La vitalité et l’actualité de la pensée franciscaine semblent inséparables de celle du personnage : la modernité de son regard sur le monde et sur les hommes peuvent-elles rencontrer nos préoccupations actuelles ? S’étonner de la fascination presque obsessionnelle éveillée par François c’est d’abord poser la question de son actualité.
Peut-on parler d’une actualité de François d’Assise ? À l’évidence oui au regard de la richesse des productions contemporaines de tous ordres consacrées à cette figure et à ce courant de pensée. L’entreprise de (re)lecture et de mise en image des écrits et de la geste de Saint-François, ainsi que de la personne même du prêcheur/jongleur s’inscrit dans une tradition ancienne et toujours prégnante, à la fois textuelle et iconographique (Giotto, Dante, Caravage…). Dans son récent ouvrage François d’Assise, entre histoire et mémoire (2009), l’historien André Vauchez revient sur «l’exceptionnel rayonnement des idées et surtout de la figure de François» et remarque que « la vérité d’un personnage historique n’est pas séparable de sa transmission ».
Le choix récent d’intégrer au programme des concours (capes et agrégation d’italien) la question « Saint-François d’Assise et le franciscanisme » et le choix du pape récemment élu, « François » premier du nom dans cette fonction, conforte l’intuition selon laquelle la question fondamentale demeure en premier lieu celle d’une actualisation et/ou d’une actualité possible ou impossible de la figure de François. La récente (2014) découverte d’une Vie retrouvée de François d’Assise et l’enthousiasme planétaire qu’elle a suscité renforcent ce sentiment. Il y a trois ans le programme FrancescoVivo a initié une série de travaux portant sur ce thème : Journée d’Études et cycles de séminaires (Actualité de François d’Assise : les origines – Présence dans la littérature contemporaine – Présence dans le cinéma contemporain) http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/laslar. Ces travaux ont mis l’accent sur trois caractéristiques typiques d’une approche contemporaine de François : la constante fascination, le désir d’appropriation et la tentation de l’extrapolation.
Fascination : des récits de vie, anciens ou nouveaux, s’impose avec force le motif de la « fascination » qu’exerce François sur ses contemporains et sur les nôtres : l’historien Raoul Manselli évoque à plusieurs reprises la « fascination et l’attirance » qu’il éprouve pour François et dont il fait un objet d’étude (San Francesco, 1980). « Je suis doublement fasciné par le personnage de François d’Assise» déclare Le Goff dans sa préface (Saint François d’Assise, 1999). « Au XIIIe siècle et à nouveau depuis la fin du XIXe siècle, Francesco d’Assisi a fasciné hommes et femmes et les fascine toujours, plus que jamais même» reprend-il dans sa préface au volume de Chiara Frugoni (Saint François d’Assise, La vie d’un homme, 1999). Dans son avant-propos, André Vauchez évoque « l’importance du personnage et la fascination qu’il n’a cessé d’exercer sur les esprits », ajoutant que « son histoire continue de fasciner et d’impliquer chacun d’entre nous». Jacques Dalarun, le grand spécialiste de la question franciscaine, insiste sur le fait que « François fut un homme exceptionnel» (La malaventura di Francesco d’Assisi, 1996) et sur « la popularité qui fait de lui une figure universelle » (La Vie retrouvée de François d’Assise, 2015). La médiéviste Chiara Frugoni rappelle que « tous, hommes et femmes, étaient fascinés par la prédication de François». Le thème de la fascination exercée par François surgit dans les paratextes avec une constance quasi obsessionnelle.
Appropriation : cette fascination contemporaine semble faire naître un désir commun d’appropriation. La question de savoir qui était le « vrai François » (Le Goff) est sans cesse posée par les historiens et les biographes ; il semble que la réponse apportée par chacun d’entre eux, aboutisse inévitablement à faire émerger une figure qui se présente comme celle de « mon François » (Le Goff) « à chacun son François » (Vauchez). Chiara Frugoni remarque qu’en l’absence d’informations avérées sur son enfance : « force est de s’abandonner, de temps à autre, à une fantaisie raisonnée ».
Extrapolation : fascination jamais démentie et désir d’appropriation sont à l’origine d’une inévitable tentation, celle de procéder à une extrapolation qui conduit à réinterpréter le personnage et sa geste, quitte à proposer des lectures contrastées et même contradictoires. La question se pose alors d’une vérité possible émanant de points de vue qui font de François un homme soumis et respectueux de la hiérarchie ecclésiastique catholique ou bien un homme de rupture qui ne fut reconnu et accepté par l’Église qu’au prix de réécritures et de réévaluations multiples. Il s’agit en sorte de la question des sources, ce qu’on appelle la « question franciscaine » et qui n’est pas le sujet de nos interrogations.
