Appel à communication : « Femmes, féminité et parfums au XIXe siècle : Imaginaires olfactifs et construction du genre » (Marseille, 2 octobre 2020)

Appel à communication : « Femmes, féminité et parfums au XIXe siècle : Imaginaires olfactifs et construction du genre » (Marseille, 2 octobre 2020)

Atelier du XIXe siècle – Société d’études romantiques et dix-neuvièmistes

2 octobre 2020

Journée d’étude organisée par : Mathilde Leïchlé (EPHE), Érika Wicky (Lyon 2 / LARHRA), Coline Zellal (Mucem)

Au Mucem, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Marseille)

 Comme les fleurs, auxquelles elles ressemblent beaucoup par leurs qualités et leurs gentils défauts, les femmes répandent leur plus doux et plus enivrant parfum aux premiers rayons du soleil, et au souffle des premières brises du crépuscule du soir… 

Augustin Galopin, Le Parfum de la Femme et le sens olfactif dans l’amourÉtude psycho-pshysiologique, Paris, E. Dentu, 1886, p. 180-181.

 

Dans Le Miasme et la Jonquille, paru en 1982, Alain Corbin montre combien le XIXe siècle français est fasciné par les odeurs qu’il place au cœur de l’imaginaire social de cette période. Or, de l’aveu même de l’historien[1], cet ouvrage lui a été inspiré par la prolifération de références olfactives rencontrées lors des recherches concernant son livre précédent. Dans Les Filles de noce (1979), il s’intéresse aux formes et aux enjeux de la prostitution, cette autre obsession du temps affirmée par l’élaboration du système réglementariste. Si l’odeur apparaît être un facteur de la stigmatisation sociale dont les prostituées font l’objet au XIXe siècle, elle participe également d’autres types de hiérarchisation et de contrôle, tels que la construction des stéréotypes de genre et le classement des femmes non seulement dans l’ordre social, mais aussi sur l’échelle des âges de la vie.

En effet, le discours médical du XIXe siècle dédie ses pages les plus poétiques à l’évolution des odeurs corporelles de jeunes filles que rythment les transitions : puberté, perte de virginité, sentiments amoureux. Quoiqu’elles attendrissent moins les médecins, les odeurs des menstrues et de vieillesse motivent également des jugements de valeur tout comme les caractéristiques telles que la couleur de la peau ou celle des cheveux (Briot, 2007). Alors que la science considérait comme archaïque le recours à l’odorat pour élaborer un diagnostic en raison de l’impossibilité de fonder un savoir sur ce sens, c’est à leur nez que se sont fiés les médecins pour étayer leurs intuitions sur le désir et l’amour. Ainsi, l’olfaction est au cœur du discours médical sur les femmes, tandis que celles-ci et le désir qu’elles suscitent sont, en retour, au centre des recherches menées sur l’odorat durant la seconde moitié du XIXe siècle, ce dont témoignent les titres de plusieurs ouvrages dédiés à cette question : Le Parfum de la Femme et le sens olfactif dans l’amour (Galopin, 1886), Étude critique des odeurs et des parfums : leur influence sur le sens génésique (thèse de doctorat d’Étienne Tardif, 1898), ou encore de La volupté et les parfums ; rapport des odeurs avec le sens génital. Le parfum naturel de la femme (Jean Fauconney, 1903).

Les parfumeurs, dont la production se démocratise et s’industrialise pendant la seconde partie du XIXe siècle, n’ont pas manqué de valoriser le potentiel de séduction prêté aux parfums. Dès la première moitié du XIXe siècle, ils ont ainsi nommé leurs produits d’après de célèbres courtisanes, comme Ninon de Lenclos (Lheureux, 2017) ou ont convoqué l’imaginaire érotique de l’orientalisme, à la faveur d’une association motivée par la provenance de nombreuses matières premières de la parfumerie. Ainsi Gelin a créé l’Eau du Harem, lotion utilisée par Marie Duplessis, inspiratrice de La Dame aux camélias[2]. Par la suite, la parfumerie n’a cessé d’offrir aux femmes non seulement des sachets, des savons, des eaux de senteurs pour parfumer leur corps et leur linge, mais aussi la conviction que, comme les fleurs, « chaque femme doit avoir son parfum[3] ». On propose ainsi aux consommatrices la possibilité de s’associer à leurs héroïnes soit en portant des parfums tels que L’Eau de George Sand ou le Parfum de Claudine, soit en bénéficiant des avis dispensés par des artistes célèbres dans les publicités qui grossissent la presse féminine. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque le parfum commence à se stabiliser sous la forme et la concentration que nous lui connaissons aujourd’hui, il s’impose toujours plus comme l’apanage des femmes. En effet, son usage est déconseillé aux hommes dont la consommation est limitée à des cosmétiques parfumés, mais réputés utiles (savons, crèmes à raser, pommade pour les cheveux). Le parfum, comme toute la parfumerie, s’inscrit ainsi dans le registre du féminin, s’offrant même parfois comme une avenue professionnelle relativement souhaitable pour les ouvrières et les commerçantes. Toutes ces prescriptions et usages en vigueur sont très abondamment relayés par la presse qui connaît un véritable essor au XIXesiècle. La presse féminine se révèle être un vecteur privilégié d’injonctions liées au contrôle des odeurs corporelles et à l’usage de parfums pour soi ou pour la maison, mais aussi un relai de choix pour le discours publicitaire des parfumeurs.

