Livre Blanc sur l’Enseignement de l’Histoire des Arts : entretien avec Daniel Roche (mai 2012)

Depuis la réforme de 2008, l’histoire des arts est devenue une matière obligatoire enseignée par tous les professeurs ; les historiens sont-ils aptes à faire de l’histoire des arts ?

Je pense que l’idée d’enseigner l’histoire des Arts est une bonne idée, mais je ne pense pas que l’on ait résolu le problème en en confiant la pédagogie à tous. Définir l’histoire des arts et plus particulièrement celle de l’art n’est pas simple. Les historiens ont vu longtemps l’une et l’autre dans la dépendance de l’histoire. Je suis, pour ma part, un partisan de son autonomie. Je ne crois pas que les historiens stricto sensu soient formés à la double pédagogie que suppose la discipline des Arts. D’abord celle de toutes les œuvres qui relèvent de la visibilité, de l’image, apprendre à voir, et la question est fondamentale pour l’avenir avec les communications nouvelles, avec le cinéma, avec le rôle des médias. En second lieu, il s’agit de la transmission des œuvres et des patrimoines qui est à comprendre, à conserver. On sait les problèmes soulevés par une politique de retrait de l’Etat en ce domaine. L’enseignement de l’histoire de l’art pour tous, comme on le fait en Italie, exige des pratiques spécifiques et peut seul permettre une démocratisation culturelle au-delà des intentions. Les historiens peuvent aider à la compréhension des contextes, ils ne peuvent prétendre maîtriser l’accès à toutes les  œuvres des anciennes civilisations et l’ouverture aux nouvelles. Entre l’histoire des objets figuratifs, celle de la musique, celle des monuments, il y a des différences, mais c’est le même type de question que celles posées par l’histoire de la littérature, celle des professeurs de lettres, il faut enseigner la complexité des œuvres dans le temps et la compréhension d’une richesse culturelle à transmettre à tous, comme La Princesse de Clèves.
Nous n’avons pas à croire à un conflit des disciplines et à l’encourager, mais nous pouvons défendre l’idée de la reconnaissance d’un rééquilibrage nécessaire de l’accès aux œuvres d’art, et s’il le faut à la reconnaissance d’un corps spécifique. Il faut réfléchir à la possibilité de mieux organiser la relation pédagogique entre les spécialités dans la pratique des lycées et collège, inventer un effort collectifs.

 

Comment les historiens parlent des œuvres ? Quelle différence opérez-vous entre historiens des images et historiens de l’art ? La discipline histoire de l’art a évolué  en s’ouvrant à de nouvelles approches et à de nouvelles formes d’expression artistique (de la photographie à la danse). Pensez-vous que les historiens de l’art sont devenus suffisamment ouverts pour enseigner l’histoire des arts ?

Si je pars de mon expérience personnelle, je n’ai pas beaucoup  parlé des œuvres en histoire de l’art. Quand j’enseignais au lycée, je me souviens, le Samedi après-midi, c’était un moyen de calmer l’agitation de mes secondes techniques par une fascination que je mesurais avec force. Dans mes livres, j’ai utilisé des œuvres de peintres et de sculpteurs, des créations des architectes, comme des moyens de témoigner des valeurs de références esthétiques, d’autres aspects de l’histoire, la mode vestimentaire, les comportements matériels, l’esthétique urbaine. J’ai soutenu aussi les efforts de ceux qui, en France, avec Michel Vovelle, Bernard Cousin, Vincent Milliot, ont mobilisé les  œuvres pour étudier la scansion des ruptures culturelles et sociales. J’ai encouragé ceux qui réfléchissaient à l’économie des œuvres. Jacques Thuillier m’avait même ouvert les colonnes de la Revue de l’Art, pour y expliquer ce qui pouvait nous rassembler. Par ailleurs, historiens des Lumières, des idées, des comportements, j’ai toujours été sensible aux apports intellectuels des historiens de l’art les plus différents, Francastel et Chastel, l’école de Warburg et les grands historiens actuels comme Michael Baxandall et Svetlana Alpers. Ceci dit, la redéfinition moderne, actuelle, des arts, leurs interpénétrations, leur lecture complexe ainsi des événements et des organisations spatio-temporelles, impose une formation spécifique ouverte, sa relation au temps, ses rythmes longs et courts, avec sa diversité qui ne s’enferme plus dans le trio académique de la peinture, de la sculpture et de l’architecture. Le débat sur l’art moderne fait partie de l’art moderne et c’est la multiplicité des aspects du réel artistique qu’il faut associer, faire voir, faire comprendre.

Il faut pour cela une formation spécifique, elle existe dans les universités, mais ses rapports avec les arts plastiques et avec une pédagogie élargie n’est peut-être pas encore pensée suffisamment et généralement. La formation des enseignants exigerait qu’on interroge plus systématiquement la multiplicité des angles d’étude possible des œuvres. Le problème n’est pas tellement différent de celui de l’histoire où l’influence de l’économie politique, de la sociologie, de la philosophie, s’exerce le plus souvent par des influences  libres et indirectes. Bref, c’est la façon dont, dans la formation des enseignants, intervient l’interdisciplinarité – toujours recommandée, difficile à pratiquer – qui est à préciser. Dans le domaine des arts plastiques, des objets figuratifs, la question se complique, si l’on tient compte de la tension réelle qui existe – selon les lieux, les moments, les hommes – entre l’histoire de l’art interprétative ouverte et une histoire plus traditionnelle, d’identification, de catalogage, de protection et de transmission nécessaire aussi. On doit montrer et justifier une pédagogie de faire voir, spécifique et du dialogue interdisciplinaire.

 

Comment expliquer les réticences des historiens face à l’histoire de l’art et à sa reconnaissance comme discipline autonome ?

J’ose penser que le débat ne correspond qu’à un moment où l’institution scolaire s’est sentie à juste titre contesté dans sa fonction et son rôle. En période de restriction, de suppression des postes, de transformation inconsidérée des concours et des manières de faire, les réactions antagonistes, les conflits sont compréhensibles. La question de la formation des enseignants par les universités est un problème fondamental pour tous. Elle ne peut être résolue par l’opposition des corps, des statuts, des disciplines. Elle doit tenir compte de deux principes fondamentaux dans la formation générale et où un enseignement spécifique des arts pourrait trouver toute sa place. Notre école ne peut retrouver son rang et son rôle à condition que l’on accepte l’idée, essentielle, que, dans notre civilisation, la formation à la recherche par la recherche est au cœur de l’ouverture intellectuelle qui justifie la possibilité du dialogue interdisciplinaire. Celui qui doit s’imposer entre historiens des arts et historiens des temps et des cultures doit se poursuivre dans le sens ouvert par les exemples donnés à l’I.N.H.A. ou à l’E.H.E.S.S. Le second principe est celui de la formation continue des enseignants qui devrait être offerte aux professeurs en activité afin de les ouvrir tous ensemble à l’intérêt d’une vraie démocratisation de l’accès aux arts. Repenser les concours de l’enseignement secondaire, d’une manière générale, suppose qu’on réfléchisse à une interaction différente avec le modèle universitaire de ce point de vue et qu’on repense la fonctionnalité des agrégations, des capes, leur adaptation aux besoins, leur organisation.

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