Appel à communication : « L’imaginaire ludique : création et enjeux » (Sousse, 8-10 décembre 2016)

IAIN BAXTER&, The Lecture, 2009, TorontoPoursuivant ses travaux sur l’imaginaire, le laboratoire LERIC se propose d’approfondir son exploration du sacré – objet de son dernier colloque – en étendant la réflexion à  la question du jeu, un autre pan de l’imaginaire que la culture contemporaine semble mettre au pinacle. Quel autre recours que l’esprit ludique pour faire face à la violence chaotique du monde, pour rétablir  les valeurs du vivre-ensemble qui semblent avoir été ébranlées, bref, pour se défaire, ne serait-ce que momentanément, des angoisses, y compris celles que pose une certaine lecture du sacré ? Le jeu ne serait-il pas finalement l’unique moyen d’une désacralisation libératrice et salutaire ? Ne serait-il pas la seule échappatoire qui nous reste pour apaiser les craintes face à cet accroissement vertigineux du péril – du puérilisme, au sens que lui confère Huizinga[i] –, face à cette montée en puissance de l’insignifiance – selon la formule de Cornelius Castoriadis – et du non-sens ?

C’est à la croisée des cultures, des discours, des usages quotidiens et de la fiction que se situe la pensée du jeu. Inhérente à toute posture, elle préside à nombre d’enjeux du contemporain, elle ne cesse de proposer des motifs de recherche, d’alimenter des réflexions novatrices, d’inciter à poser les questions relatives au sens et à interroger ses multiples pratiques – tant littéraires, artistiques, sociales et éducatives, que technologiques ou économiques.

Ce colloque se propose  de poursuivre l’interrogation herméneutique  du jeu initiée  au cours de ce dernier demi-siècle. Le regain d’intérêt porté au ludique, surtout après les travaux pionniers de l’historien Johan Huizinga et du sociologue Roger Caillois, a conduit à des découvertes remarquables qui ont permis  non seulement une meilleure compréhension des sociétés, mais également un renouveau des sciences humaines. Huizinga a démontré que la prospérité socioculturelle de toute civilisation se mesure, entre autres, à l’aune de sa capacité à s’ouvrir aux jeux ; avant d’être  un homo sapiens, un homo faber ou un homo economicus,  l’être humain, est un homo ludens, le jeu chez l’homme est plus ancien que la culture. Poursuivant ces travaux, Caillois a souligné que le jeu sert notamment à canaliser les instincts, à s’armer face à l’angoisse du sacré et à assurer à l’homme son épanouissement social. Mais c’est surtout la classification qu’il propose des jeux qui pourrait être exploitée dans le cadre de ce colloque afin de réfléchir sur les enjeux du ludique et sur sa capacité de favoriser la création artistique et la créativité sous toutes ses formes. La distinction entre compétition, hasard, simulacre et vertige (que Caillois baptise respectivement Agôn, Alea, Mimicry et Ilinx), entre le jeu comme activité libre (Païda) et le jeu comme activité réglementée (ludus) ne peut que nous aider à mieux creuser les mécanismes de cette notion et à explorer sa dimension créative.

Il s’agira  de prolonger la réflexion sur ces travaux qui ont tenté d’interroger l’imaginaire lorsqu’il tend à se détacher de la raison et se voulant libérateur, un facteur d’enrichissement,  lorsqu’il « nous invite, en pastichant Jean-Jacques Wunenburger, au ludique […], lorsque le savoir est défaillant »[ii]. Ce serait un truisme d’affirmer que l’esprit ludique se pose en antonyme du sérieux, mais Huizinga révèle le caractère hybride du jeu, le « sérieux ludique » par opposition au « sérieux utilitaire ». Qu’implique alors cette perception du jeu lorsque le terme rejoint son antipode ? Comment définir le ludisme quand les frontières entre le jeu et le sérieux s’estompent ? Quels sont les critères qui aident à l’appréhender ? Sont-ils invariables ou changent-ils avec les sociétés et les époques ? Quels sont les outils qui permettent de vérifier sa compréhension et son interprétation ?