Validé par la médecine et surexploité par la parfumerie, l’association entre femmes et parfums est au cœur des représentations de genre au XIXe siècle : son potentiel est très souvent convoqué dans les narrations de l’époque notamment par Maupassant dans La Fenêtre (1883) ou Notre Cœur (1890) ou encore par Edmond de Goncourt dans Chérie (1884) dont l’héroïne meurt des extases provoquées par les parfums. Évoqués visuellement, les parfums sont aussi suggestifs du désir féminin dans la peinture du XIXe siècle. De nombreux peintres suggèrent les senteurs par les flacons qui accompagnent les femmes à leur toilette, les volutes d’encens, les pots à onguents de Marie Madeleine ou encore les fleurs dont les jeunes respirent les parfums dans une attitude tantôt méditative, tantôt lascive, qui semble faire de la jeune fille humant le pendant olfactif de la jeune fille lisant. De plus, les illustrations publicitaires sollicitées par les parfumeurs à la fin du siècle associent les fragrances au plaisir féminin dans des représentations parfois très évocatrices comme la célèbre publicité pour le lance-parfum Rodo créée par Mucha en 1896.

Des fantasmes orientalisants aux fleurs représentées en femmes en passant par les saintes en extase devant des encensoirs et les sorcières au Sabbat, cet Atelier du XIXe siècle se propose d’envisager les différentes représentations associant les femmes à l’univers des parfums de manière à identifier les présupposés qui sous-tendent ces imaginaires et à comprendre comment ils se sont développés. Quelle part d’histoire du XIXe siècle – notamment d’histoire sociale et d’histoire des sciences – cet axe d’étude nous révèle-t-il ? Comment ces imaginaires sont diffusés dans les arts et les lettres, la presse et la culture ? Quels impacts ont-ils eu sur la vie des femmes contemporaines ?

Ayant vocation à favoriser un dialogue interdisciplinaire, cet appel est ouvert à tou·te·s les chercheur·se·s quelle que soit leur discipline. Les communications auront une durée de 20 minutes et seront suivies de 10 minutes de questions. Les propositions d’environ 300 mots devront être adressées au plus tard le 18 mai 2020, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, à femmesparfums2020@gmail.com.

 

Bibliographie indicative :

Sophie-Valentine Borloz, « Les femmes qui se parfument doivent être admirées de loin », Les odeurs féminines dans Nana de Zola, Notre cœur de Maupassant et L’Ève future de Villier de L’Isle-Adam. Postface de Martha Caraion, Lausanne, Archipel, 2015.

Christina Bradstreet, « Wicked with Roses : Floral Feminity and the Erotics of Scent », Nineteenth-Century World Wide, vol. 6, n°1, 2007.

Eugénie Briot, La Fabrique des parfums : naissance d’une industrie de luxe, Paris, Vendemiaire, 2015.

Eugénie Briot, « Couleurs de peau, odeurs de peau : le parfum de la femme et ses typologies au XIXe siècle », Corps, n°3, 2007, p. 57-63.

Alain Corbin, Le miasme et la jonquille : L’Odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Aubier-Montaigne, 1982

Nélia Dias, La mesure des sens : les anthropologues et le corps humain au XIXe siècle, Paris, Aubier, 2004.

Charlotte Foucher-Zarmanian, « Panique génitale. Fluides menstruels et psychopathologie de la créativité féminine au passage du siècle (XIXe – XXe siècles), Camille Paulhan et Marion Alluchon (dir), publication en ligne sur le site de Paris 1 – HICSA, 2011.

Chantal Jaquet, Philosophie de l’odorat, Paris, PUF, 2010.

Cheryl Krueger, « Decadent perfume : Under the skin and through the Page », Modern Languages Open, Octobre 2014.

Cheryl Krueger, « Lettres parfumées, correspondances fatales », Littérature, n°185, 2017, p.39-54.

Rosine Lheureux, Une histoire des parfumeurs : France 1850-1910, Paris, Champ Vallon, 2016.

Catherine Maxwell, Scents and Sensibility : Perfume in Victorian Literary Culture, Oxford, Oxford University Press, 2017.

Éléonore Reverzy, « Parfum de (petites) femmes : pour une lecture olfactive », Littérature, n°185, 2017, p.55-67.

Hans Rindisbacher, The Smell of Books : A Cultural-Historical Study of Olfaction in Literature, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1992

Érika Wicky, « Ce que sentent les jeunes filles », Romantisme, n°164, 2014.

Érika Wicky, « Parfum de bonté et odeur de sainteté : les enjeux de l’olfaction dans l’éducation religieuse des jeunes filles au XIXe siècle », Arts et Savoirs, n°11, 2019.

Coline Zellal, « Mémoire et images du travail dans les parfumeries grassoises (1900-1950) : les clichés du genre », Genre et Histoire, n°10, 2012.

Coline Zellal, À l’ombre des usines en fleur : Genre et travail dans la parfumerie grassoise (1900 – 1950

[1] « J’avais en effet été frappé, en étudiant la prostitution, par l’insistance avec laquelle la référence olfactive était là pour désigner la personne prostituée. En considérant cette période qui est celle de la construction des types sociaux, de la rédaction des Physiologies, je voulais mieux comprendre l’insistance avec laquelle cette création des types faisait intervenir la référence olfactive. » Alain Corbin, Historien du sensible, Entretiens avec Gilles Heuré, Paris, La Découverte, 2000, p. 57.

[2] Parmi les documents acquis par Johannès Gros, figuraient des factures de parfumerie attestant ce goût (Johannès Gros, Alexandre Dumas et Marie Duplessis : Documents inédits, Paris, Louis Conard, 1923, p.179)

[3] Eugène Rimmel, Le livre des parfums, Paris, Dentu, 1870, p. 171.

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