Journées d’étude : « La Lecture-artiste. Que font les artistes de leurs lectures ? » (Paris, 29-30 novembre 2018)
Comment les artistes nourrissent-ils leur pratique des livres qu’ils dévorent ou feuillettent ? Constituent-ils une catégorie spécifique de lecteurs ? Quel est le statut de la lecture dans leur processus de création ? L’usage productif que font les artistes de leurs lectures pousse à son paroxysme l’idée du lecteur comme producteur. Les artistes assimilent leurs lectures avant d’en faire reparaître certains aspects de manière plus ou moins fidèle, déclinée, déformée, recomposée, traduite et parfois méconnaissable dans des œuvres qui en sont, au moins partiellement, une concrétisation. La notion de lecture-artiste cherche ainsi à comprendre la lecture comme une mise en exergue des possibilités créatrices. L’objet de cette journée sera d’interroger cette notion, pour en construire une méthodologie d’analyse et en produire une théorie.
Jeudi 29 novembre, Paris, Centre Pompidou, Petite salle (niveau -1), à partir de 18 H 00
Michèle DIDIER
Michèle Didier a fondé mfc-michèle didier en 1987, une maison d’édition indépendante basée à Bruxelles, qui produit et publie des œuvres originales d’artistes contemporains. Depuis 2011, elle a ouvert une galerie à Paris, qui est un lieu important de la réflexion sur le livre d’artiste et sur l’œuvre publiée et multipliée dans l’art contemporain.
Claude RUTAULT
Claude Rutault est peintre. Depuis 1973, il a rédigé plusieurs centaines de définitions/méthodes qui constituent des approfondissements et des variations depuis la première qui a établi le postulat d’« une toile peinte de la même couleur que le mur ». Sa pratique se veut double, entre (ré)écriture et (re)peinture, et convoque donc nécessairement la (re)lecture, dont Claude Rutault parlera.
Émilie PITOISET, Shantidas RIEDACKER & Matthieu CANAGUIER
Ophelia, 2018 (concert-lecture)
Le fantôme d’Ophélie, célèbre personnage de l’ombre chez Shakespeare, incarne encore la désillusion de notre monde contemporain. Elle provoque la catharsis et purge les âmes de l’obscénité, canalise ce que le monde vomit sans prétendre d’être abusé. Elle est le miroir d’une stratégie rhétorique du fantasme qui la réinvente toujours au travers de la figure de la « jeune fille » innocente et pure Mais, que dit-elle, elle ? Ophelia brise l’illusion de la fiction par sa voix saturée et de la dissonance des guitares qui l’accompagnent.
Vendredi 30 novembre, Paris, INHA, Salle Vasari, 10 H 00 – 17 H 00
Lison NOËL : Introduction
Notions, méthodologie, axes de recherche.
Émeline JARET : Retour sur la narrativisation de l’œuvre dans l’art français à partir des années 1970
La narrativisation de l’œuvre d’art, après les années 1970, résulte d’une prise en compte de la temporalité événementielle de l’œuvre. À partir des lectures réelles ou supposées des artistes étudiés, il s’agira de faire le lien avec la redéfinition du récit proposée par la littérature à partir des années 1950 (tant dans la théorie littéraire et la narratologie que chez certains écrivains).
Jérôme DUPEYRAT : Les artistes lecteurs et la lecture comme pratique collective
L’art des vingt-cinq dernières années offre différents cas de figures où la lecture est appréhendée en tant que situation et pratique collective, selon de multiples configurations dans lesquelles l’artiste occupe des places et des rôles variables. Il se joue là une conception performative et productive de la lecture, ainsi qu’une conception de l’art comme activité générant de la pensée sous des formes qui cherchent à échapper aux régimes d’auctorialité et à la normativité des discours critiques ou théoriques habituels.
Barbara BOURCHENIN : Bibliothèques-œuvres : lieux d’une nouvelle théorie de lecture de l’art ?
Les bibliothèques-œuvres déploient un territoire de lecture que nous proposons d’explorer au cours d’une promenade visuelle. Cette approche est l’occasion d’interroger la place du spectateur comme lecteur. La lecture-artiste pense cette posture entre conception de l’artiste et expérience spectatorielle, non plus théoriquement induite, mais plastiquement révélée. Ce modèle plasticien de lecture semble dialoguer avec des modèles de lecture théoriques, comme celui, constellatoire, développé par Aby Warburg dans son Atlas Mnémosyne.
Andrea MARTINEZ-CHAUVIN : La lecture-artiste de Joan Miró, vers ses tableaux-poèmes (1924-1927) : empreintes du « cosmique-divers »
Pour établir les liens de Miró avec certaines de ses lectures poétiques, j’analyserai comment prend forme, dans sa peinture, la notion de « cosmique-divers » formulée par Tristan Tzara. Il s’agira de repérer les points saillants qui font le lien entre l’œuvre de ces poètes et celle de l’artiste, et de voir dans quelle mesure l’artiste s’affranchit des références littéraires pour aborder des questionnements propres à la poésie.
Nicolas FOURGEAUD : « Pour une théorie de la production littéraire » : Marcel Broodthaers et la sociologie de la littérature
À partir de la fin des années 1960, Broodthaers développe un travail reposant notamment sur l’appropriation d’auteurs canoniques de la littérature du 19e siècle. Nous proposons d’éclairer comment Broodthaers nourrit son geste aux textes de la première vague de sociologie de la littérature. On dessinera ici le portrait d’un Broodthaers en lecteur soucieux de faire communiquer le champ littéraire du second 19e siècle avec le monde de l’art des années 1960.
