Colloque international bilingue (français/anglais) organisé par Loïc Artiaga (Université de Limoges), Monica Dall’Asta (Université de Bologne) et Matthieu Letourneux (Université de Paris Ouest Nanterre La Défense).
Un projet artistique accompagne le colloque. Il est coordonné par Catherine Geel (École nationale supérieure d’Art, Limoges / Sandberg Institut, Amsterdam), David Enon (École supérieure des Beaux-Arts d’Angers) et Pierre Pradinas (Théâtre de l’Union, Limoges)
Personnage littéraire créé en 1911 par Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas fait partie des principales figures de la culture médiatique de la Belle Époque, dont il réussit à synthétiser une part des peurs et des fantasmes. Destiné à l’obsolescence, comme l’essentiel des productions populaires de son temps, il y survit néanmoins. Jusque dans les années 1960, il incarne dans l’imaginaire collectif le Méchant superlatif, « le Maître de l’Effroi », le « Génie du crime », « Le Tortionnaire » et même, pour certains, l’archétype du terroriste moderne.
Apparu dans la collection du « Livre populaire » chez Fayard, Fantômas est le fruit des industries culturelles du début du siècle, celles dont les moyens techniques et financiers autorisent les succès de masse. Elles imposent à l’oeuvre son format, son prix, son rythme de parution, ses illustrations et les slogans qui y sont associés. Fantômas, annoncé dans des encarts de presse comme « plus inquiétant que Cartouche, plus subtil que Vidocq, plus fort que Rocambole », apparaît ainsi mensuellement durant deux ans et demi, dans des volumes d’un peu plus de 380 pages, dotés de couvertures aisément reconnaissables. Produits culturels voués à une exploitation rapide, les romans sont traduits, imités, adaptés au théâtre et au cinéma. Dès 1914, Fantômas est célèbre pour ses méfaits imprimés autant que pour ceux commis à l’écran ; il est à la fois un personnage populaire et une source d’inspiration pour les avant-gardes, qui signent manifestes, poèmes et tableaux à la Gloire d’un « Génie du crime » qu’ils opposent à l’ordre bourgeois.
En se situant en Europe, à une époque qui se termine avec le basculement des industries culturelles dans une « culture monde » sous influence américaine, le projet collectif proposé ici ne saisit volontairement qu’une partie du phénomène étudié. Rejetant la démarche « généalogique » – que reste-t-il du Fantômas de Souvestre et Allain dans la somme des oeuvres postérieures ? – il propose de concentrer l’attention des chercheurs sur les manifestations des premiers temps de la chronologie fantômassienne. Dominique Kalifa l’a montré pour la France : la naissance et le succès de Fantômas se comprennent dans un climat d’obsession sécuritaire, de hantise des Apaches et des attentats anarchistes[1]. Fantômas dépeint l’échec des nouveaux modes d’investigation policière et de contrôle des individus, alors qu’apparaissent dans le Pays les premiers documents portatifs d’identité. Qu’en est-il ailleurs en Europe ? Comment expliquer l’engouement que suscite Fantômas, notamment en Italie où il est traduit pour la première fois, en Espagne, au Portugal ou en Allemagne, qui voit naître son double le plus marquant, le Dr Mabuse ? Pourquoi donne-t-il naissance au cinéma à une profusion d’épigones ? Comment les sociétés européennes reçoivent-elles et reformulent-elles Fantômas au début du XXe siècle?
Accompagnant l’avènement de nouvelles pratiques éditoriales (liées aux collections populaires) et culturelles (liées à la circulation des fictions d’un média à l’autre), Fantômas illustre les transformations radicales de la culture sérielle au début du XXe siècle. Les changements qui interviennent dans les relations entre les auteurs et les éditeurs, dans les supports et leurs usages, dans les modes de consommation des oeuvres vont naturellement se traduire par des mutations des genres populaires, des modèles narratifs, des stéréotypes, des scénarios intertextuels et des séries culturelles dominantes. Ainsi les aventures du personnage éclairent-elles autant les circulations des imaginaires et des représentations que leur adaptation aux bouleversements de l’industrie culturelle et à leur incidence sur les formes et leur réception.
Le présent colloque tend à favoriser des approches comparées ou des études de transferts entre Fantômas et la masse des fictions populaires européennes construites autour de figures de génie du crime. En effet, si Fantômas est bien à la Belle Époque un succès européen, il n’est cependant que l’élément saillant d’une coterie transnationale de génies maléfiques. Le Dr Nikola de Guy Boothby et le Zigomar de Léon Sazie le précèdent dans la chronologie, tandis que les années 1911-1915 voient se multiplier sur papier et à l’écran des personnages similaires : Doctor Gar El Hama au Danemark, Le Mystérieux Docteur Cornélius en France, Fu Manchu et Ultus en Angleterre,Tigris et Za-la-Mort dans le cinéma italien… La rareté des copies conservées des films de l’époque rend difficile un inventaire complet de ces personnages, qui sont aussi repris dans des parodies. Néanmoins, malgré les incontestables influences américaines sur ces fictions – celle des aventures de Nick Carter notamment – et les transferts qui s’opèrent entre l’édition anglaise et celle de la Côte Est des États-Unis, la simultanéité de l’apparition de ces personnages aux qualités similaires invite à initier une approche continentale du phénomène.
