Appel à communications : colloque « Peinture d’histoire, peinture à histoires ? Procédés narratifs dans la peinture européenne du XIXe siècle » (Paris, 12-14 juin 2024)

Appel à communications : colloque « Peinture d’histoire, peinture à histoires ? Procédés narratifs dans la peinture européenne du XIXe siècle » (Paris, 13-14 juin 2024)

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L’ambition de ce colloque sera d’interroger l’évolution des procédés narratifs dans la peinture européenne tout au long du XIXe siècle (1789-1914). Des changements significatifs adviennent dans la place accordée à la narration dans les arts picturaux : la puissance évocatrice et les qualités rhétoriques traditionnellement associées à la peinture d’histoire ne lui sont plus réservées, et les praticiens d’autres genres, y compris les moins narratifs de prime abord, adoptent des procédés narratifs et des ambitions de mise en récits abouties. Parallèlement, ces qualités, estimées et valorisées dans la doctrine académique, deviennent progressivement inappropriées, voire méprisées, avec l’émergence des mouvements modernes qui proclament l’autonomie formelle de la peinture. Ce double mouvement, entre propagation et refus des ambitions narratives de la peinture, bouscule les manières de produire et d’apprécier la peinture et se manifeste de multiples façons tout au long de la période, ce que ce colloque souhaite examiner en explorant plusieurs pistes :

1. Discours et pratiques de la narration figurée.

Si les rapports entre plume et pinceau ont déjà fait l’objet de nombreuses études, cet axe propose d’interroger plus spécifiquement les évolutions parallèles des procédés narratifs dans la littérature et dans la peinture. En cela, ce colloque ambitionne de croiser davantage qu’il n’a été fait auparavant les études d’histoire de l’art et celles de narratologie, dont on peut citer parmi les études majeures celles de Paul Ricoeur et Gérard Genette, ou encore plus récemment celles menées par Raphaël Baroni, qui interroge les effets affectifs et esthétiques du récit sur l’auteur et son lecteur. Observe-t-on des évolutions communes entre peinture et littérature ? Des convergences ou des divergences dans la place accordée au narratif dans ces deux médiums ? Dans cette optique, pourront notamment être mobilisées des études sur les échanges entre écrivain.es et peintres : dans les cercles amicaux et sociaux, les artistes échangent-ils sur leur conception et leur manière de « raconter des histoires », au-delà des différences de médiums ? Outre les sources textuelles des épisodes dépeints, les textes entourant une oeuvre picturale sont nombreux au XIXe siècle, soit qu’ils l’expliquent – par exemple, dans les catalogues des Salons –, soit qu’ils la commentent – dans les comptes rendus d’exposition notamment. Quel rôle joue la narration dans ces discours ? Dans quelles mesures les modalités narratives d’une oeuvre picturale continuent-elles de conditionner et de structurer le jugement esthétique et critique ? Comment le critère narratif cohabite-il et s’articule-t-il avec des critères d’appréciation davantage formels ?

Au fil du XIXe siècle, les artistes perpétuent ou réinventent les procédés de narration. Certains procédés sont devenus des topos, des formules figées. Néanmoins, certains artistes cherchent à se détacher de ces formules établies, pour attirer le succès, les regards, les commandes. C’est le cas de Paul Delaroche et plus tard de Jean-Léon Gérôme, Henri Regnault ou Jean-Paul Laurens. Tous cherchent à décentrer l’action pour éviter une certaine conception de ce que doit être « l’instant prégnant » défini par Lessing, l’apex dramatique de la narration dans une oeuvre (l’assassinat du personnage principal, par exemple). Ils privilégient plutôt l’avant ou l’après de l’apex en vue de le sublimer, en sollicitant l’imagination du spectateur, alors forcé de reconstituer l’entièreté de l’action.

L’atelier d’enseignement, qu’il soit à l’École des beaux-arts ou privé, est le lieu où se transmettent les principes de création artistique. Comment les aspirants peintres apprennent-ils à raconter des histoires par le dessin et par la peinture ? Quelle est la part des procédés appris en observant le réel, la « nature », et la part acquise d’autres œuvres d’art, les principes transmis de génération en génération par les maîtres ? Chaque artiste doit maîtriser le sens du langage corporel, le corps étant souvent le principal vecteur de narration. Quels sont les répertoires de postures corporelles à maîtriser, les expressions du visage, le sens des interactions sociales et de la manifestation ou de la contenance des émotions ? Peut-on apprendre à maîtriser ce qu’Aby Warburg a qualifié de “pathosformel” (“formule du pathos”), une langue ou des tropes visuels qui expriment l’émotion, qui formeraient l’architecture de l’histoire ? Maîtriser le sens du détail dans la narration s’apprend-il aussi ? Enfin, l’atelier peut aussi être le lieu où l’on comprend que toute oeuvre n’existe que par ceux qui la regardent, et partant, le lieu où le peintre apprend à jouer sur les émotions du spectateur et à intégrer le contexte socio-politique dans sa mise en scène, en vue d’en renforcer l’efficacité visuelle.