Pauline NOBÉCOURT : Marc Desgrandchamps, le lecteur dans l’artiste
La place de la littérature dans l’œuvre de Desgrandchamps excède le champs référentiel de ses collages. Nous interrogerons l’apport sous-jacent exercé sur sa pratique artistique. Il s’agira d’examiner comment certains romans, dont ceux de Patrick Modiano et Claude Simon, interfèrent avec le travail développé par cet artiste. Déceler les parentés structurelles qui s’établissent devrait permettre de mieux cerner les ressorts et enjeux inhérents à la réception d’un texte par un artiste.
Benoit JODOIN : La lecture-artiste comme usage : le Gramsci Monument de Thomas Hirschhorn
En 2013, Hirschhorn érige un monument temporaire dédié à Antonio Gramsci. Loin d’une simple sculpture, ce monument est en réalité fait de pavillons et de plateformes accueillant une programmation sur la lecture de ce théoricien. Il s’agira d’en faire un exemple d’une certaine manière de concevoir la lecture-artiste à partir de la notion d’usage et d’analyser le type d’usage opéré spécifiquement dans le projet, à partir de la rencontre de la théorie et de la pratique développée dans la tradition marxiste.
Discussion avec Émilie PITOISET – Lison NOËL & Umut UNGAN
Choisissant comme point de départ la performance Ophelia, double lecture à partir du personnage littéraire d’Ophélie, cette discussion entraînera Émilie Pitoiset à interroger les usages plastiques et scéniques qu’elle fait de ses lectures.
Biographie des intervenants
Barbara Bourchenin est professeur agrégée d’Arts Plastiques (PRAG) à l’Université Bordeaux Montaigne et doctorante en Arts (Histoire, Théorie, Pratique). Ses dernières publications s’intitulent « Lire l’art au risque de ses livres altérés : lecture mantique et illettrisme esthétique » et « Pour une heuristique du pli : penser l’expérience des livres d’artistes altérés et minimaux ».
Jérôme Dupeyrat est professeur d’histoire de l’art et coresponsable du programme de recherche « LabBooks – écritures éditoriales » à l’isdaT – beaux-arts, et membre associé à l’équipe de recherche « Pratiques et théories de l’art contemporain » à l’Université Rennes 2.
Nicolas Fourgeaud enseigne l’histoire des arts et la théorie des images à la Haute école des arts du Rhin (HEAR) à Strasbourg depuis 2012. Il a publié récemment : « Reconstituer Waterloo dans les années 1960 : l’histoire selon Marcel Broodthaers et Norbert Brassinne », Intermédialités, 2017-2018.
Benoit Jodoin est doctorant en histoire de l’art en cotutelle avec Marielle Macé à l’EHESS et Patrice Loubier à l’Université du Québec, où il interroge la présence des théories issues des sciences humaines dans l’art contemporain depuis les années 2000. Il est actuellement chercheur en résidence au MAC VAL.
Andrea Martinez-Chauvin est doctorante contractuelle à Sorbonne Université (CRIMIC), sous la direction de Laurence Breysse-Chanet. Sa thèse porte sur la cosmogonie poétique de Vicente Aleixandre, au regard de Juan Larrea, José María Hinojosa et Joan Miró.
Pauline Nobécourt est doctorante en Arts : esthétique, pratique et théories, à l’Université Polytechnique Hauts-de-France. Elle a publié « Marc Desgrandchamps, la part du hasard sous contrôle », Les Nouvelles de l’estampe, n° 260, 2017 ; « Mélanie Delattre-Vogt », Ver(R)ue, n° 0, février 2015.
Émilie Pitoiset est artiste, chorégraphe et autrice. Ses œuvres activent des personnages et des fictions à travers un récit qui toujours se poursuit et interroge l’exposition comme format. Son travail traite de la résistance des corps à travers la danse, le clubbing, le sport, la sexualité, l’argent… autant de symptômes aliénants et véhicules de nos fantasmes.
Shantidas Riedacker est musicien et architecte lumière. Matthieu Canaguier est musicien et réalisateur de films. Ils sont respectivement guitariste et bassiste du groupe Aluk Todolo.
Organisateurs
Jean-Max Colard est maître de conférences HDR en littérature française contemporaine, critique d’art et commissaire d’exposition. Il est actuellement Chef du service de la Parole au Centre Pompidou.
Émeline Jaret est docteure en Histoire de l’art de Sorbonne Université et a rédigé une thèse sur Philippe Thomas. Elle enseigne l’histoire et la théorie de l’art à l’université Paris 8 et l’UCO (Angers) et est membre du comité de rédaction de Marges (PUV).
Lison Noël est docteure en Lettres et chercheuse indépendante. Ses recherches portent sur la réception du Nouveau Roman par les arts contemporains.
Umut Ungan est docteur en histoire et théorie des arts (EHESS). Affilié au CRAL (EHESS/CNRS), il est membre du comité de rédaction de la revue Marges (PUV). Il a enseigné à l’université Paris 8 et est actuellement ATER à l’université Rennes 2.
La Lecture-artiste est un programme de recherche initié par Émeline Jaret et Lison Noël, avec la collaboration de Jean-Max Colard. Il s’envisage comme une exploration collective sous différents formats de la « lecture-artiste », définie comme l’ensemble des pratiques et usages de la lecture par les artistes. Ce premier événement, organisé avec la collaboration d’Umut Ungan, permettra de poser les bases d’une recherche au long cours par l’interrogation de la notion de lecture-artiste, en débutant la construction d’une méthodologie d’analyse afin d’en initier une théorie.
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