Thèmes proposés
L’étude de Fantômas et des génies du crime à l’échelle du vieux Continent est proposée dans une perspective pluridisciplinaire. L’histoire, les études littéraires et cinématographiques, les Culturalstudies seront associées dans ce colloque qui devra permettre d’évaluer la place de Fantômas et des génies criminels dans l’imaginaire collectif européen. La perspective proposée – européenne, transnationale et comparée – doit également donner l’occasion de se saisir de questions méthodologiques. L’étude des fictions populaires européennes passe-t-elle par le recours audistant reading ou par de nouvelles approches de la poétique des fictions de grande consommation ? Sur quelles archives faut-il baser l’histoire des fictions populaires ? Comment s’assurer de leur sauvegarde et de leur accès ?
Fantômas peut ainsi apparaître comme une étude de cas permettant de tirer un bilan des connaissances et des concepts accumulés depuis le milieu des années 1990 dans l’étude des manifestations de la culture médiatique. A l’étude des résonnances sociales de l’émergence des figures de génies du crime, le présent colloque propose d’ajouter un nouvel examen des débuts littéraires de Pierre Souvestre et de Marcel Allain, de leur inscription dans les logiques des premières industries culturelles européennes, des différentes adaptations de Fantômas, ainsi qu’une approche des réceptions et des publics de Fantômas – la critique, les avant-gardes, les lecteurs, les spectateurs. Les communications proposées devront s’inscrire dans l’un des cinq thèmes suivants :
1. L’Europe des génies du crime (situation, cartographie des personnages ; représentation des espaces européens)
2. Les débuts en littérature, au théâtre et au cinéma de Pierre Souvestre, Marcel Allain et de Fantômas
3. Les industries culturelles et le motif du crime à la Belle Époque
4. Les avant-gardes et la figure de Fantômas
5. Les génies criminels, leurs publics et leurs censures
Les propositions de communication, de 2 500 caractères, sont à adresser avant le 9 janvier 2013 à Loïc Artiaga (loic.artiaga@unilim.fr), Monica Dall’Asta (monica.dallasta@unibo.it) et (Matthieu Letourneux (mletourneux@free.fr).
Bibliographie indicative
Loïc Artiaga (dir.), Le Roman populaire : des premiers feuilletons aux adaptations télévisuelles (1836-1960), Paris, Autrement, 2008.
Annabel Audureau, Fantômas, un mythe moderne au croisement des arts, Rennes, PUR, 2010.
Didier Blonde, Les Voleurs de visages, Paris, Métailié, 1992.
Monica Dall’Asta, Trame spezzate, Archeologia del film seriale, Gènes, Le Mani, 2009.
– (dir.), Fantômas. La vita plurale di un antieroe, Udine, Il Principe costante, 2004.
Dominique Kalifa, L’Encre et le sang, Récits de crime et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1995.
-, « Archéologie de l’Apachisme ; Les représentations des Peaux-Rouges dans la France du XIXesiècle », Le Temps de l’Histoire, n° 4, 2002.
-, « Les Lieux du crime. Topographie criminelle et imaginaire social à Paris au XIXe siècle », Sociétés et représentations, 2004/1, n° 17.
-, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, « Pour l’Histoire », 2005.
Jacques Migozzi, Boulevards du populaire, Limoges, PULIM, 2005.
– (dir.), Le Roman populaire en question(s), Limoges, PULIM, 1997.
– (dir.), De l’Écrit à l’écran. Littératures populaires : mutations génériques, mutations médiatiques, Limoges, PULIM, 2000.
– et Philippe Le Guern (dir.), Production(s) du populaire, Limoges, PULIM, 2004.
Lise Queffélec, Le Roman-feuilleton français au XIXe siècle, Paris, PUF, 1989.
Anne-Marie Thiesse, Le Roman du quotidien. Lecteurs et lectures à la Belle Époque [1984], Paris, Seuil, « Points Histoire », 2000.
Jean-Claude Vareille, Filatures, Itinéraires à travers les cycles de Lupin et Rouletabille, Grenoble, PUG, 1980.
– , L’homme masqué, le justicier et le détective, Lyon, PUL, 1989
– , « Le Paris de Fantômas », Nouvelle Revue des études fantômassiennes, op. cit.
Robin Walz, Pulp Surrealism: Insolent Culture in Early-Twentieth-Century Paris, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 2000.
[1] Dominique Kalifa, Crime et culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, « Pour l’Histoire », 2005.
Responsable : Universités de Limoges, Paris X et Bologne
http://www.flsh.unilim.fr/lpcm/2012/06/appel-a-communications-fantomas-en-europe-les-origines-industrielles-sociales-et-esthetiques-fin-xixe-annees-1930/
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