Organisation : Coline Desportes (EHESS/INHA), Aurélie Petiot (Université Paris Nanterre/InVisu (CNRS/INHA)
Ce colloque propose de se pencher sur la circulation de la transmission du geste et des techniques en contexte colonial et post-colonial, du XIXe au XXIe siècle. L’historienne de l’art Victoria L. Rovine rappelle que comme ses équivalents classificatoires « art » et « artefact », l’artisanat est un concept occidental, appliqué à des objets d’autres cultures dans le but de les absorber dans des pratiques de collection et d’exposition. En effet, si selon elle, l’exotisation européenne des Africains et de leur culture matérielle n’a certainement pas commencé avec l’ère coloniale moderne, l’artisanat a acquis une signification symbolique et économique en tant qu’outil de l’empire pendant l’entre-deux-guerres. S’il ne s’agit pas d’occulter les différentes formes d’enseignement (guildes, écoles) précédent la colonisation, se pencher sur l’enseignement et la transmission de l’artisanat permet une interrogation de sa définition et de ses usages – y compris politiques et idéologiques – en contexte colonial et post-colonial au plus proche de sa conceptualisation locale. C’est donc bien la circulation des savoirs, des gestes, techniques et motifs ainsi que les forces de résistance ou de coopération avec les structures et les patrimoines (pré)-existants qui nous intéressent ici. On considérera le contexte colonial comme celui d’une colonisation occidentale en Afrique, Asie, Amérique latine et Océanie, mais aussi celui d’une colonisation désormais considérée comme interne, comme aux États-Unis ou en Australie.
En effet, si les circulations des techniques, objets et formes d’artisanat ont fait l’objet de colloques récents (Rhapsodic Objects, 2019, Global Legacies of the Arts and Crafts Movement, 2023), celles des méthodes et processus d’enseignement organisés par les puissances coloniales ont été moins étudiées. Les travaux et expérimentations menés par le laboratoire LaRGA (Laboratoire de recherche du geste artisanal) et ceux du laboratoire Projekt (Université de Nîmes) sur la transmission du geste et la pédagogie du design amorcent un champ d’étude portant sur la pédagogie de l’artisanat et du design. Les ouvrages fondateurs tels que The Craftsman, de Richard Sennett (2010), et Making: anthropology, archaeology, art and architecture, par Tim Ingold (2013) pensent une histoire de l’artisanat et du processus à l’œuvre dans la création, du geste à la technique ; Global Design History (2011), par Glenn Adamson et Global objects : toward a connected art history, par Edward S. Cooke Jr (2022) analysent l’histoire des objets dans un contexte mondialisé.
Longtemps sous-développés au profit des études sur les beaux-arts, les travaux portant sur l’enseignement des pratiques artisanales en contexte colonial et post-colonial se développent. L’exposition de 2017 sur l’enseignement par John Lockwood Kipling de l’artisanat dans l’Inde coloniale (V&A/Bard Graduate centre) a ouvert la réflexion au sein des musées sur ces questions. Les travaux de Tanya Harrods sur l’enseignement du céramiste Michael Cardew à Achimota, au Ghana (2013) ainsi que ceux de kąrî’kạchä seid’ou sur cette même institution (2014) ou encore l’ouvrage de Jessica Gerschultz portant sur l’enseignement des arts décoratifs en Tunisie dans une perspective genrée (2019), ont fortement enrichi ce champ. Le colloque « Producteurs et acteurs des ‘arts indigènes’ dans l’Empire français (1893-1962) » (2022) abordait également cette question dans le contexte impérial français.
Il s’agit ici d’ouvrir à la fois les bornes géographiques et temporelles de l’enseignement de l’artisanat à la période coloniale jusqu’à la période ultra contemporaine. On s’interrogera sur les objets supports de cet enseignement, sur les théories et les idéologies qui le sous-tendent ou encore sur leurs adoptions, inventions et appropriations par les étudiant.e.s et les acteurs.trices locaux.ales. Certaines communications pourront également porter sur les approches méthodologiques telles que les critical craft studies, decolonial aesthetics et les approches intersectionnelles. Les communications émanant de plusieurs champs disciplinaires (anthropologie, histoire, histoire de l’art) et d’artistes travaillant les problématiques suivantes sont fortement encouragées :
Axe 1. La question des sources sur la transmission du geste et des techniques : méthodes, manuels, livres de dessins et de modèles, sources muséales locales, étude des outils, écrits d’enseignant.e.s, d’élèves, histoire orale, dessins techniques, objets produits, l’utilisation (ou le refus) de la machine…
Axe 2. La forme de ces écoles et apprentissages et la trajectoire des professeurs : écoles publiques, missionnaires, séjours d’études dans des écoles occidentales, contexte de la coopération et des professeurs coopérants…
Axe 3. La production en contexte d’apprentissage : exposition des œuvres, commandes, vente de ces objets, emploi des élèves sur des projets de restauration, développement du goût à partir de la production d’une école…
Axe 4. Circulations et transferts culturels : hybridité des productions, invention de la tradition, appropriation culturelle, liens et rapports avec les structures endogènes d’enseignement et de transmission, savoirs situés, agency des étudiant.e.s, circulations sud-sud…
Axe 5. Questions politiques et économiques : localisation et public de ces écoles, division genrée, compétition avec d’autres pays colonisateurs, discours officiels sur la nécessité de l’enseignement de l’artisanat, notion de village communities pour contrer l’exode rural…
Axe 6. Adaptations des techniques et matériaux : prise en compte ou rejet de matériaux vernaculaires, du climat pour la cuisson et le séchage de pièces céramiques ou textiles, des plantes tinctoriales locales, dimension écologique…
Axe 7. Définition et usage de l’artisanat en contexte colonial et post-colonial : quelles sont les définitions de l’artisanat et comment s’en saisissent les pédagogues et les élèves ? Quelles contestations de cette catégorie ou réappropriations postcoloniales…
Les communications peuvent être présentées en français ou en anglais.
