Appel à communication : « Rhétorique des arts, XXII : Cacher… l’art? »

On connaît la sprezzatura prônée par Castiglione et qui consistait à cacher l’artifice pour donner au courtisan l’allure d’une aisance naturelle, principe qu’appliquèrent aussi les artistes maniéristes cherchant à produire sans effort apparent « l’art sans art » propre au génie. N’était-on pas déjà confronté au même paradoxe, lorsque, pour viser l’efficacité du discours, Aristote recommandait « de parler de façon non pas fabriquée mais naturelle » (Rhétorique 1404b18) ? De la même manière, des générations de peintres se sont appliqués à effacer les traces de leur main à la surface de la toile pour favoriser l’effet de transparence propice à l’illusion mimétique. Inversement, mais peut-être pour un effet semblable dans le cadre d’une idéologie esthétique différente, bien des modernes ont affecté de négliger les formes et les rigueurs (classiques) de l’art pour valoriser une spontanéité directe, immédiate, et donc plus naturelle et apparemment moins fabriquée, de la création. Ne convient-il pas, dès lors, de s’interroger, tant historiquement qu’esthétiquement, sur les formes et les conséquences de ce phénomène qui fait que, paradoxalement, l’art n’irait pas sans le « sans art » et que ce qui semble destiné à être exposé ne l’est qu’à condition, dans le même temps, de cacher ce qui le fait ce qu’il est ?

La récurrence, voire la permanence, de ce motif de l’art qui cache l’art—ou qui se cache comme art (ou comme artifice)—renvoie aux problématiques plus générales du caché et du montré à l’œuvre dans d’innombrables exemples (images à double lecture ou métaphores, par exemple) où la monstration se double presque inévitablement d’une dissimulation, mettant en avant la part essentielle de simulation, de feinte et de fiction qui entre dans la relation esthétique et soulignant, par exemple, combien la mimésis elle-même se trame d’ombre et d’obfuscation, comment le jeu qu’est l’art joue à cache-cache.

Bien souvent, l’activité même de dissimuler, d’occulter ou de crypter, et donc d’interroger, l’image, le son ou le sens définit ouvertement le projet artistique. C’est le cas de Pollock déclarant « I choose to veil the imagery », mais aussi de toutes les formes baroques de concetto, d’anamorphose, de devise, d’énigme que l’on peut étendre aux problématiques du masque, du maquillage et du camouflage, du voile, du flou, du brouillage et du travestissement, mais aussi au symbole, à l’allégorie—ou au rébus si souvent utilisé par Duchamp, lui-même adepte de l’occultation (« A bruit secret ») et des contenus cryptés. Sans parler de toutes les possibilités d’emploi des parasites, bougés, bruits blancs, pixellisations et autres effets technologiques de raturage ou de ratage plus ou moins contrôlé qui, tout en occultant une image ou une information, focalisent directement l’attention sur le fait ou le geste artistique de cacher.

Au-delà de l’analyse des multiples exemples possibles de ces occultations, caviardages, manipulations et autres cachotteries artistiques, on se demandera ce qui se cache dans ce jeu de colin-maillard où c’est le spectateur qui a les yeux bandés. On scrutera notamment cette mascarade ou cette mystification constitutive par laquelle, aux confins de l’art et du religieux, s’exhibant ou se présentant comme celant un hypothétique mystère, l’art peut se faire art en s’auréolant d’une mystique autovalorisatrice ou de commande—et inversement…

En fait, la question du « cacher l’art » ou de « l’art sans art » nous incite à chercher ce que cacher veut dire en art et pour l’art, à cerner ce que l’art cache ou montre quand il cache (l’art) et, pour reprendre une expression de Daniel Arasse, à tenter d’expliquer comment et pourquoi « On n’y voit rien »—ou on n’y entend rien—dans ce jeu d’apparitions-disparitions dont l’un des enjeux pourrait être, par exemple—mais selon quelles modalités et dans quel but?—, d’augmenter la distance ou l’étrangeté pour « ralentir la reconnaissance » (R. Jakobson).

En puisant dans le plus large éventail possible d’exemples artistiques et de discours sur l’art, on s’efforcera donc—d’un point de vue historique, poïétique, esthétique—d’examiner les problèmes théoriques et de déployer les possibles herméneutiques que suggère cette hypothèse que… l’art cache.

Le projet étant de favoriser une discussion approfondie et variée du thème et des recherches présentées, le colloque réunira un maximum d’une douzaine d’intervenants.Les communications, dont circulera à l’avance au moins un résumé substantiel,dureront 1 heure, chacune donnant lieu à un minimum d’1/2 heure de débat. (Il sera envisagé d’enregistrer et de transcrire les débats pour la publication.)

Les propositions de communications et demandes de renseignements devront être envoyées avant le 25 septembre à l’adresse suivante:

bertrand.rouge@univ-pau.fr

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