Résumé en français du colloque : Surrealism in the United States (Paris, 27-29 nov. 2017)

Exhibition catalogue Fantastic Art, Dada, surrealism, Museum of Modern Art, New York, 1936. (rayogramme by Man Ray)

Networks, Museums and Collections
Surrealism in the United States

Centre Allemand d’Histoire de l’Art
Paris, 27 – 29 novembre 2017

Résumé en français de la conférence par Alice Ensabella et Anne Foucault
Pour un compte rendu plus détaillé en anglais, voir : http://blog.apahau.org/compte-rendu-de-colloque-surrealism-in-the-united-states-paris-27-29-nov-2017/

Les 27, 28 et 29 novembre derniers eut lieu à Paris, au Centre allemand d’Histoire de l’art, la conférence Networks, Museums and Collections. Surrealism in the United States. Cette conférence fut la quatrième manifestation organisée en coopération avec le Labex Arts H2H par le projet Le surréalisme et l’argent. Galeries, collectionneurs et médiateurs,  qui étudie le rôle des collectionneurs privés, des musées, des expositions et des collectionneurs, aussi bien que les stratégies des artistes eux-mêmes, dans le succès global rencontré par le Surréalisme au XXème siècle.
Cette dernière conférence, qui peut être considérée comme le point culminant des recherches menées par ce projet, a été organisée avec le soutien essentiel de la Terra Foundation, permettant ainsi à quatorze chercheurs, commissaires d’exposition et professeurs américains de se réunir autour de ce sujet à Paris et de se joindre à plusieurs spécialistes européens. Cet événement se proposa de révéler et d’analyser le réseau complexe de galeries, marchands, collectionneurs et autres agents de médiation qui ont encouragé et soutenu le surréalisme en Amérique du Nord.

Lors de la première journée, les intervenants présentèrent trois exemples d’interactions entre des collections privées d’art surréaliste et des institutions publiques aux États-Unis, où, à la différence de l’Europe, les musées devinrent rapidement des acteurs importants de la diffusion du surréalisme.
L’intervention de Susan Davidson souligna le rôle central joué par Peggy Guggenheim dans la constitution d’un véritable goût pour l’art surréaliste aux États-Unis, à travers sa collection personnelle et la visibilité qu’elle lui donna dans sa galerie Art of this century. Clare Elliott se concentra pour sa part sur la relation entre les collectionneurs Dominique et John de Menil et leur marchand, Alexander Iolas. Celui-ci incita le couple à acquérir les oeuvres de plusieurs artistes surréalistes, dont certaines firent par la suite l’objet de donations à des institutions muséales américaines, là encore à l’initiative de Iolas. Enfin, l’intervention d’Olivier Tostmann permit de comprendre l’action de James Thrall Soby en faveur de la diffusion du surréalisme au sein du Wadsworth Atheneum Museum of Art à Hartford (Connecticut), ainsi que les liens entre sa collection personnelle et la politique d’acquisition et d’exposition du Wadsworth Atheneum et du MoMA, où Soby fut également en fonction.
La journée se conclut sur une étude en profondeur de Fantastic Art, Dada, Surrealism, vaste exposition organisée par Alfred H Barr au MoMA en 1936. Anne Umland en présenta avec précision l’accrochage, qui eut un impact déterminant sur la manière dont furent exposées par la suite les collections surréalistes du MoMA. L’exposition de 1936, qui suscita plusieurs acquisitions de la part du musée, fut en effet le point de départ d’une présence quasi-constante du surréalisme dans les accrochages des collections permanentes.

