Cette étude magistrale et très attendue sur la famille de fabricants de meubles Bellangé manquait à tous les amateurs d’histoire du mobilier français s’intéressant à son évolution et à la transformation du mécénat et du collectionnisme au cours des décennies qui suivirent la Révolution française. Depuis les premières études sérieuses sur l’histoire des meubles français au cours de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours, une très grande confusion a entouré, presque sans exception, les vies, les personnalités et les productions des différents membres de la famille Bellangé. Même à leur époque, une période de l’histoire de France caractérisée par de fréquents bouleversements et de violent changements de régimes, leurs noms furent souvent confondus et mal orthographiés, et les oeuvres si curieusement différents des deux principales branches de la famille régulièrement mal attribués.
À l’issue de recherches originales et minutieuses, particulièrement dans les archives françaises et anglaises, Sylvain Cordier est parvenu à démêler les travaux et carrières de Pierre-Antoine et de son frère Louis-François et de leurs fils et successeurs respectifs, Louis-Alexandre et Alexandre. Pour la première fois, nous avons un tableau précis de l’évolution des deux branches de la famille et de leurs divergences, ainsi que de la manière dont les multiples – et diverses – productions de leurs ateliers reflètent les différents aspects des transformations sociales, politiques et économiques de la société dans laquelle ils vivaient.
Nous pouvons maintenant comprendre comment, de l’ombre à la lumière, Pierre-Antoine s’imposa au sortir de la Révolution, sa formation traditionnelle de menuisier d’Ancien Régime le conduisant à recevoir de nombreuses commandes importantes – qu’il réalisa en collaboration avec de grands tapissiers, tels Maigret et Darrac, et des bronziers, comme Feuchère – sous l’Empire et la Restauration. Son oeuvre, toujours fortement influencé par les grands architectes et ornemanistes napoléoniens Percier et Fontaine, était bien représenté dans les résidences impériales et dans les collections de personnalités importantes de la cour. La célèbre commande de meubles à destination de la Maison Blanche pour le président James Monroe sera l’apogée de sa carrière, malheureusement suivie par une faillite financière, puis la ruine, à la fin des années 1820. Nous voyons alors son fils, Louis-Alexandre, suivre la vague historiciste pour produire des décors gothiques, selon la mode lancée par les romans à succès de Walter Scott, et des meubles néo-Renaissance inspirés par la collection Révoil au Louvre. Mais, malgré d’importantes commandes de la Couronne, celui-ci est finalement incapable de faire face à l’instabilité financière et se retire au Mexique en 1844.
Louis-François, au contraire, prospère considérablement avant de laisser les rênes de son atelier à son fils au début des années 1820. Dans cette branche de la famille, nous assistons à la fois à la continuité d’une influence des décors du XVIIIe siècle, au premier rang desquels les oeuvres de Riesener, Weisweiler et Boulle, et à l’émergence du goût pour les « meubles de curiosité », représentés par l’usage décoratif de pietra dura, plaques de porcelaine et marqueterie Boulle en association avec des bronzes doré copiés sur des modèles du XVIIIe siècle. Sylvain Cordier retrace l’influence particulière de marchands de curiosités, tels Rocheux, Maëlrondt et Delahante, et le rôle de collectionneurs importants, comme Lapeyrière et la duchesse de Berry, dans cette nouvelle esthétique, ainsi que le goût particulièrement prononcé pour les pièces les plus riches et les plus recherchées de ce genre parmi les amateurs anglais, au premier rang desquels William Beckford, George IVet George Watson Taylor.
Tous ces aspects sont étudiés avec talent par Sylvain Cordier et offrent aux amateurs comme aux professionnels une mine d’informations précieuses sur le monde complexe des fabricants, marchands et collectionneurs, un travail de référence inestimable et la réévaluation stimulante d’une importante période dans le développement des arts décoratifs.
