L’active réflexion menée, à partir des années 1730, sur les vestiges antiques de Campanie et, simultanément, sur l’ornementation rocaille des temps modernes, dépasse largement le débat d’ordre matériel et technique sur la pratique des arts décoratifs. Cette réflexion engage avant tout, pour l’homme des Lumières, une idéologie a priori : celle d’une possible régénération des arts et des institutions, inscrite elle-même dans un projet, à la fois politique et moral, d’un nécessaire progrès des mœurs. Avérés et documentés, ces questionnements sur l’ornement déterminent également, a posteriori, l’approche historiographique de l’art du siècle des Lumières. En effet, dès l’établissement d’une histoire des styles au XIXe siècle, l’ancien discours critique sur la rocaille est clairement désigné comme l’« amorce » d’un renouveau concret de la production artistique, censé tout à la fois préparer et opérer l’œuvre de Jacques-Louis David ou de Claude-Nicolas Ledoux. En résultent la normalisation et la partition du siècle des Lumières en deux périodes stylistiques (toujours admises aujourd’hui), toutes deux définies et opposées par des néologismes spécifiques : l’art « rococo », contre l’art « néoclassique ». Ce qui revient à penser le projet artistique des Lumières, et notamment l’histoire ornementale, en stricts termes d’« émulation » ou de « résistance » à l’antique – à l’instar de la récente exposition L’Antiquité rêvée présentée en 2010 au musée du Louvre.
Clairement progressiste et évolutionniste, ce schéma d’analyse de l’histoire de l’art des Lumières – aujourd’hui encore si prégnant – résiste pourtant difficilement à l’épreuve des faits. C’est l’enjeu de ces trois interventions de le souligner, par l’examen précis des positions intellectuelles et artistiques de trois figures ciblées : Germain Boffrand, Charles-Nicolas Cochin et Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy.
A contrario d’une histoire de l’art normalisée, il convient tout d’abord de pointer le décalage qui, bien souvent, oppose alors la réflexion critique sur la rocaille, et la pratique ornementale elle-même. Ce clivage montre par ailleurs que l’idée d’une « régénération des arts » sur le modèle de Rome, d’Herculanum, de Paestum ou d’Athènes tient avant tout, au siècle des Lumières, d’une construction intellectuelle et d’une manœuvre stratégique ; soit, d’un mythe, autorisé il est vrai, dès le XVIIIe siècle, par l’optimisme historique de plusieurs intellectuels, amateurs et artistes, et dont il convient de questionner les motifs et les raisons idéologiques.
Communications de Rossella Froissart, Marie-Pauline Martin, Magali Théron
Séminaire d’histoire moderne
Mercredi 30 janvier 2013, 14h30-15h
Université d’Aix-Marseille, MMSH, Salle Duby
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