Ce colloque privilégiera au premier chef les pratiques artistiques (arts plastiques, arts visuels, littérature, cinéma, danse, bande dessinée, musique, etc.) à l’origine de toute tentative impliquant le ludique hors de l’usage commun. Le jeu serait à saisir dans sa dimension subversive remettant en question le  fonctionnement habituel des choses de ce monde, dans sa capacité à refuser de jouer le jeu de la convenance, à déjouer les règles préétablies, à rejouer sur un mode « sérieux ludique » les expériences de la vie.

La VIe colloque de Leric se propose de dresser un état des lieux des recherches menées sur l’imaginaire du jeu dans les pratiques artistiques et les sciences humaines et sociales en confrontant analyses, travaux et perspectives à partir des axes suivant : Philosophie (religion, sacré, spiritualité) ; Arts, littérature, linguistique ; Pédagogie et sciences de l’éducation
Sciences sociales, politique et économie

Description des axes

Philosophie (religion, sacré, spiritualité)
La perception philosophique du jeu –  activité mineure sans fin en soi, chez les grecs – ne va changer diamétralement qu’avec Schiller qui le rattache à notre essence humaine. A ses yeux, « L’homme ne joue que là où, dans la pleine acception de ce mot il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue »[iii]. Pour Leibniz, il offre un cadre propice à la création et au déploiement de tout l’art d’inventer. Nous souhaiterions lors de ce colloque revenir sur les raisons de cette mutation et mettre en débat ce changement d’anthropologie philosophique qui fait que le jeu finit par devenir synonyme de création et acquérir une place essentielle dans la constitution de l’humain.
D’autre part, nous aimerions revisiter le rapport entre le jeu et le sacré : par-delà le fait qu’il nous transporte au-delà du réel et qu’il nous permet de contourner le poids pesant de certaines perceptions du sacré, le jeu ne peut-il pas s’apparenter lui-même  à une forme de spiritualité ? Etant donné qu’il obéit à un ensemble de règles préétablies, ne met-il pas en place tout un rituel socio-sacral ? Le territoire du jeu ne se situe-t-il pas entre l’enfer de la réalité assujettie aux instincts et le paradis du sacré, du divin ? Rappelons, du reste, que Huizinga substitue à l’opposition entre le sacré et le profane sur laquelle repose l’institution religieuse, le jeu dans son opposition à la vie courante : cette dichotomie, selon lui, organise les fondements de la culture et définit les bases du culte.

Arts, littérature, linguistique
Par-delà la place de choix qu’occupe le jeu dans la littérature contemporaine – on citera à  titre d’exemples, « le cadavre exquis » des surréalistes, le roman policier, les calligrammes, le « synthoulipisme » et « l’anoulipisme » des oulipiens, la vague du roman postmoderniste dont l’enjeu a été analysé par Olivier Bessard-Banquy dans  Le roman ludique  –,  il convient de  souligner que le rapport qu’établit cette notion avec la création littéraire au sens large, est tout à la fois ancien et complexe. Le jeu a toujours nourri l’imaginaire d’écrivains qui se sont amusés à créer des univers fictionnels visant moins à divertir qu’à définir des genres et des esthétiques. Tout le théâtre est, au demeurant, un « jeu », des courants entiers de la poésie et du roman sont essentiellement ludiques  – le Roman de Renart, le Roman de la Rose, le genre héroï-comique (Rabelais), la Pléiade, le Baroque, les Précieux, les Décadents qui, selon Gérard Peylet, ont cultivé le jeu pour créer l’illusion de l’artifice[iv], etc. Ce colloque constituera une occasion pour réfléchir sur tout acte de création reposant sur une définition quelconque du jeu ainsi que sur la place qu’il occupe dans l’imaginaire créatif de l’écrivain. Il étendra aussi la réflexion à la rhétorique du jeu, à l’humour et à l’ironie, qui sont souvent associés aux jeux de mots et dont les immenses ressources créatrices ne cessent de nous intriguer. En effet, dans le domaine de la linguistique et de la stylistique, le jeu sur le langage n’est pas sans rapport avec une seule forme de communication et une vision toute particulière du monde et des choses.
L’art constituera  également un champ de réflexion privilégié pour ce colloque. Les artistes contemporains ont réinventé le jeu, explorant de nombreuses situations expérimentales qui remettent en cause les perceptions convenues et qui engagent le spectateur en dehors du fonctionnement courant de la vie. Rappelons aussi que depuis les trois dernières décennies, c’est-à-dire cette époque  imprégnée par la cyberculture, le jeu vidéo ne cesse de s’évertuer afin de recevoir les privilèges d’un art à l’instar des autres disciplines artistiques historiquement établies.

