Le génie est, depuis la première modernité, l’une des notions par lesquelles se construit la valeur des œuvres d’art et des innovations scientifiques, de même que celle de leurs agents (artistes, poètes, scientifiques, philosophes, inventeurs, grandes figures de toutes sortes). À ce titre, le génie permet d’ancrer le sentiment d’appartenance des communautés autour d’une instance de valorisation qui leur est universellement reconnue, sur laquelle peuvent être fondées les hiérarchies culturelles, les mécanismes d’admiration et d’émulation, les stratégies de recyclage du passé, la constitution projective de la postérité, etc. Bref, malgré son extrême singularité, le génie permet de fonder du commun. Ainsi, cette figure peut être envisagée non pas comme un naturel inné dont on pourrait s’employer à comprendre la cause (transcendantale ou physiologique), mais plutôt comme une construction historique et culturelle correspondant à différents usages.
C’est précisément ces usages du génie que nous proposons d’interroger, dans le cadre d’un numéro collectif de la revue L’Esprit créateur (Johns Hopkins University Press,http://espritcreateur.umn.edu) dont la publication est prévue pour l’automne 2015.
Plus particulièrement, les propositions attendues s’intéresseront au statut problématique que possède la notion de génie au sein des discours dans lesquels elle se trouve impliquée, du Moyen Âge aux vingtième et vingt-et-unième siècles français. Il s’agira non seulement de souligner la variété des constructions dont le génie a fait l’objet dans son histoire, mais aussi d’insister sur les utilisations particulières de cette notion en fonction des contextes de son élaboration (disciplines, pratiques de valorisation, querelles et débats ; enjeux politiques, économiques, sociologiques, linguistiques, littéraires, philosophiques, esthétiques, etc.). Loin de relever de l’évidence, le génie demande au contraire à être sans cesse redéfini selon les circonstances dans lesquelles il est convoqué. Nous ne chercherons donc pas à saisir l’essence du génie, mais plutôt à interroger les modalités même de cette utilisation. Pour ce faire, nous proposons d’aborder le génie dans la longue durée, de façon à mettre en évidence la pluralité des champs dans lesquels la notion est investie. Nous inscrivons cette longue durée dans le contexte français (ce qui n’exclut pas de considérer les phénomènes de transferts culturels), non seulement parce que l’histoire française du génie a été négligée jusqu’à présent par la critique, mais aussi pour nous permettre de mesurer les conséquences de cette spécificité dans l’élaboration des discours.
Plusieurs angles d’approche peuvent être envisagés (mais la liste n’est pas exhaustive) :
- Quelles sont les modalités du rapport entre la singularité du génie et la communauté à laquelle il appartient selon une époque/région/circonstance donnée ?
- Comment (dispositif publicitaire, acteurs, public, médias, etc.) et à quelles fins ont été construites dans leur temps les grandes figures du génie ?
- Comment se constitue le rapport du génie à la norme et à ses éventuelles transgressions, aux usages et aux innovations, à la règle et au dérèglement sous toutes ses formes ?
- Y a-t-il une éthique propre au génie ?
- Comment les différentes formes d’art représentent-elles le génie ?
- Quel(s) génie(s) aujourd’hui et pourquoi?
Responsables du numéro :
Ann Jefferson, Professor of French, New College, Oxford
Jean-Alexandre Perras, Postdoctoral fellow, Lady Margaret Hall, Oxford
Modalités
Les propositions d’articles d’une page maximum, accompagnées d’une brève bio-bibliographie pourront nous être adressées par mél aux adresses suivantes : ann.jefferson@new.ox.ac.uk &jean-alexandre.perras@mod-langs.ox.ac.uk avant le 30 juin 2014. La date limite pour la remise des articles est le 31 décembre 2014.
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