Appel à publication : « Ce que le musée fait de la littérature. Muséalisation et exposition du littéraire »

Capture d’écran 2014-06-19 à 09.36.40De par sa nature et ses modes de diffusion coutumiers, la littérature s’est traditionnellement développée en marge de l’espace muséal, dévolu historiquement et institutionnellement à d’autres pratiques, artistiques (peinture, photographie…) ou scientifiques (histoire, sciences naturelles…) en particulier. Pour autant, les deux univers ont fait l’objet de nombreuses formes d’interactions, qu’il s’agisse, pour la littérature, de représenter l’univers muséal, de contribuer à la vie artistique (par la critique, notamment) ou encore, pour le monde muséal, d’exposer la littérature. La revue « Interférences littéraires. Literaire Interferenties » fait un appel à communications pour un numéro spécial sur la problématique « Musée et Littérature ».

De par sa nature et ses modes de diffusion coutumiers, la littérature s’est traditionnellement développée en marge de l’espace muséal, dévolu historiquement et institutionnellement à d’autres pratiques, artistiques (peinture, photographie…) ou scientifiques (histoire, sciences naturelles…) en particulier. Pour autant, les deux univers ont fait l’objet de nombreuses formes d’interactions, qu’il s’agisse, pour la littérature, de représenter l’univers muséal, de contribuer à la vie artistique (par la critique, notamment) ou encore, pour le monde muséal, d’exposer la littérature.

Jusqu’à présent, la recherche consacrée aux enjeux des relations entre musée et littérature s’est essentiellement focalisée sur le versant littéraire. L’on peut notamment songer aux travaux consacrés à la critique d’art des écrivains, ou bien à la participation de ces derniers à des catalogues d’expositions, voire à des ouvrages consacrés à certains musées (voir le Musée du Louvre de Théophile Gautier ou la fiction de Brock Clarke An Arsonist’s Guide to Writers’ Homes in New England : A Novel). Mentionnons également les études portant sur l’appropriation du geste muséal de collection et d’exposition par l’écrivain (voir le numéro de la revue Littérature, « La littérature exposée », 2010), dans un contexte souvent semi-privé et domestique (Dominique Pety (2003), Bertrand Bourgeois (2009)).

Quelques rares travaux abordent la littérature comme objet de musée. Ils ne traitent cependant pas des modes d’appropriation de la littérature par l’environnement muséal. À cet égard, l’article intitulé « Le Musée et le texte » de Philippe Hamon, déjà ancien (1995), continue de faire référence mais davantage auprès de disciplines connexes (Depoux, 2006). Par ailleurs, les maisons-musées d’écrivains font l’objet de travaux (Hoover Biggers (2002) et Hendrix (2012) par exemple).

Ainsi, la muséalisation de la littérature prend plus d’un visage, qu’il s’agit d’identifier plus avant et de situer historiquement. Quelques exemples sont intéressants de ce point de vue : outre les maisons d’écrivains, pensons aux Archives et Musée de la littérature à Bruxelles, au Deutsches Literaturarchiv Marbach/Schiller-Nationalmuseum établi dans la ville natale de Friedrich Schiller, ou bien au Musée national de la littérature chinoise moderne à Pékin. Il convient également d’évoquer à ce titre les expositions temporaires telle que l’exposition « Victor Hugo. L’homme-océan » à la Bibliothèque nationale de France(2002) par exemple, ainsi que des expériences originales et inédites qui conduisent l’écrivain à devenir acteur du musée (Jean-Philippe Toussaint sollicité pour l’exposition « Livre/Louvre » en 2012 ; réalisation du « Musée de l’innocence » d’Orhan Pamuk, issu d’une fiction).

Dans ce contexte de recherche, le numéro de la revue Interférences littéraires/Literaire interferenties a pour ambition une interrogation sur le devenir de la littérature lorsqu’elle se fait objet de musée. Il s’agira de proposer une première cartographie des enjeux soulevés par la muséalisation de la littérature aux xixe, xxe et xxie siècles, tant en termes de discours que de pratiques. Il s’agira d’étudier les modalités d’un processus, entendu comme « l’opération tendant à extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, la transformer en musealium ou muséalie, objet de musée, soit à la faire entrer dans le champ du muséal » (Desvallées & Mairesse, 2011). Un tel phénomène ne va pas de soi. Il engage en effet la rencontre de deux domaines, ainsi que celle des agents de ces deux domaines, déterminés dans leurs interactions par des finalités propres, qui affectent le statut de la littérature et supposent la mise en forme de constructions spécifiques au sein de l’espace muséal.