Pédagogie et sciences de l’éducation
A interroger la pédagogie et de manière plus générale les sciences de l’éducation, on  relève que le jeu ne cesse de s’y affirmer comme fondement psychologique essentiel conférant au processus éducatif l’efficience indispensable pour atteindre les objectifs visés. Toujours est-il que ses enjeux pédagogiques ne cessent de soulever des questionnements susceptibles de faire évoluer l’action d’apprentissage : quels sont les paramètres dont on doit tenir compte pour qu’un apprentissage fondé sur le jeu permette une meilleure transmission de l’information et participe à l’épanouissent de l’apprenant ? Comment la pédagogie ludique pourrait-elle développer chez lui l’esprit de créativité ? Comment le jeu pourrait-il devenir le moteur de la créativité pédagogique ?

Sciences sociales, politique et économie
Le jeu par définition semble se situer hors de la sphère de la vie sociale, étant donné que l’objectif des activités ludiques est de permettre à l’individu de se placer en dehors des contraintes qui la déterminent. Mais, en réalité, il établit des liens étroits avec la société, y suscitant constamment des échanges  variés. On voudrait en effet revisiter, dans le cadre de ce colloque, le caractère à la fois complexe et transversal de cette notion et contribuer à la compréhension de certains de ses enjeux.
A titre d’exemples, les approches sociologiques, psychologiques et psychanalytiques pourraient nous aider à comprendre plusieurs nouveaux phénomènes sociaux liés à la pratique de certains jeux, comme les conduites à risques qui attirent de plus en plus les jeunes, les formes pathologiques du jeu, l’addiction au jeu d’argent ainsi qu’aux jeux sur internet auxquelles sont exposés principalement les adolescents.

En accord avec la nature des investigations poursuivies par notre laboratoire d’Etudes et de Recherches Interdisciplinaires et Comparées (LERIC), ce colloque, tout en privilégiant les domaines des Lettres et des Arts, souhaite s’ouvrir à toutes les disciplines que peut solliciter  la réflexion sur le jeu. Il ambitionne  de confronter les vues des chercheurs en Histoire, en sciences sociales (sociologie, sciences politiques), en psychanalyse, ainsi que des acteurs en économie, des experts en technologies modernes et en informatique, et de créer des synergies interdisciplinaires autour des enjeux du ludique et de ses rapports avec l’inventivité, la créativité et la création.

 

Principales échéances et droits d’inscription
Les propositions de communication (titre, résume – une vingtaine de lignes –, 5 mots clés) seront accompagnées d’une courte notice bibliographique et envoyées au plus tard  le 30 septembre 2016 à l’adresse suivante : colloque.imaginaireludique@gmail.com

15 octobre 2016 : notification de la liste des communications acceptées.
30 novembre 2016 : rentrée des textes définitifs, accompagnés de leur résumé.

