Appel à communication : « ‘Écouter est un art’ : Figures d’auditeurs au XIXe siècle » (Nanterre, 13 janvier 2017)

Grandville, Berlioz dirigeant un orchestre, dans Louis Reybaud, " Jérome Paturot à la recherche d'une position sociale", Paris, 1846On a pu observer ces dix dernières années un intérêt croissant pour la notion d’écoute ; en témoignent notamment l’ouvrage majeur de Martin Kaltenecker, qui s’attache à reconstituer une histoire des discours sur l’écoute entre le XVIIIe et le XIXe siècle, ou encore les travaux de Peter Szendy qui déploient l’éventail des pratiques et des techniques auditives qui jalonnent « l’histoire de nos oreilles ». Dans les nouvelles ou les romans comme dans l’iconographie musicale au sens large, on connaît l’aura dont le XIXe siècle dote les interprètes et les compositeurs (voir à ce sujet le futur colloque international intitulé « Le compositeur dans la littérature », organisé par le CRLC Paris-Sorbonne les 8 et 9 décembre 2016). Mais on a peut-être, dans le champ littéraire, moins pris la mesure des nouveaux régimes d’écoute : la musique se démocratise peu à peu, elle arrive dans les foyers par des relais – que l’on pense au piano ou aux instruments mécaniques – qui bouleversent l’accès, le statut et la valeur des airs qui parviennent désormais jusqu’à tant d’oreilles. En cherchant à prolonger l’écho de ces travaux en dehors du discours technique sur la musique, il s’agira de proposer une réflexion autour des figurations de l’écoute musicale dans le champ des productions littéraires et picturales européennes au XIXe siècle. Il faudra tendre l’oreille vers les représentations de l’écoute, vers ce que nous montrent ou nous font entendre les représentations littéraires et picturales d’une perception en pleine mutation.

À la suite du travail mené à l’université Toulouse Jean Jaurès sur les « Figure(s) du musicien : corps, gestes, instruments en textes » en juin 2013, nous aimerions porter l’attention sur le spectacle qui se déroule dans la salle, et même dans le creux de l’oreille, en mesurant les techniques narratives ou picturales qui donnent à imaginer destinataires de la musique et autres figures d’auditeurs. La critique musicale joue à ce titre un rôle majeur : comme l’ont très bien montré les travaux d’Emmanuel Reibel, la presse ne cesse de forger des portraits d’auditeurs qui constituent un modèle essentiel pour la littérature et la peinture ; c’est là en effet que se forgent, à chaud, les modes de représentation, voire les stéréotypes, de l’écoute musicale et des postures d’auditeurs.

De nombreuses pistes peuvent être ainsi envisagées :
En s’appuyant sur la typologie proposée par Martin Kaltenecker qui distingue l’écoute-imagination, l’écoute réflexive/sérieuse, l’écoute-sublime, etc., on pourra s’interroger sur les modalités d’écoute envisagées par le corpus littéraire et iconographique du XIXe siècle et tenter de mettre au jour les techniques mises en œuvre par les artistes pour figurer un type d’écoute donné. Qu’en est-il également dans la presse musicale et dans les nombreux comptes rendus de concerts ? La notion d’écoute fétichiste aurait ici toute sa place, telle qu’elle a pu être théorisée par François J. Bonnet, où l’auditeur incarne à la fois « le fétichiste et le féticheur ».

On pourra s’intéresser ainsi au lien entre le corps et l’écoute, au corps à l’écoute, à la représentation de l’oreille dans les moments d’écoute, etc. A ce titre, on peut penser à l’importance que revêt la représentation du système nerveux dans la littérature romantique allemande et que l’on retrouve notamment sous la plume de Balzac dans Sarrasine.
Comment l’écoute s’inscrit-elle dans un lieu ? On pourra s’interroger sur les différents lieux d’écoute et voir s’ils conditionnent le même régime et rapport à l’écoute : entre une écoute mondaine, dans un lieu de spectacle et une écoute privée, intimiste, voire solitaire, les modalités d’écoute sont-elles les mêmes ?