Dans cette perspective, le dossier abordera la problématique dans une optique ouverte. Il ne s’agira donc pas de circonscrire le sujet ni à des institutions précises, pas plus qu’à une forme de muséalisation donnée (exposition temporaire /virtuelle, scénographie immersive, présentation traditionnelle sous vitrine…), mais bien plutôt de réfléchir au système des pratiques en vigueur pour intégrer et donner à voir la littérature au sein de l’espace muséal.

Figure visible et emblématique de la vie littéraire, l’écrivain est bien évidemment au premier plan des interactions entre le musée et la littérature. En effet, il est à la fois l’objet et l’acteur de ces interactions. Sur le plan de la construction de la figure de l’écrivain, il s’agit de se demander dans quelle mesure, et selon quelles voies les expositions de type biographique et monographique opèrent. Dans ce domaine, le cas exemplaire de la maison d’écrivain témoigne de la large part de resacralisation de l’écrivain qui sous-tend les réappropriations muséales de ses représentations (valeur anthropologique du culte de ses reliques, biographisation de l’œuvre, mise en valeur d’un mode de travail singulier, interrogation sur le statut de « grand homme »). Dans le cas singulier des expositions portant sur un écrivain en vie, et éventuellement sollicité pour l’occasion, ainsi que des expositions dont le commissaire est un écrivain, il importe de s’interroger sur la place prise par ces expositions au sein de leurs œuvres. Comment les écrivains se positionnent-ils par rapport à elles, quels rôles y jouent-ils (ou leur fait-on jouer) ?

Les relations entre musée et littérature peuvent également revêtir la forme d’une reprise de modèles. À cet égard, l’on peut se demander dans quelle mesure, et selon quelles finalités, les expositions se livrent à l’imitation et à l’appropriation de certains modèles relevant du discours littéraire (par exemple un découpage narratif repris par la scénographie de l’exposition sous forme de chapitres et de sections, processus de présentation anthologique des œuvres…), en regard de l’adoption de certains codes muséaux par la littérature (recours au modèle de la galerie de portraits ou aux albums par des collections éditoriales par exemple). Ces emprunts ne tendent-ils pas à muséifier notre conception de la littérature, c’est-à-dire à consolider des représentations figées issues d’une construction historique entérinée par l’institution scolaire ? Dans quelle mesure et selon quelles modalités le musée affecte-t-il le littéraire selon un modèle autonome de construction de la littérature déterminé par des contraintes institutionnelles et médiatiques particulières ? Quelles traces en trouve-t-on dans les musées, les expositions, mais aussi, éventuellement, dans la promotion des expositions, que cette promotion soit le fait des instances muséales ou passe par d’autres modes de transmission (radio, télévision, internet…) ?

Dans cette perspective, le musée peut-il être considéré comme un médium ou un espace de médiation de la littérature dans l’espace social, tel que l’envisage Régis Debray dans un récent article (2013) ? Comment les interactions repérées s’opèrent-elles entre les domaines en question et que traduisent-elles de la façon dont la littérature est envisagée et construite ? À cet égard, qu’en est-il notamment des pratiques de lecture et d’interprétation traditionnellement attachées à la pratique littéraire : l’exposition déjoue-t-elle l’appréhension de la littérature par le texte et le livre ? Dans quelle mesure et selon quelles modalités ? Dans cette perspective, quels éléments distinguent le musée du cabinet de lecture et de la bibliothèque, que l’on peut concevoir comme un conservatoire de collections littéraires de type muséal ? Le geste d’exposition serait-il le seul critère de distinction entre les musées et les bibliothèques ? Mais qu’en est-il quand ces dernières mettent en œuvre leurs propres programmes d’expositions (Pierpont Morgan Library, Bibliothèque nationale de France…) ? Enfin, sur le plan du lectorat et des visiteurs, la muséalisation contribuerait-elle à rendre plus visible, plus accessible la littérature dans l’espace public et auprès d’une audience élargie ?

Ces interrogations posent en définitive la question de l’adaptation et de l’appropriation des codes littéraires, logocentrés dans une large mesure, par les codes muséographiques, davantage fondés sur une approche sensible et attentive à la dimension matérielle des objets étudiés. Quels sont alors les ressorts de la « muséogénie » a priori paradoxale de la littérature ? Quels sont les critères (patrimoniaux, visuels et spectaculaires…) qui décident du choix de tel objet, ou de telle thématique, et quelles sont les représentations du fait littéraire ainsi engagées ? Certaines pratiques et certains genres seraient-ils plus « muséogéniques » que d’autres (le conte de fée vs. la poésie) ? En fonction de quels paramètres ? S’agit-il de genres qui ont davantage fait l’objet d’illustrations, qui ont donné lieu à davantage d’adaptations dans d’autres domaines, plus facilement « exposables » (peinture, cinéma, représentations théâtrales…) ? Qu’en est-il des réseaux et des mouvements littéraires muséalisés (voir l’exposition « Bohèmes » au Grand Palais à Paris en 2013 ou bien la maison du peintre Ary Scheffer, transformée en « Musée de la vie romantique » à Paris). Le charisme médiatique de leurs représentants, la dimension plastique des réflexions théoriques et esthétiques mises en avant par le mouvement, la prégnance de représentations liées au mode de création ou au mode de vie des écrivains concernés dans notre imaginaire constituent-ils des éléments favorables à leur muséalisation ?