Les propositions de communication, de 2000 signes sont à envoyer à Coline Desportes (colinedesportes@gmail.com et Aurélie Petiot (apetiot@inha.fr) avant le 22 mai 2024.
Les candidatures d’artistes et de chercheurs et chercheuses émanant d’universités non-occidentales sont particulièrement encouragées.
N’hésitez pas à nous contacter en amont!
Comité scientifique
Baptiste Buob (CNRS, LESC), Marie-Charlotte Calafat (MUCEM), Rachel Dedman (Victoria and Albert Museum), Coline Desportes (EHESS), Jessica Gerschultz (University of St Andrews), Sarah Ligner (Musée du quai Branly), Maureen Murphy (Université Paris Nanterre, HAR), Aurélie Petiot (Paris Nanterre/InVisu), Victoria L. Rovine (The University of North Carolina at Chapel Hill), Mercedes Volait (CNRS, InVisu), Filiz Yenişehirlioğlu (Koç Üniversitesi).
Bibliographie indicative
Bryant, Julius, Weber, Susan (dir.), John Lockwood Kipling Arts and Crafts in the Punjab and London, cat. exp., Yale University Press, 2014.
Dopico, Clara Ilham Álvarez, « Une nouvelle tradition : la céramique algéroise à l’aube du xxe siècle », ABE Journal [En ligne], n°13, 2018, URL : http://journals.openedition.org.faraway.parisnanterre.fr/abe/4333 ; DOI : https://doi-org.faraway.parisnanterre.fr/10.4000/abe.4333
Faroqhi, Suraiya, Artisans of empire: crafts and craftspeople under the Ottomans, Londres, I.B. Tauris, « Library of Ottoman studies », 2009.
Gerschultz, Jessica, Decorative arts of the Tunisian École: fabrications of modernism, gender, and power, University Park, Pennsylvania : The Pennsylvania State University Press, 2019 (Refiguring modernism).
Graves, Margaret S., Seggerman, Alex Dika (dir.), Making Modernity in the Modern Islamic Mediterranean, Indiana University Press, 2022.
Harrod, Tanya, The last Sane Man, Michael Cardew: Modern Pots, Colonialism, and the Counterculture, Paul Mellon Centre, 2013.
Ingold, Tim, Making: anthropology, archaeology, art and architecture, Abingdon: Routledge, 2013.
Irbouch, Hamid, Art in service of colonialism. French art Education in Morocco 1912-1956, London: Tauris Academic Studies, 2005.
Naji, Myriem, « Value of the Moroccan carpets: between craftswoman production and art merchants », Cahiers du Genre, vol. 43, no 2, 2007, p. 95‑111.
Seid’ou, Kąrî’kạchä, « Gold Coast Hand and Eye Work: A Genealogical History », Global Advanced Research Journal of History, Political Science and International Relations, vol. 3, n°1, janvier 2014, p. 008-016.
Seid’ou, Kąrî’kạchä, « Adaptive Art Education in Achimota College: G. A. Stevens, H. V. Meyerowitz and Colonia False Dichotomies ». CASS Journal of Arts and Humanities, vol. 3, n°1, juin-décembre 2014, p. 1-28.
Pirkelbauer, Laura, « The Algerian Experience of Marie Cuttoli, 1920-1935 », in Marie Cuttoli, the modern thread from Miró to Man Ray, Philadelphia : the Barnes Foundation, 2020, p. 44‑56.
Rovine, Victoria, Bogolan: Shaping Culture Through Cloth in Contemporary Mali, Indiana University Press, 2008.
Rovine, Victoria L., « A Wider Loom? French Colonial Preoccupations with West African Weaving », African Arts, vol. 52, no 4, 2 décembre 2019, The MIT Press, p. 66‑83.
Rovine, Victoria L., « Crafting Colonial Power: Weaving and Empire in France and French West Africa », in Noemie Etienne et Yaelle Biro (dir.), Rhapsodic Objects, De Gruyter, 6 décembre 2021, p. 171‑194. URL: https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9783110757668-009/html.
Wolukau-Wanambwa, Emma, « Margaret Trowell’s school of art – a case study in colonial subject formation », in Susanne Stemmler (Hg.) Wahrnehmung, Erfahrung, Experiment, Wissen Objektivität und Subjektivität in den Künsten und den Wissenschaften, Diaphanes, 2014 p. 101-122. URL: https://www.diaphanes.net/titel/margaret-trowells-school-of-art-a-case-study-in-colonial-subject-formation-2820
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