Appel à communications : « Rebelles, révoltés, innovateurs : figures antiques de la Transgression » ( Lyon, 22 novembre 2019)

Rebelles, révoltés, innovateurs : figures antiques de la Transgression

Journée d’étude organisée par le Laboratoire junior TAntALE

Ouvert aux doctorants, chercheurs et enseignants-chercheurs

Date limite d’envoi des propositions : 27 mai 2019

« Tu arriveras au bord du fleuve Hybristès dont le nom ne ment pas :
garde-toi de le franchir, car traverser n’est pas sans danger. »

Eschyle, Prométhée enchaîné, 717-718

La mise en garde de Prométhée à Io le montre : en vertu de son sens étymologique, la transgression est un acte, le franchissement ponctuel d’une limite ou, au sens figuré, d’une norme, et ce geste est lourd de conséquences pour celui qui s’aventure à l’accomplir. Toutefois, le nom du fleuve (l’« Emporté ») l’associe à l’hybris : transgresser devient la preuve d’une démesure, le propre de celui qui, faisant fi des dangers et des avertissements, désobéit à ce qui a été édicté, le trait caractéristique d’un individu qui ne se conforme pas à l’ordre établi. Le conseil est donc particulièrement pertinent dans la bouche du héros enchaîné : Prométhée n’est-il pas le transgresseur par excellence, puni pour avoir dérobé le feu aux dieux et menacé l’ordre divin en le transmettant aux hommes ?

Les figures antiques de rebelles, de contestataires, de révoltés abondent, aussi bien dans le champ de l’imaginaire mythologique et littéraire que dans le champ historique et leur présence demeure souvent vivace dans les sociétés contemporaines : « les mythologies, les religions, les tragédies regorgent de figures devenues les archétypes de l’infraction absolue, et leurs fantômes ne cessent de hanter les mémoires occidentales »[1]. Ces figures se caractérisent par l’accomplissement d’un acte ou l’adoption d’une conduite qui questionne l’ordre établi qu’il soit divin, social ou politique : Prométhée, Tantale, Niobé, Icare se rendent coupables d’enfreindre une prescription divine ; Antigone, pour sa part, menace les lois de la cité en en révélant l’absurdité ; Socrate passe pour un individu atopos(bizarre) aux yeux de ses interlocuteurs parce qu’il pratique un écart philosophique, tandis que les philosophes hellénistiques, à l’image de Diogène le Cynique, vont jusqu’à remettre en cause les normes sociales ; l’extraordinaire pouvoir politique de Pompée puis de César se fonde sur la remise en cause par ces imperatores des normes du mos maiorum ; Sénèque et Ovide commettent quant à eux des imprudences politico-littéraires. Ces transgressions sont fréquemment punies par l’exil, la mort ou la damnation, aussi les dangers évoqués par Prométhée sont-ils bien réels. La sanction n’est cependant pas synonyme de stérilité : en dépit de ce châtiment, la remise en cause d’un ordre ancien aboutit parfois à la fondation d’un ordre nouveau qui contribue à repousser ou à redéfinir la limite originelle.

La notion de transgression, profondément renouvelée par les travaux pionniers de Michel Foucault qui ont conduit à la repenser dans son rapport aux normes et à l’autorité en général, est au cœur de nombreuses réflexions contemporaines élaborées dans plusieurs branches des Sciences Sociales, en particulier dans le cadre de la sociologie de la déviance. Elle demeure cependant peu exploitée dans les études antiques malgré son importance dans les sociétés anciennes comme en témoignent l’abondance et la multiplicité des figures évoquées ci-dessus. Ainsi, si les recherches consacrées à la transgression ou à des notions voisines (marge, limite, frontière, écart…) se multiplient, une typologie de l’acte transgressif antique demeure à produire.

Après une première journée d’études autour de la définition du concept de transgression et des modalités de son application aux sociétés, aux cultures et aux littératures de l’Antiquité méditerranéenne, le laboratoire TAntALE organise ainsi une seconde journée réunissant des études consacrées à certaines de ces figures qui incarnent la remise en cause de l’ordre établi ainsi qu’aux formes que l’acte transgressif revêt dans les situations de rébellion, de contestation, de refus, de désobéissance, de révolte ou, quand l’acte transgressif conduit à la mise en place d’un ordre nouveau, d’innovation. De la figure de style qui s’écarte de l’usage ordinaire de la langue et donne une expressivité particulière au propos, aux grands personnages – grandes figures –, en passant par la représentation figurée, l’image dont le statut est questionné par une anthropologie des objets artistiques en plein renouvellement, la polysémie du mot « figure » reflète la polyphonie de ces voix transgressives. Cette journée aura donc pour but aussi bien d’étudier la façon dont ces figures sont construites dans un cadre socio-politique donné, que de définir l’acte transgressif à travers l’étude des conditions de sa réalisation dans les sociétés antiques et d’en proposer une typologie en fonction, par exemple, des motivations et des finalités invoquées. Qui transgresse ? Que, pourquoi et comment transgresse-t-on ? Quels sont les risques encourus ? Les châtiments ? On pourra ainsi questionner le rapport de la transgression au bien commun, notamment autour de la notion de sacrifice, ou au contraire son rapport à l’intérêt personnel, en se demandant si la transgression est volontaire ou involontaire, inconsciente, assumée.