Cependant la controverse surgit sous d’autres formes dans les diverses approches contemporaines qui varient entre l’image d’un François marxiste voire « communiste » (entendu comme au service du bien commun) que l’on trouve chez Pasolini (Uccellacci uccellini, 1956) ou chez Dario Fo (Lu santo Jullàre Françesco, 1999), un François « alter-mondialiste » (Toni Negri et Michael Hardt, Empire, 2000) ou encore un François considéré comme le « premier des écologistes » – François étant à la fois le saint patron de l’Italie, des animaux et de l’écologie – (Agamben dans De La Très haute pauvreté 2011, soutient la thèse d’un François « hors du droit » et donc juridiquement assimilable à « l’animal ») et enfin celle d’un François « inventeur du capitalisme » occidental (Giacomo Todeschini, La richesse franciscaine).
Image fictionnelle : ces considérations, parfois antagonistes, invitent à questionner l’image de François et les conditions de son élaboration car la personne historique de François devient, sous la plume des commentateurs même les plus fidèles, un « personnage ». Ce qui implique un questionnement sur son caractère fictionnel. La notion de « fiction » est au cœur des réflexions et des théories les plus contemporaines. Partant du constat que le concept « d’indiscernabilité » des textes fictionnels et non-fictionnels s’est largement imposé avec le travail de Gérard Genette, on pourra s’ interroger sur la notion de fiction et même de « fictionnalisation » appliquée au personnage de François d’Assise. Il s’agira de savoir comment s’est fabriqué, façonné le personnage, comment et pourquoi s’est élaborée la « figure ». Il s’agira d’explorer le champ de la représentation qui met en jeu le fonctionnement de la pensée et celui de l’imagination et de tenter de cerner la question de l’invention en introduisant la problématique de la vérité et du mensonge.
Cadrage théorique et pratique
Le but du colloque est de contribuer à élaborer une cartographie des multiples discours – textuels et iconographiques – qui prennent François d’Assise pour objet d’étude ou puisant à la source franciscaine. Postulant que c’est à travers le regard des auteurs – narrateurs, poètes, artistes de tous horizons spirituels – que s’élabore un discours vivant et convaincant sur la figure de François d’Assise, les communications porteront sur les modalités expressives, les signes explicites ou implicites et les divers processus de sédimentation qui contribuent à la construction et à la pérennisation de l’image de François d’Assise.
Elles s’intéresseront aux productions littéraires et artistiques contemporaines – seconde moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours – directement ou implicitement nourries par des référents franciscains. Le sujet convoque les champs de recherche de la littérature, des arts plastiques et des arts du spectacle. Le colloque privilégie les productions contemporaines intéressant les cultures françaises et italiennes ; le lien particulier qui unit Francesco, le « français » à la culture française est en effet à la fois spécifique et pertinent – tant d’un point de vue biographique et culturel que d’un point de vue bibliographique et critique (rappelons, par exemple, l’apport décisif de Paul Sabatier, le rôle des historiens français, ou tout dernièrement, l’acquisition par la BnF d’une Vie de François retrouvée).
Il s’agira d’une lecture à visée interprétative intégrant les représentations qui sont autant de détournements, corruptions, récupérations, altérations mais aussi de sublimations, transpositions, recompositions et sources d’inspiration pour se demander si ces « déformations » sont à même de faire vivre une image nouvelle et/ou toujours actuelle du personnage : une forme de « modernité médiévale ».
Il s’agira de s’interroger sur la réalité d’une pensée actuelle et toujours agissante, sur l’originalité et la modernité de la figure qui l’incarne ainsi que sur les personnalités, souvent singulières et même décalées, de ceux qui s’en emparent. Il s’agira de questionner l’image afin de tenter de cerner le personnage fictionnel qui surgit de cette formidable entreprise de représentation qui semble converger vers l’écriture d’un «roman de François» (expression de J. Dalarun, revue Histoire, n° 348, 2009) qu’il soit texte de l’image ou image du texte.
Les communications s’organiseront autour de trois axes principaux :
- Charge poétique : approche moderne du sacré, rapport intime entre prière et poésie. Position éthique et programme esthétique
- Rupture et continuité : renversement dans l’ordre des valeurs, notions de minorité, pauvreté, marginalité, altérité, hilarité….
- Vision empathique du monde : exigence et spiritualité humanistes ; sentiment médiéval de la nature : une cosmogonie franciscaine ?
Nota bene : le colloque ne porte pas sur le franciscanisme et son histoire mais sur François d’Assise : la personne, le personnage , la pensée agissante, l’image envahissante et sur les représentations qui en émanent. Les communications ne peuvent être prétextes à présenter une recherche sur tel ou tel auteur mais doivent plutôt privilégier un point de vue synthétique et une problématique liée au sujet du colloque.
