Séminaire : « Usages et valeurs du noir » (Paris, 2021-2022)
Séminaire proposé par Hélène Campaignolle, Isabelle Charrier et Marie Laureillard, CEEI-THALIM, à l’INHA, 2 rue Vivienne, 75002 Paris (résumé à envoyer jusqu’au 13 juillet).
Dates prévues :
Séance 1 : 7/09 14h-17h en Mariette
Séance 2 : 12/10 14h-17h en Mariette à 14h-17h
Séance 3 : 23/11 14h-17h en Benjamin
Séance 4 : 01/02 14h-18h en Benjamin
Séance 5 : 22/03 14h18h en Benjamin
Séance 6 : 5/04 14h-17h en Benjamin
Séance 7 : 3/05 14h-18h en Mariette
Séance 8 : 7/06 9h-18h en Benjamin
Le séminaire « Usages et valeurs du noir », proposé dans le cadre du CEEI à partir de septembre 2021, se donne pour but d’explorer la richesse conceptuelle de la notion de noir et la multiplicité des enjeux qu’elle ouvre dans l’étude du texte, de l’écriture, de l’image, des formes mixtes. Les théories esthétiques et sémiotiques du noir, les fonctions et usages du noir dans les écritures et les arts graphiques, le rapport vide / plein dans la création, le vocabulaire du noir (comparaisons linguistiques et constructions culturelles), le rôle du noir en littérature pourront être abordés.
Divers auteurs ont approché la notion de noir selon des orientations épistémologiques variées (Anne-Marie Christin, Michel Pastoureau, Gérard-Georges Lemaire, Annie Mollard-Desfour…), à l’aide de concepts tels que l’empreinte, la plénitude, la transgression, l’ambiguïté, etc. « Dans la nature, le noir n’apparaît pas aussi spontanément que le blanc (…) Et le charbon, ce corps si hautement remarquable, nous présente la couleur noire. (… Une réduction produit la couleur noire. C’est ce qui arrive quand on fabrique de l’encre. » écrit Goethe dans son Traité des couleurs (1810).
Anne-Marie Christin voit dans le noir tantôt un révélateur d’existence par le seul effet de contraste qu’éveille un de ses traits sur du blanc, tantôt un espace riche d’emblée à l’infini d’une massive épaisseur de nuit (Silences du noir) : le noir évoque tout naturellement l’ombre et l’obscurité. La nuit noire exerce sur l’homme une puissante fascination en le confrontant à ses limites : limites de ses capacités sensorielles, mais également limites dans la perception de l’infini de l’univers qui nous renvoie au mystère des trous noirs et de la matière noire. Celle-ci, invisible, n’est révélée que par son pouvoir de perturbation de la matière visible. Le noir, optiquement, est d’abord la négation de la lumière. Il est la couleur de la nuit, par opposition à la clarté du jour, donc de tous les fantasmes, fantômes, esprits maléfiques qui nourrissent l’imagination. Le test de Rorschach (1921) est basé sur l’interprétation de taches d’encre noire : on parle à ce sujet de choc du noir, qui aurait un effet déclenchant sur l’imaginaire. Au contraire du blanc, le noir semble marquer « l’amoindrissement, voire la disparition de tout processus perceptif » (Florence de Mèredieu).
Nous réfléchirons à la question fondamentale de l’ombre et de la lumière et aux contrastes. Le clair-obscur, connu depuis l’antiquité, abandonné au Moyen Âge, repris à la Renaissance avec Léonard de Vinci, Le Caravage et Rembrandt, demeure la technique picturale incontournable dans la représentation de la profondeur, comme l’utilisation de la chambre noire pour la perspective linéaire jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Les diverses matières du noir (peinture à l’huile, pierre noire pour le dessin, peinture à l’encre d’Extrême-Orient, laque, céramique) seront également considérées. Le noir est étroitement associé à la pensée de l’empreinte : estampage, estampe, typographie, xylographie, manière noire en gravure, imprimé, photographie, électrographie, cinéma… Nous interrogerons la notion de « monde en noir et blanc », qui, en Europe, serait apparue au XVIe siècle avec l’essor de l’imprimerie : toutes les images médiévales, ou presque, étaient polychromes. Or l’immense majorité des images de l’époque moderne, circulant dans le livre et hors du livre, sont en noir et blanc. Le développement de la gravure a contribué à développer un art majeur en noir et blanc. « La photographie ne fait que prolonger et accentuer des pratiques vieilles de plus de trois siècles. » (Pastoureau) Le XXe siècle voit triompher le noir : le cinéma expressionniste en fait le fondement de son esthétique, tout comme certaines œuvres picturales. Nombreux sont les peintres à avoir décliné de nouvelles expressions à partir du noir, de Soulages à Franz Kline, de Michaux à Ad Reinhardt. « Le noir est une couleur en soi qui résume et consume toutes les autres. » (Matisse) « La chose principale, dans le suprématisme, ce sont les deux bases : les énergies du noir et du blanc, noir et blanc qui servent au dévoilement de la force de l’action. » (Malevitch) Une recherche d’élégance typographique a prévalu également, notamment dans les hypergraphismes. Le noir et blanc est devenu si familier que lorsque se développeront la photographie, le cinéma et la télévision en couleur, ils seront d’abord jugés vulgaires et tape-à-l’œil.