En corollaire de cette sociologie des lieux d’écoute représentés, on pourra aussi se demander s’il existe une modalité d’écoute au féminin et dans quelle mesure les études sur le genre peuvent offrir une grille pertinente pour aborder ces figures d’auditeurs et d’auditrices.

Il serait également intéressant de réfléchir à toutes les caricatures littéraires, picturales et issues de la presse musicale des figures d’auditeurs qui circulent au XIXe siècle : comment représente-t-on un mauvais auditeur ?

Comment parvient-on à donner à entendre au lecteur ou au spectateur ce qui est écouté ? Peut-on penser l’écoute à l’œuvre dans le processus de lecture d’une œuvre, dans le corps-à-corps entre les mots et les sons intérieurs ?  On pourra réfléchir dans cette optique à l’herméneutique musicale à l’œuvre dans la mise en scène de l’écoute : comment la transcription d’une expérience d’écoute est-elle déjà une manière d’interpréter la musique et de lui donner une sens ?

Enfin, nous aimerions que la réflexion conduite sur l’écoute et les figures d’auditeurs permette d’intégrer des communications centrées sur des œuvres picturales. Comme l’ont très bien montré les travaux de Philippe Junod, l’iconographie du XIXe siècle s’attache elle aussi à représenter massivement des personnages d’auditeurs.

Les propositions de communications (300 mots environ) sont à renvoyer avant le 15 septembre 2016 aux deux adresses suivantes :
lebarbier.amandine@u-paris10.fr
damien.dauge@gmail.com.
 
Comité scientifique
Emmanuel Reibel, (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Peter Szendy (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
Timothée Picard (Université Rennes II)
Frédéric Sounac (Université Toulouse II Jean Jaurès)

Bibliographie indicative

GÉTREAU Florence, Voir la musique, Les sujets musicaux dans les œuvres d’arts du XVIe au XXe siècle, catalogue d’exposition, Musée départemental de l’abbaye de Saint-Riquier, Musée de Millau, Musée de Cambrai, Musée des Beaux-Arts de Carcassonne, Cambrai, 2009, 153 pages.

JUNOD, Philippe, La Musique vue par les peintres, Lausanne, Edita S.A, 1988, 143 pages.

De l’archet au pinceau, Rencontres entre musique et arts visuels, ouvrage publié sous la direction de Philippe Junod et Sylvie Wuhrmann, Lausanne, Éditions Payot, 1996, 205 pages.

JUNOD, Philippe, Contrepoints, Dialogues entres Musique et Peinture, Genève, Éditions Contrechamps, 2006, 217 pages.

JUNOD Philippe, « Voir écouter, Pour une iconographie de l’auditeur », dans Terrain, n°53, 2009, p. 10 à 27.

KALTENECKER, Martin, L’oreille divisée, Les discours sur l’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles, éditions MF, collection « Répercussions », 2010, 453 pages.

MERIC, Renaud, L’écoute entre perception et imagination, Paris, L’Harmattan, 2012, 432 pages.

PICARD, Timothée, Âge d’or, décadence, régénération, Un modèle fondateur pour l’imaginaire musical européen, Paris, Classiques Garnier, 2013, 913 pages.

REIBEL, Emmanuel, L’écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, Paris, Champion, 2005, 324 pages.

REIBEL, Emmanuel, Comment la musique est devenue « romantique », De Rousseau à Berlioz, Paris, Fayard, 2013, 464 pages.

SANTURENNE, Thierry, L’opéra des romanciers, l’art lyrique dans la nouvelle et le roman français (1850-1914), Paris, L’Harmattan, collection Univers musical, 2007, 474 pages.

SZENDY, Peter, Écoute, Une histoire de nos oreilles, Paris, Les éditions de Minuit, 2001, 172 pages.

VOUILLOUX, Bernard, Le tournant « artiste » de la littérature française, Écrire la peinture au XIXe siècle, Paris, Hermann Editeurs, 2011, 535 pages.

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