Appel à communication : « Le corps dans l’art politique des temps modernes » (Toulouse, 10-11 juin 2021)

Durant la Renaissance, il est  courant de voir des corps, masculins et féminins, transformés et stratégiquement exploités par le biais d’œuvres d’art. Réels ou mythiques, âgés ou juvéniles, souvent porteurs d’un imaginaire complexe, ils étaient conçus et perçus comme des métaphores et régulièrement utilisés comme des outils de propagande. Au début des temps modernes, la représentation du corps a eu une place fondamentale dans le processus d’exaltation et de légitimation de l’élite. Dans le cadre de ce colloque, toute oeuvre de commande exposant un ou plusieurs corps, et destinée à célébrer une forme de pouvoir politique, peut être abordée.

Le corps a été appréhendé comme un outil politique dans les études historiques, notamment à partir du concept des deux corps du roi (Ernst Kantorowicz dans les années 1950), tandis que dans le domaine de l’histoire de l’art, l’intérêt pour l’iconographie politique s’est développé à partir des travaux d’Aby Warburg. Depuis 1991, sous l’impulsion de Martin Warnke, la « Warburg Haus » de Hambourg effectue des recherches à partir de l’exceptionnel répertoire de documents et d’images politiques conservés dans ses archives (par exemple la publication emblématique du Manuel d’Iconographie politique. Ein Handbuch : Bd.1 : Abdankung bis Huldigung. Bd. 2 : Imperator bis Zwerg conducted » par Uwe Fleckner, Martin Warnke et Hendrik Ziegler). Les recherches de l’historien français Gérard Sabatier, qui a travaillé sur les stratégies visuelles au service de la monarchie, démontrent le développement de ces thèmes en France. La figure du roi a été privilégiée, tant dans les travaux scientifiques que dans les rencontres portant sur le sujet, comme l’atteste également la conférence présentée à Blois en 2010 : « Roi cherché, roi montré, roi transfiguré. Corps politique et corps du pouvoir en Europe (XVe-XVIe siècles) ».

Le thème « Corps et  pouvoir » tend à s’émanciper de la figure du prince – bien que centrale, mais non exclusive. Les gouvernants s’appuient sur l’idéalisation de leur propre personne, afin de renforcer leur prééminence. Si leur corps est mis en scène et glorifié dans leurs portraits – comme un dispositif essentiel pour rassurer ou impressionner – il peut aussi être juxtaposé avec d’autres éléments. Au sein de l’étude des genres, les recherches ont montré comment les corps masculins et féminins entretiennent et exacerbent des relations complexes de domination au sein de  l’iconographie du pouvoir.

Les corps de ces figures secondaires, ennemies ou alliées, auraient pour fonction de renforcer le message véhiculé, étant intégrés dans ou au-delà de l’image. De la sorte, tous les corps pourraient être étudiés : ceux appartenant aux élites comme les corps des figures auxiliaires, destinés à soutenir l’idée du pouvoir d’un point de vue sémantique. En outre, il conviendra de s’interroger sur les éléments qui ont rendu ce pouvoir concret, visible et palpable. Des objets cérémoniels ont recouvert les corps pour les transcender, tandis que les corps ont recouvert les objets à leur tour, le tout articulant un discours substantiel qu’il convient de déchiffrer. Ces corps sont souvent situés dans des palais et dans d’autres lieux où le pouvoir s’exerçait. Au sein de décors pérennes comme éphémères, ils scandaient les façades selon des ordres anthropomorphes, abrités dans des niches ; ils ornaient les portiques des entrées triomphales, les fontaines, les cheminées, les escaliers, etc.  Chacune de ces formes nécessite une réflexion sur son contexte de création et d’exposition, ainsi que sur sa finalité.

La dimension politique des oeuvres mérite d’être approfondie, notamment à travers le prisme de ce que Victor Stoïchita décrit comme une hétérogénéité constitutive de l’objet corps (« l’hétérogénéité constitutive de l’objet corps », Des Corps, Anatomie, Défense, Fantasmes, 2019). Par conséquent, le programme du colloque se fonde sur la relation inhérente entre le corps et la polysémie des termes « pouvoir » et « puissance », qui désignent aussi bien l’aptitude que la force ou l’autorité. La posture, le langage corporel,  la musculature, la sensualité, la grâce et l’élégance qui en émanent, contribuent à la traduction des idées. Le corps est à la fois subordonné et estimé par et pour le pouvoir. Comme un effet de miroir, c’est aussi par sa puissance esthétique, émotionnelle et symbolique qu’il honore et valorise les puissants.