La peinture monochrome de l’Asie orientale fera l’objet d’une attention particulière : la dualité noir/blanc, foncé/clair, dense/clairsemé doit se comprendre comme une émanation du binôme cosmique des deux principes opposés et complémentaires qui donnent naissance à tous les phénomènes entre ciel et terre, le Yin et le Yang. Il en va de même en calligraphie, où le signe d’écriture doit sa valeur au noir, qui ne se conçoit qu’en rapport avec le blanc. Le noir est également la couleur du chaos primordial (玄xuan), que l’on retrouve dans la mythologie Shintô. L’esthétique de l’obscurité (闇 yami) au Japon est la base de l’architecture de la maison de thé et du théâtre nô. La vision de la nature plongée dans l’ombre se retrouve comme un leitmotiv dans la poésie, la fiction et la peinture.
En littérature, la couleur noire caractérise certains genres ou courants (roman noir, roman gothique, romantisme noir) par les valeurs symboliques qu’elle incarne : ainsi, dans la religion chrétienne, elle est associée au mal, aux péchés, aux démons, « figures de l’ombre [qui] se complaisent davantage dans l’encre du graveur que dans les pigments du peintre » au XIXe siècle (Valérie Sueur-Hermel, Soleils noirs, 2020, p. 43). Le mouvement romantique fait du noir une couleur à part entière en l’identifiant aux états d’âme liés à la nuit, à la mélancolie, au mal d’être. Le noir évoque aussi la révolution industrielle, le charbon, la fumée des usines, le goudron, comme en témoigne le roman français La ville noire de George Sand (1860). Certains poètes s’emparent de cette teinte, tels Gérard de Nerval, Charles Baudelaire ou, plus tard, René Char. « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé » déclare Gérard de Nerval. « La couleur noire renferme l’impossible vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus, de tous les paroxysmes. » écrit René Char (Fureur et mystère, 1948, p. 230).
L’aspect mystérieux, fantastique ou subversif du noir apparaît également dans certains faits linguistiques. Dans toutes les langues européennes, il existe ainsi de nombreuses locutions d’usage courant qui soulignent la dimension secrète, menaçante ou funeste du noir. Citons, pour le français, « marché noir », « travail au noir », « mouton noir », « bête noire », « liste noire », « livre noir », « trou noir », « série noire », « messe noire », « avoir des idées noires », « broyer du noir », « marquer d’une pierre noire », etc. » (Pastoureau). Avec la Réforme, le noir s’imposa comme couleur vestimentaire de la bourgeoisie protestante par opposition aux fastes colorés de l’aristocratie catholique. Au XIXe siècle, le noir fut revalorisé comme la couleur de la distinction et de la richesse à travers la mode. En Asie orientale, la couleur noire n’a, à l’origine, rien de négatif : elle représente impartialité, honnêteté et justice sur les visages peints de l’opéra de Pékin.
Les interventions pourront relever de diverses aires géographiques (en particulier l’Occident et l’Asie orientale, sans en exclure aucune autre) et de multiples disciplines. Le séminaire se déroulera tous les deux mois à l’INHA à raison de deux conférences en deux heures entre septembre 2021 et juin 2022 et se conclura par une journée d’étude en juin 2022. Les dates des séances seront indiquées prochainement. Une publication sera prévue à l’issue du séminaire. Les propositions (résumés accompagnés de mots-clés et d’une bibliographie et d’une mini-biographie de l’auteur), en français ou en anglais, pourront être envoyées jusqu’au 13 juillet 2021 à Isabelle Charrier et Marie Laureillard aux deux adresses suivantes : le-mat.isabelle@orange.fr et mlaureillard@free.fr
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