproductions d’œuvres d’art s’est accentuée récemment avec le numérique, comme en témoignent les politiques très différentes en termes de diffusion de l’image menées dans les institutions muséales publiques et privées à l’échelle globale, qui suscitent de nombreux débats à l’heure de l’Open Source.
La reproduction comme outil de l’histoire de l’art
La reproduction – photographies, moulages, projections – a toujours occupé une place centrale dans les pratiques pédagogiques de l’enseignement de l’histoire de l’art comme discipline. On pense notamment aux réflexions pionnières menées par Heinrich Wölfflin sur les conséquences de l’inversion fortuite des plaques de verre qu’il présentait à ses étudiants avec deux projecteurs lors de ses cours. Depuis l’apparition du diaporama et l’accès à de plus en plus importantes quantités d’images de bonne qualité sur Internet, les contraintes sont moindres et ont modifié les pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Par ailleurs, les reproductions constituent des outils fondamentaux pour l’histoire de l’art. L’étude de leurs modalités d’utilisation permettent de porter un regard réflexif sur les méthodes et l’épistémologie de la discipline dans tout sa diversité (connoisseurship, iconologie, etc.). De l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg à la photothèque de Bernard Berenson, les reproductions ont pu ainsi servir des desseins divers et constituer un support essentiel de la démarche scientifique. La place des reproductions en noir et blanc ou en couleurs dans les publications – revues, livres d’art, beaux livres, manuels, etc. – mérite également d’être considérée. Les nouveaux modes de visualisation – reproductions en 3D, haute définition, photogrammétrie, réalité virtuelle – ouvrent désormais de nouvelles perspectives et possibilités de recherche.
La reproduction dans le champ des pratiques muséographiques et patrimoniales
« Une œuvre photographiée est à demi-sauvée », écrivait Jacques Thuillier en 1986. La reproduction d’une œuvre permet en effet sa survie dans les mémoires, qu’elle soit conservée au fond d’une réserve d’un musée ou qu’elle ait disparu. Dans ce dernier cas, le moulage, la gravure ou la photographie prennent valeur de témoignage et de documents irremplaçables. L’exposition « Le musée disparu », organisée au Bode-Museum de Berlin en 2015, qui présentait notamment des agrandissements photographiques d’œuvres détruites durant la Seconde Guerre mondiale, a démontré à la fois l’importance historique et patrimoniale des reproductions, mais aussi leur fort potentiel émotionnel. Alliée de la mémoire, la reproduction est également l’outil privilégié de la conservation du patrimoine existant, quand celui-ci est particulièrement fragile. Les reproductions des grottes préhistoriques ornées de peintures pariétales (Lascaux, Chauvet, Cosquer) sont parmi les exemples les plus connus de l’usage de technologies de pointe mises au service d’une illusion qui se veut parfaite. Le caractère « à l’identique » de ces reproductions est par ailleurs souvent invoqué à propos de la reconstruction d’édifices endommagés ou détruits (Frauenkirche de Dresde, château de Berlin, vieille ville de Saint-Malo…). Les récents débats sur la flèche de Notre-Dame de Paris ont ravivé cette question, mettant en valeur les limites intrinsèques de la reproduction, qui pourront être abordées. Celle-ci ne saurait éclipser l’œuvre originale. La multiplication récente d’expositions entièrement basées sur des reproductions numériques semble pourtant encourager une forme de détachement du regard de l’œuvre dans sa réalité matérielle, au profit de sa seule image, agrandie et animée.
Usages et pratiques artistiques de la reproduction
La représentation de reproductions d’œuvres d’art dans la peinture est chose ancienne, que l’on pense aux portraits d’artistes (Charles Le Brun par Nicolas de Largillière, qui trône près d’une gravure de son tableau La Tente de Darius) ou aux aristocrates du Grand Tour posant à côté de statuettes d’après l’antique. La reproduction contribue alors à anoblir la personne dépeinte, en faisant allusion à ses chefs-d’œuvre ou à sa culture. Au cours du XIXe et surtout du XXe siècle, la massification de la reproduction des œuvres d’art a incontestablement modifié le rapport des artistes à la reproduction. D’une part, celle-ci est devenue un support de création à part entière, propice à tous les détournements, qu’il s’agisse de Marcel Duchamp intervenant sur une reproduction bon marché de la Joconde (LHOOQ, 1919) ou de Martial Raysse peignant sur un agrandissement photographique de la Grande Odalisque d’Ingres (1964, Paris, musée national d’Art moderne). D’autre part, face à la prolifération des images, l’artiste assume pleinement la multiplication de son œuvre : Duchamp, à nouveau, propose des fac-similés de ses travaux (Boîte de 1914 ; Boîte-en-valise, 1936-1941) et de nombreuses répliques de ses ready-made. Mais la reproduction n’a pas seulement pour objet des œuvres matérielles : le champ de la performance est également concerné, à travers le reenactment, comme dans Seven Easy Pieces de Marina Abramovic (2005), où l’artiste reproduit des performances historiques des années 1960 et 1970. Sa démarche correspond à l’une des principales fonctions de la reproduction, la documentation d’une œuvre du passé, mais révèle également la distance inévitable entre l’œuvre et sa réplique. En effet, comme semble nous le dire Pier Paolo Pasolini dans son film La Ricotta (1963), où un metteur en scène tente de reproduire des peintures célèbres sous forme de tableaux vivants, toute reproduction ne place-t-elle pas le spectateur dans un rapport inévitable au temps, et n’est-elle pas vouée à l’échec dès lors qu’elle se veut la plus « fidèle » possible ?
Le numéro sera coordonné par Emmanuel Lamouche (Nantes Université) et Matthieu Lett (université de Bourgogne). La revue a pour rédactrice en chef Dominique de Font-Réaulx (musée du Louvre).
Les synopsis, comprenant une présentation du sujet problématisé (1 page), une bibliographie sommaire sur le sujet et une biographie de l’auteur (500 signes), sont à adresser sous forme de fichier PDF unique par courriel à revueredachistoiredelart@gmail.com pour le 27 janvier 2023 au plus tard. Le comité de rédaction étudiera les propositions envoyées. Les projets retenus feront l’objet d’articles à remettre pour le 24 avril 2023.
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