Pendant longtemps, la référence biblique a servi de prétexte à l’exposition des corps ; la réappropriation de la culture antique les a fait quitter les sphères privées et sacrées pour gagner l’espace public. Cette évolution témoigne d’une compréhension généralisée de la force herméneutique, de la portée expressive et persuasive du corps dont le pouvoir évocateur se développe en fonction de l’étroite relation entre aspect physique et psychologique. Ces compositions pleines de vitalité, d’affect et de dynamisme ont donné, à partir de sujets ambivalents et parfois violents, une force émotionnelle et sensorielle essentielle au processus de séduction politique. Il s’agit ensuite d’apprécier la place des sens – optique et haptique – dans l’iconographie politique, d’un point de vue formel et sémiotique.

L’ambition de ces deux journées d’étude est d’explorer les questions liées au corps véhiculant un discours politique, en mobilisant des œuvres créées de la Renaissance à l’aube du XIXe siècle. En réunissant des chercheurs jeunes et confirmés, français et étrangers, cette manifestation permettra de confronter des méthodologies (approches formelles, iconographiques, esthétiques…) et de rassembler différentes études de cas portant sur ces corps imposants, héroïques, séduisants, inquiétants ou répulsifs, dont l’anatomie a été plus ou moins dévoilée pour incarner, entre autres, la figure du vainqueur invincible par opposition à la victime vulnérable.

Les communications exploreront des sujets s’inscrivant dans ces quatre axes majeurs :

– Le corps comme stratégie figurative dans les représentations des élites ;
– La puissance du corps : des sens et des émotions enflammés dans l’imaginaire politique ;
– Pouvoirs du corps dans les objets cérémoniels :
– Le règne des corps dans les décorations princières ;

Les propositions de communication doivent comprendre un titre et un résumé (environ 350-500 mots en anglais ou en français), une brève bio-bibliographie et des informations de contact.
Elles doivent être envoyées au plus tard le 1er décembre à l’adresse suivante

corps.pouvoir@gmail.com

Le comité scientifique répondra aux propositions avant le 15 décembre 2020.
Un forfait sera proposé aux participants afin de couvrir les frais de voyage et d’hébergement dans la mesure du possible. La publication d’un volume des actes de la conférence est prévue.

Comité d’organisation :
Mathilda Blanquet, Simon Colombo, Juliette Souperbie
(Université Toulouse II Jean Jaurès)

Comité scientifique :
Giulia Cicali (EHESS), Nicolas Cordon (HICSA – Paris I), Sophie Duhem (Université Jean Jaurès, Toulouse), Frank Fehrenbach (Hamburg Universität), Pascal Julien (Université Jean Jaurès, Toulouse), Emilie Roffidal (Université Jean Jaurès, Toulouse), Victor Stoïchita (Université de Fribourg).

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Body & Power: The body in political art in early modern times
International symposium for young researches

During the Renaissance, it became common to see bodies, both male and female, transformed and strategically exploited through artworks. Real or mythical, aged or juvenile, often bearers of a complex imaginary, they were conceived and perceived as metaphors and regularly used as propaganda devices. In early modern times, the representation of the body had a fundamental place in the process of exaltation and legitimation of the elite. Within the framework of this symposium, any commission exhibiting one or more bodies, intended to celebrate a form of political power, may be considered.

The body has been apprehended as a political tool in historicizing studies, especially based on the concept of the two bodies of the king (Ernst Kantorowicz in the 1950s), while in the field of Art History, interest in political iconography has developed on the basis of the work of Aby Warburg. Since 1991, thanks to the impulse of Martin Warnke, the Warburg Haus in Hamburg has been carrying out research based on the exceptional index of documents and political images kept in their archives (e.g. the emblematic publication of the « Politische Ikonographie manual. Ein Handbuch: Bd.1: Abdankung bis Huldigung. Bd. 2: Imperator bis Zwerg conducted » by Uwe Fleckner, Martin Warnke and Hendrik Ziegler). Moreover, the researches of the french historian Gérard Sabatier, which expressed the interest in visual strategies in the service of the monarchy, demonstrates the development of these themes in France. As a matter of fact, it was the figure of the king that was favored, both in scientific works and events on the subject, as also attested by the conference presented in Blois in 2010: « Roi cherché, roi montré, roi transfiguré. Corps politique et corps du pouvoir en Europe (XVe-XVIe siècles) ».