Au-delà d’une transmission verticale de maître ou maîtresse à élève au sein de l’atelier, il s’agira aussi d’interroger la circulation de ces procédés narratifs en Europe. Éminemment mobiles, se formant dans plusieurs villes, présents dans de nombreuses expositions, les artistes de tous les pays sont en mesure d’observer et de se nourrir des multiples solutions adoptées par leurs confrères et consœurs pour faire récit en peinture. Quelles sont exactement ces circulations ? Observe-t-on des modalités différentes selon les traditions picturales ? Des groupes ou des centres se font-ils connaître par l’originalité ou l’efficacité de leurs procédés narratifs ? Comment ceux-ci sont-ils repris ou adaptés dans d’autres contextes ou en d’autres lieux ?

2. La narration picturale à l’épreuve des genres

Si le narratif est une composante essentielle de la peinture d’histoire, celle-ci n’est pas l’unique lieu où se déploient des narrations, un grand nombre de genres picturaux ayant vocation à raconter des histoires. Les peintres du XIXe siècle tendent même à intégrer des procédés narratifs dans des genres a priori peu narratifs. Dans la peinture de genre, les artistes brouillent les frontières avec la peinture d’histoire – et pas seulement du point de vue des époques ou des personnages représentés. De quelle façon la narration s’insère-t-elle dans des genres ou des styles apparemment non-narratifs ? Quels procédés narratifs les peintres de ces genres apprennent-ils et reprennent-ils de la peinture d’histoire ? Sont-ils employés tels quels ou transformés ; comment ? Il s’agira aussi à cet égard d’interroger le maintien du narratif dans la peinture dite « moderne », au-delà de l’opposition de principe entre autonomie formelle et subordination rhétorique.

Qu’en est-il, également, du répertoire d’histoires racontées et de la manière de les raconter ? Quels sont les répertoires privilégiés, jugés dignes d’être racontés ou au contraire délaissés, et pourquoi ? Comment le répertoire est-il renouvelé ? Quels sont les effets engendrés par le choix d’une anecdote historique ou par le choix d’un épisode appartenant à la « grande Histoire » ? Comment les artistes parviennent-ils à induire l’idée d’une intrigue plus vaste que le seul moment représenté, par quels procédés narratifs ?

3. Transformations des mises en récit à l’âge de la reproduction mécanisée.

Le format change-t-il la manière de raconter les histoires ? Les compétences nécessaires pour maîtriser les contraintes liées au format monumental de la peinture d’histoire comme au format miniature de l’assiette à dessert ou de la gravure d’illustration varient du tout au tout. Quels sont les effets de ces variations d’échelle sur la narration ? La question du format pose aussi la question du médium : le sujet de l’histoire peut être le même, pourtant le médium, par sa spécificité, crée des effets variables, y compris lorsque les conditions de présentation de l’oeuvre sont similaires. Il en est de même pour les transformations narratives induites par le passage à la gravure d’interprétation, à la caricature, aux gravures produites pour les comptes-rendus de Salon ou pour illustrer les livres imprimés, au diorama, et jusqu’à la photographie, la carte postale de reproduction d’œuvres d’art… Quels sont les effets de ces transformations médiatiques sur la production et la réception des œuvres narratives ? Comment les innovations techniques permettent-elles des transformations du récit ? Enfin, la question peut se poser des effets du style des artistes sur la narration, notamment dans la peinture historiciste, lorsqu’ils adoptent le style des œuvres de l’époque qu’ils représentent.

 

Les propositions de communications devront être envoyées à l’adresse colloque.peinture.histoire@gmail.com avant le 30 novembre 2023.

Comité d’organisation : Claire Dupin de Beyssat, Margot Renard, Catherine Méneux.

Comité scientifique : France Nerlich, Alain Bonnet, Marjan Sterckx, Pierre Wat, Pierre Sérié, Jan Dirk Baetens, Rachel Esner, Marc Gottlieb, Adriana Sotropa, Liliane Louvel.

 

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Call For Papers: International conference “History painting, painting stories? Narrative processes in 19th century European painting“

 

The ambition of this conference is to question the evolution of narrative processes and storytelling in European painting throughout the 19th century (1789-1914). Significant changes occurred in the place given to narrative in the pictorial arts: the evocative power and rhetorical qualities traditionally associated with history painting were no longer limited to it, and practitioners of other genres, including those presumably less narrative. In parallel, these qualities, esteemed and valued in the academic doctrine, gradually became inadequate, even despised, with the emergence of modern movements that proclaimed the formal autonomy of painting. This twofold movement, between propagation and rejection of the narrative ambitions of painting, disrupted the ways of producing and appreciating painting and manifested itself in multiple ways throughout the period. This conference aims to examine this process by exploring several leads:

 

