Mini/Maxi. Questions d’échelles…
Appel à contributions pour le n° 77 de la revue Histoire de l’art
Sous le titre « mini/maxi », la revue Histoire de l’art souhaite s’interroger sur la taille et sur l’échelle des œuvres, entre surdimensionnement colossal et miniaturisation précieuse. À partir du IIe siècle avant J.C., les textes du canon des Sept Merveilles du monde antique constituent certainement la plus connue des célébrations de ces réalisations humaines, dans lesquelles la taille gigantesque et les performances techniques que cette dernière implique jouent un rôle essentiel. Dans la littérature ancienne à leur propos et par la suite encore, la valeur accordée à l’échelle monumentale repose fondamentalement moins sur des critères esthétiques que sur l’admiration suscitée par ces prouesses techniques de l’esprit humain, tendant à rivaliser avec les grandes œuvres de la nature[1]. On cultive le goût pour l’hyperbole dans le gigantisme, comme l’illustre le projet de sculpter le mont Athos en forme d’une statue gigantesque d’Alexandre. Ce mode héroïque du gigantisme de l’échelle ne peut cependant être dissocié des mécanismes conjoints de la réduction et de la miniaturisation, ainsi que l’a récemment souligné P. Binski en observant la concomitance entre l’accroissement en taille des grands chantiers religieux gothiques, du XIIe au début du XIVe siècle, avec l’étonnante hyper-miniaturisation de certaines formes artistiques telles que les ivoires parisiens ou l’enluminure contemporaine[2]. De telles œuvres réduites s’inscrivent, pour leur part, dans la longue durée d’une fascination pour les objets et les images minuscules, reposant sur ces effets de multum in parvo et relevant plus volontiers du registre de l’intime, sinon du secret : le poète Posidippe, dans l’Alexandrie des premiers Ptolémées consacrait une partie de son recueil – retrouvé et publié en 2001 – aux œuvres de glyptique qui faisait passer de la gemme la plus miniaturisée à la grotte immense et précieuse.
Ces deux extrémités de l’échelle de l’œuvre – image, figure ou bâti – ne peuvent donc se concevoir l’une sans l’autre et paraissent constituer deux aspects opposés mais complémentaires d’un même registre héroïque du geste créateur. G. Bachelard ne disait pas autre chose lorsqu’il écrivait que « le minuscule, porte étroite s’il en est, ouvre un monde nouveau, d’un monde qui, comme tous les mondes, contient les attributs de la grandeur. La miniature est un des gîtes de la grandeur[3] ». C’est en effet bien la confrontation de ces deux échelles que l’on souhaite interroger ici. Plus exactement, nous nous proposons d’accueillir dans ce numéro des travaux traitant tout autant de la taille des œuvres que des effets produits par la juxtaposition, sinon le télescopage, des échelles, ainsi que des études sur la description de ces œuvres qui analysent les effets d’échelle. Ces effets présents dans l’œuvre – ou constitutifs de l’œuvre – ne sont-ils ainsi employés que comme les outils d’une captatio benevolentiae destinée à susciter la fascination du spectateur (ou l’admiratio du fidèle pour la scholastique médiévale, par exemple), comme dans la sculpture de Ron Mueck ou, à l’autre extrémité du spectre, dans les noix de prières flamandes du XVIe siècle ? Les ressorts sont-ils les mêmes entre les logiques hiérarchiques induites par l’ordre colossal des canons vitruviens et les agapes de nanotechnologie présentes dans les dais de microarchitecture flamboyante ? Le titre donné à ce numéro (mini/maxi) est conçu pour signaler que le maximum et le minimum constituent des bornes avec lesquelles cette dialectique du (très) grand et du (très) petit entretient un rapport nécessairement asymptotique. C’est précisément par l’effacement de ces limites absolues que les effets de l’échelle prennent toute leur force d’inspiration.
Différents axes peuvent être envisagés pour les travaux appelés à être publiés dans ce numéro. Parmi ceux-ci, citons :
- Les conditions pratiques, techniques et matérielles de la réalisation de ces œuvres, les effets, les conséquences et les contraintes de la surenchère artisanale ou artistique vers le très grand ou le très petit. Les stratégies d’individuation et de distinction sociale ou économique présentes derrière cette surenchère compétitive (de la part des créateurs comme des commanditaires). Les conditions de la reproduction des œuvres (ou dans les œuvres) et leurs conséquences pour celles-ci pourront ici être également évoquées.
- Les contraintes de la commande dans l’adoption des formes monumentales ou minuscules. Plus pragmatiquement par exemple, le rôle du marché dans la standardisation des échelles et, par contraste, le statut d’exceptionnalité des acteurs que ces tailles extrêmes peuvent signaler (depuis Jeanne d’Évreux ou les prouesses de miniaturisation antique jusqu’aux commanditaires de la Burj Khalifa à Dubaï)
- Les conditions de monstration et d’exposition des objets pourront également être abordées : depuis les savantes mises en scène décrites par Antoine Schnapper dans Le géant, la licorne et la tulipe, jusqu’aux Unilever Series dans la halle aux turbines de la Tate Modern à Londres, les jeux d’échelles sont au cœur même de l’histoire des musées et de la muséographie.
- Les effets de hiérarchisation que les jeux d’échelle induisent et, conséquemment, l’ordre du monde que ces œuvres signalent visuellement. Ce sont aussi les problèmes de la réception des œuvres, qui projette l’échelle d’évaluation en introduisant une norme et un écart de grandeur, qu’on souhaite voir être soulevés. Tout autant que les questions touchant à leur rôle de mirabilia et à la psychologie de la perception.
Le numéro est coordonné par Jean-Marie Guillouët et François Queyrel
Les jeunes chercheurs intéressés sont invités à envoyer un synopsis d’une page avant le 10 juillet 2015 avec un titre et une présentation de l’auteur en 2-3 lignes à l’adresse mail suivante : revueredachistoiredelart@gmail.com. Une première sélection sera effectuée par le comité de rédaction qui invitera les contributeurs potentiels à remettre leur article pour le 25 août 2015. Un choix définitif sera fait alors.
Rappel : les articles font 30-35 000 signes et sont illustrés de 8 photographies.
[1] Walter Cahn, Masterpieces: Chapters on the History of an Idea, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 29-31.
[2] Paul Binski, « The Heroic Age of Gothic and the Metaphors of Modernism », Gesta, 52, n° 1 (2013), p. 3-19.
[3] Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, PUF, 1957, p. 148.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.