Sir Hugh Roberts, GCVO, Surveyor Emeritus of The Queen’s Works of Art, Windsor 2012
Sommaire
Partie I : Les Bellangé et leurs ateliers études biographiques, sociales et professionnelles d’une famille d’ebenistes
De l’étalerie à l’ebénisterie, portraits de famille
Pierre-Antoine Bellangé
Louis-Alexandre Bellangé
La branche cadette : Louis-François Bellangé (1759-1827), Alexandre Bellangé (1799-1863), Jean-Toussaint Monvoisin (1780-1842)
Les ateliers Bellangé et leurs collaborateurs
De la rue Neuve-Saint-Denis au passage Saulnier : Pierre-Antoine et Louis-Alexandre Bellangé
Du faubourg Saint-Martin à la rue des Marais : l’atelier de Louis-François et Alexandre Bellangé
Partie II : Au services des couronnes
Meubler l’état : les Bellangé et les Garde-Meubles
Les premières commandes du Mobilier impérial : un fournisseur secondaire
Fournisseur du Garde-Meuble : Bellangé et la Restauration
« Ebéniste du Roi » : Louis-Alexandre Bellangé et le Mobilier de la Couronne sous la Monarchie de Juillet
Meubler le Prince : les Bellangé et la traduction des pouvoirs dans le mobilier
Exprimer la souveraineté : meubles régaliens
Le ployant, le fauteuil et la bergère : typologie des sièges et hiérarchie des princes
Partie III : Transition néo-classique et références historicistes: les champs stylistiques dans l’oeuvre de Pierre-Antoine et Louis-Alexandre Bellangé
La place de Pierre-Antoine puis Louis-Alexandre Bellangé dans un long style Empire
Pierre-Antoine Bellangé dans le contexte stylistique de l’Empire
L’Olympe, rue Neuve-des-Capucines : les livraisons de mobilier pour le maréchal Berthier
Constats et réflexions sur un style « Empire tardif » dans l’oeuvre de Pierre-Antoine et Louis-Alexandre Bellangé
Les Bellangé et les historicismes
Les sources de l’esthétique néo-Renaissance dans le mobilier Bellangé
Un goût d’expositions
Une commande manifeste : le mobilier de la salle à manger du duc d’Orléans aux Tuileries (1839-1840)
Les livraisons historicistes de Louis-Alexandre Bellangé pour le Mobilier de la Couronne : styles nationaux et questions identitaires
Partie IV : Louis-François et Alexandre Bellangé, de la Restauration au Second Empire : principes, enjeux et diffusion d’une ébénisterie de curiosité
Meubles référents, ébénisterie de support
Les modèles déclinés
Une ébénisterie précieuse dans la tradition du xviiie siècle
Les meubles de curiosité : « néo-style » ou Empire tardif composite?
Contemporanéité des oeuvres de Bellangé
Goût de connaisseur ou artisanat de dupes ?
Louis-François Bellangé et le réseau commercial des marchands et amateurs de meubles de curiosité
Promoteurs et diffuseurs des oeuvres de Bellangé
Les principaux collectionneurs en France et en Grande-Bretagne
Un goût anglais ?
Alexandre Bellangé, « ébéniste en curiosités » à l’heure de l’historicisme
De la succession stylistique de Louis-François Bellangé aux expositions industrielles : une carrière sous influences
À la rencontre des notions d’historicisme et de curiosité
Catalogues raisonnés
Catalogue raisonné des meubles de Pierre-Antoine Bellangé
Catalogue raisonné des meubles de Louis-Alexandre bellangé
Catalogue raisonné des meubles de Louis-François bellangé
Catalogue raisonné des meubles d’Alexandre Bellangé
Sylvain Cordier, Bellangé ébénistes. Une histoire du goût au XIX° siècle, Paris, Mare & Martin, 2012, 672 p., 139,00 €.
ISBN : 979-10-92054-00-2
Docteur en histoire de l’art et historien, Sylvain Cordier est un spécialiste reconnu des arts décoratifs français sur lesquels il publie régulièrement en France et dans le monde anglo-saxon. Il a enseigné à l’Université Paris-Sorbonne et effectué des missions pour le Mobilier national et le château de Versailles. Il a par ailleurs été accueilli comme research fellow au Metropolitan Museum of Art à New York et au Getty Research Institute, à Los Angeles.
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