Il est attendu des communications qu’elles proposent une réflexion sur une figure ou un type de figure antique de la transgression ou une catégorie d’actes transgressifs et d’en exposer les caractéristiques, en synchronie ou en diachronie, ainsi que les liens qu’elles entretiennent avec la société dans laquelle ces figures et ces actes émergent sous forme de représentations ou de faits historiques. Tous les types de transgression peuvent être abordés : sociales, politiques, philosophiques, religieuses, littéraires, linguistiques etc. Les sources documentaires peuvent être textuelles, épigraphiques, iconographiques ou historiques. Chaque exposé durera 30 minutes et sera suivi d’un temps de discussion.

Les propositions de communications, sous forme d’un résumé de 300 mots (en français ou en anglais) accompagné d’une présentation des sources mobilisées et d’une bibliographie indicative, sont à adresser au laboratoire TAntALE : tantalens@gmail.com, le 27 mai 2019 au plus tard. L’annonce des propositions retenues aura lieu le 24 juin 2019.

Organisateurs :

Juliette Gaillemain-Meeus– TAntALE, ENS de Lyon, HiSoMA (UMR 5189)

Simon Cahanier– TAntALE, Univ. Jean Moulin Lyon 3, HiSoMA (UMR 5189)

Laboratoire junior TAntALE :

Blog : https://tantale.hypotheses.org/

Facebook : https://www.facebook.com/laboratoirejuniorTantale/

 

Bibliographie indicative

  • Définitions et applications modernes du concept de transgression

BATAILLE Georges, L’érotisme, Paris, France, les Éd. de Minuit, 2011.

BECKER Howard Saul et CHAPOULIE Jean-Michel, Outsiders : études de sociologie de la déviance,Paris, France, A.-M. Métailié, 1998.

CAILLOIS Roger, L’homme et le sacré, Paris, France, Gallimard, 1963.

CANGUILHEM Georges, Le normal et le pathologique, Paris, France, Presses universitaires de France,2013.

DURKHEIM Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, France, Presses universitaires de France, 1997.

ENRIQUEZ Eugène, « Un monde sans transgression », Nouvelle revue de psychosociologie, n 6, 2,2008-11-04,p. 277-289, 2008.

FOUCAULT Michel, Les anormaux : cours au Collège de France (1974-1975), Paris, France,EHESS : Le Seuil, Gallimard, 1999.

FOUCAULT Michel et MARMANDE Francis, Préface à la transgression: hommage à Georges Bataille, Fécamp, France, Lignes, 2012.

HASTINGS Michel, NICOLAS Loïc et PASSARD Cédric (eds.), Paradoxes de la transgression, Paris,France, CNRS éd., 2012.

  • Transgression dans l’Antiquité

BELMAS Élisabeth, Jeux interdits : la transgression ludique de l’Antiquité à nos jours, Limoges, France, PULIM – Presses Universitaires de Limoges, 2016.

BRULÉ Pierre (ed.), La norme en matière religieuse en Grèce ancienne: actes du XIe colloque du CIERGA (Rennes, septembre 2007), Liège, Belgique, Centre International d’Étude de la ReligionGrecque Antique, 2009.

CHARPENTIER Marie-Claude, « Les frontières du sauvage dans l’Antiquité », Cahiers des études anciennes, LII, 2015, p. 7-18.

CHIRON Pierre et GUÉRIN Charles, L’infraction stylistique et ses usages théoriques: de l’Antiquité à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

Deproost, P.-A. (2015) : Extravagances. Écarts et normes dans les textes grecs et latins, Paris.

DOUZOU Laurent, EDOUARD Sylvène et GAL Stéphane (eds.), Guerre et transgressions : expériences transgressives en temps de guerre de l’Antiquité au génocide rwandais, Fontaine (Isère), France,Presses universitaires de Grenoble, 2017.

GOLDHILL Simon, « Genre and transgression » dans GOLDHILL Simon (ed.)Reading Greek tragedy,Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press., 1986, p. 244-264.

GONZALES Antonio (ed.), Penser les savoirs sociaux dans l’Antiquité: pratiques, acteurs, normes,Besançon, France, Presses universitaires de Franche-Comté, 2016.

HOFFMANN Geneviève et GAILLIOT Antoine (eds.), Rituels et transgressions de l’Antiquité à nos jours: actes du colloque, Amiens, 23-25 janvier 2008, Amiens, France, Encrage, 2009.

ITGENSHORST Tanja et LE DOZE Philippe (eds.), La norme sous la République et le Haut-Empire romain : élaboration, diffusion et contournements, Bordeaux, France, 2017.

MOREAU Alain, « Pour une apologie de la transgression ? Esquisse d’une typologie », Kernos. Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique, 10, 1997.

SCHEID John, La norme religieuse dans l’Antiquité, Paris, France, De Boccard, 2011.

VERNANT Jean-Pierre et VIDAL-NAQUET Pierre, La Grèce ancienne. 3. Rites de passage et transgressions, Paris, Éd. du Seuil, 1992.

 

[1]HASTINGS Michel, NICOLAS Loïc et PASSARD Cédric, « L’épreuve de la transgression » dans HASTINGS Michel, NICOLAS Loïc et PASSARD Cédric (eds.) Paradoxes de la transgression, Paris, France, CNRS éd., 2012, p. 11.

 

Source : https://tantale.hypotheses.org/742#more-742

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