La seconde journée de la conférence fut dédiée à l’étude de la diffusion conceptuelle et marchande du surréalisme aux États-Unis, que celle-ci soit le fait d’instances extérieures au groupe surréaliste ou qu’elle soit au contraire effectuée par les surréalistes eux-mêmes.
Sandra Zalman
revint sur l’exposition de 1936 organisée par Alfred H Barr, mais cette fois-ci en se penchant sur ses retombées dans le domaine marchand et publicitaire, première étape vers une diffusion des formes surréalistes dans la culture populaire américaine. Martin Schieder se focalisa sur une exposition personnelle de Dalí qui présenta en 1943 une série de portraits de personnalités de la haute société américaine, en montrant la façon dont l’artiste désirait se placer dans la filiation des grands maîtres pour séduire une clientèle mondaine.
À rebours de ces stratégies commerciales, plusieurs actions collectives des surréalistes pour faire connaître leur mouvement aux États-Unis furent ensuite présentées. Ainsi des conférences et expositions organisées en 1941 par Gordon Onslow Ford à la New School for Social Research, dont Caterina Caputo montra l’influence sur une nouvelle génération de peintres intéressés par les possibilités plastiques de l’automatisme (parmi eux, Arshile Gorky et Jackson Pollock). Un an plus tard et toujours à New York, se tint First papers of surrealism, exposition collective chapeautée par Breton et Duchamp. James Housefield proposa une interprétation inédite de cette exposition, en montrant comment la scénographie de Duchamp (aussi bien que différentes occurrences du catalogue) visait à faire prendre conscience aux différents visiteurs de marque – et donc acheteurs potentiels – de cet événement le conflit en cours en Europe. Dernier exemple d’une manifestation collective surréaliste sur le sol américain, nous amenant cette fois-ci au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, l’exposition Bloodflames, organisée par Nicolas Calas en 1947, fut analysée par Effie Rentzou comme une suite logique des manifestations organisées auparavant par Onslow Ford. Elle souligna particulièrement la création d’un véritable espace magique, par l’action conjuguée des œuvres exposées et de la scénographie pensée par Frederick Kiesler. Daniel Belasco présenta la première étude portant sur la Norlyst Gallery, dirigée par Eleanor Lust et son compagnon Jimmy Ernst, en insistant sur l’implication de plusieurs artistes femmes dans l’activité de la galerie : Jacqueline Lamba, Louise Nevelson et tout particulièrement Louise Bourgeois.
Enfin, deux communications envisagèrent l’activité de diffusion et de promotion des artistes surréalistes d’un point de vue individuel. Scarlett Reliquet se pencha sur le cas complexe de Marcel Duchamp. Prenant pour point de départ l’installation définitive de l’artiste aux États-Unis  en 1942, elle montra l’évolution de son attitude vis-à-vis de la promotion de son œuvre: Duchamp passa d’une posture ironique et distante à une implication réelle dans le processus de conservation et de diffusion de son travail. En ce qui le concerne, René Magritte put compter pour la diffusion commerciale de son œuvre aux États-Unis sur son marchand Alexander Iolas, qui, comme le montra Julie Waseige, agit directement sur la production de Magritte en incitant l’artiste à répondre aux désirs esthétiques de ses acheteurs américains, au nombre desquels le couple De Menil.