Conditions de soumission
Langues : italien et français
Date butoir pour les abstracts : 10 octobre 2015 – 3000 caractères maximum.
À retourner à :
brigitte.poitrenaud@orange.fr
silvia.fabrizio-costa@orange
yann.calvet@wanadoo.fr
Retour avis du comité scientifique : 15 novembre 2015
DATES colloque : 3, 4 et 5 mars 2016
Comité scientifique
- Vincent Amiel PU Université de Caen
- Yann Calvet MCF Université de Caen
- Marcello Ciccuto PU Université de Pise
- Silvia Fabrizio-Costa, PU Université de Caen
- Brigitte Poitrenaud-Lamesi MCF Université de Caen
- Serge Stolf PU Université de Grenoble
- Lucia Strappini PU Université de Sienne
- Gabriella Bruni Zarri PU Université de Florence
Liste d’exemples de corpus non exhaustive
- Pour la littérature :
L’ensemble de l’œuvre d’Ignazio Silone qui peut vanter des référents franciscains; Riccardo Bacchelli, Non ti chiamerò più padre, (1959); Joseph Delteil, François d’Assise, (1960) ; Aldo Palazzeschi, « Messer lo frate Sole » in Via delle cento stelle, (1972) ; Umberto Eco, Il nome della rosa (1980) ; Julien Green, Frère François (1983) ; Christian Bobin, Le Très-Bas (1992) ; Alessandro Baricco, Barnum 2 (1998) ; Dario Fo, Lu santo Jullàre Françesco (1999), Aldo Nove, Tutta la luce del mondo. Il romanzo di Francesco, (2014), François Cheng, Assise, une rencontre inattendue, (2014), Yannick Haenel, Je cherche l’Italie, 2015…
- Pour les arts plastiques :
Fulvio Roiter, Umbria, terra di san Francesco, (photographies, 1954) ; Arte Povera (années 70) : Pier Paolo Calzolari, Jannis Kounellis, Michelangelo Pistoletto, Accarezzare gli alberi, (1967-2010) ; Piero Gilardi, Sandali e pettine, (1967) ; Giuseppe Penone, Pain alphabet, (1969-2003) ; Altan, I nostri antenati, (2009). Pascal Gindre alias Robin, Poverello, (2014), Gina Pane, Tre volte ferito e stigmatizzato et Vérification des stigmates (1985), Piero Casentini, Storie francescane, (1991), Mimmo Paladino, San Francesco, (1993), Arcabas, Saint François pellerin, (2005)…
- Pour le cinéma :
Rossellini, Francesco, giullare di dio (1950), F. Fellini, La Strada (1954); Pier Paolo Pasolini, Uccellacci uccellini (1966); Liliana Cavani, Francesco d’Assisi (1966); Franco Zeffirelli, Fratello sole sorella luna (1972); E. Olmi, L’albero degli zoccoli (1978) ; Liliana Cavani, Francesco (1989); M. Soavi, Francesco (2002 pour canale5) ; F. Costa, Chiara e Francesco (2007 pour la TV)…. M. Frammartino, Le quattro volte, (2010), Liliana Cavani, Francesco (2014 pour la TV)…
Hors des sphères linguistiques et chronologiques retenues signalons des œuvres majeures ou significatives telles que:
Steinbeck, Tortilla flat, 1935 ; Hermann Hesse Peter Camenzind, 1904, l’homme qui voulait changer le monde 1911, Les frères du soleil 1903-1932 ; Jerzy Grotowski (auteur polonais qui prit la nationalité française et vécut en Italie), réformateur du théâtre : inventeur du Théâtre pauvre ; Giacomo Manzù, San Francesco, università cattolica di Milano, 1932 ; John Buscema, Francis, brother of universe, (BD -1980) ; Guido Gozzano, San Francesco d’Assisi, 1916 (scénario pour un projet de film) ; Alberto Savinio et Vittorio Cottafavi, San Francesco (scénario pour un projet de film).
Des champs disciplinaires essentiels ont été écartés pour l’heure, en particulier les œuvres musicales consacrées à François d’Assise. Ces champs de recherche feront l’objet de Journées d’études et de publications ad hoc.
- Corpus pour le domaine lyrique :
Frantz Liszt, Saint François d’Assise & La prédication aux oiseaux, 1863-65 ; Charles Gounod, Saint François d’Assise, 1891 (perdu puis retrouvé et recréé en 2011) ; Francis Poulenc, Quatre petites prières de saint François d’Assise, 1948 ; Olivier Messaien, Saint-François d’Assise (1975-83), Eros Ramazzotti, Cantico, 1990 ; Angelo Branduardi, L’infinitamente piccolo (2000), Orio Odori, Francesco d’Assisi, (2006), Lucio Dalla, texte hommage à François d’Assise, 2012 ; commedia musicale de M. Paulicelli (Forza venite gente.1981)…
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