Un droit d’inscription forfaitaire de :
150 €  sera demandé aux participants étrangers. Ce droit d’inscription inclut :
– le programme du colloque ;
– les pauses-café ;
– l’hôtel en demi-pension pendant 4 jours.
180 DT sera demandé aux participants locaux. Ce droit d’inscription inclut :
– le programme du colloque;
– les pauses-café ;
– l’hôtel en demi-pension pendant 2 jours.

VIe COLLOQUE INTERNATIONAL DE LERIC
Laboratoire d’Études et de Recherches Interdisciplinaires et Comparées
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax-Université de Sfax

L’IMAGINAIRE LUDIQUE : CREATION ET ENJEUX
Parrainé par le CRI2i (Centres de Recherches Internationales sur l’Imaginaire)
8-10 décembre 2016 Hôtel Orient Palace – SOUSSE

Comité scientifique :
Jean-Jacques WUNENBURGER (Université de Lyon), Samir MARZOUKI (Université de Tunis), Gérard PEYLET (CLARE-LAPRIL, Université Michel de Montaigne, Bordeaux3), Ali TOUMI ABASSI (Université de Tunis), Jalel El GHARBI (Université de Tunis), Hédia KHADDAR (Université de Tunis), Hédia ABDELKEFI (Université de Tunis), Dominique VIART (Centre des sciences de la littérature française (CSLF), Université Paris X), Arbi DHIFAOUI (LERIC, Université de Sfax),  Mohamed WAHBI (Université Ibn Zohr, Maroc), Géraldine PUCCINI (CLARE-LAPRIL, Université Michel de Montaigne, Bordeaux3), Mustapha TRABELSI (URLDC, Université de Sfax), Abdelkrim OUBELLA (Université Ibn Zohr, Maroc), Monia KALLEL (Université de Tunis), Badreddine BEN HENDA (Université de Tunis), Kamel SKANDER (LERIC, Université de Sfax), Hichem ISMAIL (LERIC, Université de Sfax).

Comité de pilotage :
Wafa NASRI (LERIC, Université de Sfax), Yacine ZOUARI (Université de Tunis), Mounir DAMMAK (Inspecteur d’Enseignement Secondaire-Sfax), Soumaya REBAÏ (LERIC, Université de Sfax), Hédi MEGDICHE (Inspecteur d’Enseignement Secondaire-Sfax), Olfa DAOUD MNEJA (Formatrice pour l’Enseignement Secondaire), Imed KACHOURI (Formateur pour l’Enseignement Secondaire), Kamel SKANDER (LERIC, Université de Sfax), Hichem ISMAIL  (LERIC, Université de Sfax).

Comité d’organisation :
Soukaina ISSAMI (LERIC, Université de Sfax), Abbes MARZOUKI (LERIC, Université de Sfax), Mohamed BOUSSARSAR (LERIC, Université de Sfax), Mouna BESBES (LERIC, Université de Sfax), Aymen DEGACHI (LERIC, Université de Sfax), Faten MASMOUDI (LERIC, Université de Sfax), Mariem BELLAAJ ( LERIC, Université de Sfax), kawther MANSOURI ([v]LERIC, Université de Sfax), Wissem KEFI, (LERIC, Université de Sfax), Hichem HAMROUNI (LEIRIC, Université de Sfax), Wissem KADRI (LERIC, Université de Sfax).

Coordinateurs :
Kamel SKANDER
Arbi DHIFAOUI
Hichem ISMAIL

[i] Incertitudes : Essai de diagnostic du mal dont souffre notre temps,  1935, Essai trad. du néerlandais par J. Roebroek, Paris, Librairie de Médicis, 1939, p.175.
[ii] Voir L’imaginaire, Presses Universitaires de France, 2003, Que sais-je ?
[iii] Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, trad. R. Leroux, Paris Aubier, 1943, rééd. 1992, p. 221.
[iv] Voir Les évasions manquées ou les illusions de l’artifice dans la littérature, « fin de siècle », Honoré Champion, Paris, 1986.

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