La dernière journée se consacra au rôle des galeristes et des marchands dans la diffusion du surréalisme aux États-Unis. La galerie Julien Levy à New York fut pionnière en la matière, puisqu’elle exposa des artistes surréalistes dès 1932. L’étude d’Anne Helmreich permit cependant de constater que les activités du galeriste mêlaient à la fois des choix novateurs (notamment dans son étroite collaboration avec des musées) et d’autres plus traditionnels, hérités de la stratégie “marchand-critique” du XIXème siècle. A l’autre bout des États-Unis, la courte mais significative expérience de la Copley Gallery à Los Angeles, qui n’ouvrit que pour quelques mois en septembre 1948, fut analysée par Timea Andrea Lelik. Son intervention montra que si l’entreprise fut un échec sur le plan économique, elle permit néanmoins au surréalisme de connaître une première diffusion dans la Californie conservatrice de l’après-guerre.
Rachel Kaplan
se focalisa sur la Galeria de Arte Mexicana qui, tout en étant basée dans la capitale mexicaine, fut au cœur d’intenses échanges artistiques entre le Mexique et les États-Unis, favorisés par la tenue en 1940 de l’Exposition Internationale du Surréalisme dans ses murs. Sa directrice, Inés Amor, collabora étroitement avec des institutions comme le MoMA ou le Philadelphia Museum of Art, en particulier en prêtant des œuvres lors d’expositions, et assurant ainsi la diffusion de l’art contemporain mexicain.
Deux interventions portèrent sur la dernière Exposition Internationale du Surréalisme sur le sol américain, Surrealist entrance in the enchanters’ domain, qui eut lieu pendant l’hiver 1960-1961 aux D’Arcy Galleries à New York. Susan Power présenta les conflits qui opposèrent les surréalistes au galeriste, qui n’avait qu’une faible connaissance du surréalisme et fit en sorte de minimiser la dimension érotique de l’exposition. Le Surréalisme parvint néanmoins, au moyen de l’accrochage des œuvres, à insister sur sa dimension internationale et sur ses plus récentes évolutions. Lewis Kachur insista quant à lui sur le rôle joué par Marcel Duchamp dans cette exposition, aussi bien dans la scénographie que dans la présence d’œuvres de Robert Rauschenberg et Jasper Johns, déjà exposées à Paris un an auparavant lors de l’exposition E.R.O.S.. Lewis Kachur fit également remarquer que l’exposition fut pour le sculpteur cubain Agustín Cardenás à l’origine d’une diffusion de son œuvre aux États-Unis.
Les deux dernières interventions de la conférence présentèrent différents aspects de ce que l’on pourrait qualifier de « surréalisme américain ». Wendy Grossman exposa la complexité de la réception de Man Ray aux États-Unis: l’artiste étant perçu dans son pays natal comme un photographe européen, il y connut tout d’abord le succès par le biais de ses rayographes, assimilés à une expression avant-gardiste européenne. Le photographe fit preuve, à l’instar de son ami Marcel Duchamp, d’une posture ironique vis-à-vis de la diffusion de sa production. Mary-Ann Caws revint quant à elle sur la réception américaine de Joseph Cornell, dont la carrière ne connut pas les développements internationaux de celle de Man Ray, mais qui fut défendue aussi bien par le galeriste Leo Castelli que par le peintre Robert Motherwell.

Plusieurs points fondamentaux furent soulevés par ces trois jours de conférence. Tout d’abord, un nombre remarquable d’agents (conservateurs, collectionneurs privés, marchands, galeristes) impliqués dans la promotion et le soutien du Surréalisme et des artistes surréalistes, non seulement à New York, mais également dans des foyers moins connus, comme Hartford, Houston, Philadelphie ou Los Angeles, furent identifiés.
Les différentes présentations et discussions mirent également en évidence un aspect fondamental du destin du surréalisme aux États-Unis : les artistes surréalistes ont très rapidement trouvé place dans  les institutions muséales, à commencer bien sûr par le Museum of Modern Art de New York. En comparaison avec l’Europe, l’art surréaliste est entré très rapidement dans les collections publiques américaines, et il fut présenté au public dès les années 1930 comme un mouvement artistique établi.
En ce qui concerne les modalités d’exposition de l’art surréaliste, les conservateurs de musée et les marchands américains privilégièrent une approche formelle, initiée par l’exposition de Barr en 1936. Cette vision, qui permit au Surréalisme de devenir rapidement une esthétique à la mode aux États-Unis, pris le dessus sur celle, plus théorique, idéologique et poétique, proposée par le groupe surréaliste lui-même. Il est en ce sens intéressant de comparer les attitudes des deux membres du mouvement qui, suite à ces trois jours de conférence, peuvent apparaître comme les meilleurs médiateurs de l’art surréaliste aux États-Unis, Marcel Duchamp et Salvador Dalí. Si le premier se montre plus proche du groupe parisien et de son intégrité idéologique, le second a consciemment et explicitement joué avec la commercialisation de ses œuvres et la construction de son image, indépendamment des directives artistiques et politiques du groupe.
Ainsi, suivant les propos de Lewis Kachur à la fin de sa communication, on pourrait affirmer que « Le Surréalisme voulut s’emparer de l’Amérique, mais ce fut l’Amérique qui s’empara du Surréalisme ».

Alice Ensabella
2017-2018 Post-doctoral Fellow au Center for Italian Modern Art, New York
ensabella@italianmodernart.org
alice.ensabella@gmail.com

Anne Foucault
Doctorante en Histoire de l’art contemporain, Université de Paris Nanterre, Paris
a.foucault84@gmail.com

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