« Body and Power » tends to emancipate from the figure of the prince – although central but not exclusive. Leaders rely on the idealization of their own person, in order to strengthen their preeminence. While their bodies were staged and glorified within their portraits – as an essential device to reassure or impress – they could also be juxtaposed with other elements. Then, in the field of genders studies, researches have shown how the male and female bodies maintain and exacerbate complex relations of domination within this iconography of power.

The bodies of these secondary figures, enemies or allies, would intensify the message conveyed, being integrated within or beyond their images. In this way, all bodies could be discussed: those of the elites as well as those of the auxiliaries, intended to support the idea of power from a semantic perspective. Then, it will be necessary to question the elements which made this power concrete, visible and palpable. Ceremonial objects covered their bodies to transcend it while in response, bodies covered the objects in turn, all articulating a substantial discourse that should be deciphered. These bodies were also found in palaces and other locations where authority was exercised. Within perennial as well as ephemeral decorations, they punctuated the facades through anthropomorphic orders, housed niches, adorned porticoes of triumphal entrances, inhabited fountains, chimneys, stairs, etc. In this case too, each of these expressions requires a reflection on its context of creation and exhibition, as well as on its purpose.

The political dimension of these creations still deserves to be deepened, especially through the prism of what Victor Stoïchita describes as a constitutive heterogeneity of the body object (“l’hétérogénéité constitutive de l’objet corps” (in) « Des Corps, Anatomie, Défense, Fantasmes », 2019). Therefore, the program revolves around the inherent relationship between the body and the polysemy of the terms « power » and « potency », denoting skills as well as strength or authority. The posture, the body language, the musculature attribute, the sensuality, the grace and the elegance that emanate from it, contribute to the translation of ideas. The body is both subordinated and esteemed by and for power and, like a mirror effect, it is also through its aesthetic, emotional and symbolic power that it honors and values the powerful ones.

For so long the biblical reference served as a pretext for the exhibition of these bodies, the reappropriation of antique culture caused them to leave the private and sacred spheres to gain public space. This development testifies to a generalized understanding of the hermeneutic force, of the expressive and persuasive scope of the body whose evocative power develops with regard to the close relationship between physical impression and psychological aspect. These compositions full of vitality, affect and dynamism have given, from ambivalent and sometimes violent subjects, an emotional and sensory force essential to the process of political seduction. Then it is a question of appreciating the place of the senses – optical and haptic – in political iconography, both formally and semiotically.

In short, the ambition of these two days is to explore issues related to the body carrying a political discourse, by mobilizing works created from the Renaissance to the dawn of the 19th century. By bringing together young and experienced researchers, both French and foreigners, this event will make it possible to confront methodologies (formal, iconographic, aesthetic approaches…) by bringing together various case studies discussing these imposing, heroic, seductive, disquieting or repulsive bodies, whose anatomy was more or less unveiled to embody, among other things, the figure of the invincible victor as opposed to the vulnerable victim.

Papers will explore topics fitting into these four main themes:
– The body as a figurative strategy in the representations of elites
– The power of the body: senses and emotions ignited in the political imagination
– Powers of the body in ceremonial objects
– The reigns of the body in princely decorations

Paper proposals should include a title and abstract (approximately 350-500 words in English or French), a brief bio-bibliography and contact information. They should be sent by December 1 at the latest to the following address:

corps.pouvoir@gmail.com

The scientific committee will respond to proposals before December 15, 2020.
A package will be proposed to stakeholders to cover travel and accommodation costs as much as possible. The publication of a volume of the conference proceedings is planned.

Organizing committee :
Mathilda Blanquet, Simon Colombo, Juliette Souperbie
(Université Toulouse II Jean Jaurès)

Scientific Committee:
Giulia Cicali (EHESS), Nicolas Cordon (HICSA – Paris I), Sophie Duhem (Université Jean Jaurès, Toulouse), Frank Fehrenbach (Hamburg Universität), Pascal Julien (Université Jean Jaurès, Toulouse), Emilie Roffidal (Université Jean Jaurès, Toulouse), Victor Stoïchita (University of Fribourg).

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