1. Discourses and practices of figurative narration

If the relationship between pen and brush has already been the subject of numerous studies, this section proposes to examine more specifically the parallel evolution of narrative processes in literature and in painting. In this respect, this conference aims to link more than it has been done before the studies of art history and those of narratology, whose major studies include those of Paul Ricoeur and Gérard Genette, or more recently those conducted by Raphaël Baroni, who examines the affective and aesthetic effects of the narrative on the author and his reader. Can we observe common developments of painting and literature? Were there convergences or divergences in the place given to narrative in these two artistic practices? In this regard, studies on the exchanges between writers and painters can be mobilized: in social circles, did artists exchange on their conception and their way of “telling stories”, beyond media differences? In addition to the textual sources of the episodes depicted, texts surrounding a pictorial work were numerous in the 19th century, either explaining it – for example, in the Salons catalogs – or commenting on it – in exhibition reviews. What role did narrative play in these discourses? To what extent did the narrative modalities of a pictorial work continue to condition and structure aesthetic and critical judgment? How did the narrative criterion coexist and articulate with more formal criteria of appreciation?

Throughout the 19th century, the question of narrative procedures also arose: some procedures became topos, fixed formulas. Nevertheless, some artists sought to break away from these established formulas, in order to attract success, attention, and patronage. This was the case of Paul Delaroche, and later of Jean-Léon Gérôme, Henri Regnault or Jean-Paul Laurens. All of them seeked to decenter the action in order to avoid a certain conception of what should be the “prominent moment” defined by Lessing, the dramatic apex of the narration (the assassination of the main character, for instance). They rather privilege the moment before or after the apex in order to sublimate it, by soliciting the imagination of the spectator to reconstruct the whole action.

The teaching studio, whether private or located at the School of Fine Arts, was the place where the principles of artistic creation were transmitted. How did aspiring painters learn to tell stories through drawing and painting? How much of the process was learned by observing reality, “nature”, and how much was acquired from other works of art, the principles passed down from generation to generation by the masters? Each artist had to master the meaning of body language, the body being often the main vector of narration. What were the repertoires of body postures to be mastered, the facial expressions, the sense of social interaction and the manifestation or containment of emotions? Could one learn to master what Aby Warburg called “pathosformel”, a language or visual tropes that express emotion, that would shape the architecture of the story? Could the sense of detail in storytelling also be learned? Lastly, the studio could also be the place where one understood that all works exist only through those who look at them. Therefore, the painter learned to play on the emotions of the spectator and to integrate the socio-political context into his staging, in order to reinforce its visual efficiency.

Beyond a vertical transmission from master or mistress to pupil within the atelier, the subject of the circulation of these narrative processes in Europe has to be examined. Highly mobile, training in several cities, present in numerous exhibitions, artists from all countries were able to observe and draw on the multiple solutions adopted by their peers to produce narrative in painting. What exactly were these circulations? Do we observe different modalities according to the pictorial traditions? Were there groups or centers that became known for the originality or effectiveness of their narrative techniques? How were they taken up or adapted in other contexts or in other places?

2. The pictorial narrative to the trial of genres

If the narrative was an essential component of history painting, it was not the only place where narratives were deployed, as a large number of pictorial genres were designed to tell stories. Nineteenth-century painters sought to integrate narrative processes into genres that were in principle less narrative. In genre painting, painters blurred the boundaries with history painting – and not only in terms of the periods or characters represented. How did narrative insert itself into seemingly non-narrative genres or styles? What narrative processes did the painters of these genres adopt from history painting? Were they used as such or transformed; and how? In this regard, we would also like to question the maintaining of narrative in so-called “modern” painting, beyond the principle opposition between formal autonomy and rhetorical subordination.

This section raises the question of the repertoire of stories told and the way they are told. What were the preferred repertoires, judged worthy of being told or, on the contrary, neglected, and why? How was the repertoire renewed? What were the effects generated by choosing a historical anecdote or by choosing an episode belonging to “great history”? How did artists manage to induce the idea of a plot that went beyond the single moment represented, and by which narrative processes?

3. History and historiette, a question of scale and medium

Did the format change the way stories are told? The skills needed to master the constraints of the monumental format of history painting as well as the miniature format of a dessert plate or an illustration engraving varied greatly. What were the effects of these scale variations on the narrative? The question of format also raised the question of medium: the subject of the story could be the same, yet the medium, by its specificity, created varying effects, even when the conditions of presentation of the work were similar. It was the same for the narrative transformations induced by the shift to the interpretive engraving, to the caricature, to the engravings produced for the Salon reviews or to illustrate printed books, to the diorama, and even to the photography, the postcard of artwork reproduction… What were the effects of these media transformations on the production and reception of narrative works? How did technical innovations bring about transformations in the narrative? In addition, the question may arise of the effects of artists’ styles on narrative, especially in historicist painting, when artists adopted the artworks’ style of the period they represented.

 

Proposals will be sent to the address colloque.peinture.histoire@gmail.com before the 30 November 2023.

Organizing committee: Claire Dupin de Beyssat, Margot Renard, Catherine Méneux.

Scientific committee: France Nerlich, Alain Bonnet, Marjan Sterckx, Pierre Wat, Pierre Sérié, Jan Dirk Baetens, Rachel Esner, Marc Gottlieb, Adriana Sotropa, Liliane Louvel.

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