En définitive, l’ensemble des pistes envisagées invite à s’interroger sur les concepts, les objets, les enjeux et les moyens techniques de nature muséographique en fonction desquels s’opère la muséalisation de la littérature. Il s’agit ainsi de rendre compte de l’impact de ces opérations sur la représentation de ce que l’on pourrait être amené à appeler plus largement le « littéraire ».

Modalités pratiques d’envoi des propositions

Les contributions qui se proposeront d’approcher la thématique sous un angle pluri- et interdisciplinaire en combinant sociologie, histoire littéraire, histoire culturelle, histoire de l’art et/ou muséologie seront privilégiées, au même titre que les approches comparatives impliquant des espaces nationaux et/ou linguistiques différents. La longueur des articles devrait idéalement être de 30.000 à 50.000 signes (espaces et notes compris). Veuillez envoyer vos propositions avant la date du

21 juin 2014

à Marie-Clémence Régnier (marieclemenceregnier@hotmail.com) et à David Martens (david.martens@arts.kuleuven.be). Veillez également à joindre un résumé de plus ou moins 300 mots, ainsi qu’une courte biographie précisant votre appartenance institutionnelle et vos domaines de recherche. La sélection des textes sera opérée pour le 30 juin 2014 et les articles seront soumis par voie électronique avant le 1er novembre 2014.

Site de la revue, versions téléchargeables en français, en anglais et en allemand, suivre le lien: http://interferenceslitteraires.be/node/313

Conseil de rédaction

  • Geneviève FABRY (UCL)
  • Anke GILLEIR (KULeuven)
  • Gian Paolo GIUDICETTI (UCL)
  • Agnès GUIDERDONI (FNRS – UCL)
  • Ben DE BRUYN(KULeuven)
  • Ortwin DE GRAEF (KULeuven)
  • Jan HERMAN (KULeuven)
  • Marie HOLDSWORTH (UCL)
  • Guido LATRÉ (UCL)
  • Nadia LIE (KULeuven)
  • Michel LISSE (FNRS – UCL)
  • Anneleen MASSCHELEIN (FWO – KULeuven)
  • Christophe MEURÉE (FNRS – UCL)
  • Reine MEYLAERTS (KULeuven)
  • Stéphanie VANASTEN (FNRS – UCL)
  • Bart VAN DEN BOSCHE (KULeuven)
  • Marc VAN VAECK (KULeuven)
  • Pieter VERSTRAETEN (KULeuven)

Comité scientifique

  • Olivier AMMOUR-MAYEUR (Monash University)
  • Ingo BERENSMEYER (Universität Giessen)
  • Lars BERNAERTS (Universiteit Gent & Vrije Universiteit Brussel)
  • Faith BINCKES (Worcester College, Oxford)
  • Philiep BOSSIER (Rijksuniversiteit Groningen)
  • Franca BRUERA (Università di Torino)
  • Àlvaro CEBALLOS VIRO (Université de Liège)
  • Christian CHELEBOURG (Université de Nancy II)
  • Edoardo COSTADURA (Friedrich-Schiller-Universität -Jena)
  • Nicola CREIGHTON (Queen’s University Belfast)
  • William M. DECKER (Oklahoma State University)
  • Dirk DELABASTITA (Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix – Namur)
  • Michel DELVILLE (Université de Liège)
  • César DOMINGUEZ (Universidad de Santiago de Compostella & King’s College)
  • Gillis DORLEIJN (Rijksuniversiteit Groningen)
  • Ute HEIDMANN (Université de Lausanne)
  • Klaus H. KIEFER (Ludwig-Maxilimians-Universität München)
  • Michael KOHLHAUER (Université de Savoie)
  • Isabelle KRZYWKOWSKI (Université de Grenoble)
  • Sofiane LAGHOUATI (Musée Royal de Mariemont)
  • François LECERCLE (Paris IV – Sorbonne)
  • Ilse LOGIE (Universiteit Gent)
  • Marc MAUFORT (Université Libre de Bruxelles)
  • Isabelle MEURET (Université Libre de Bruxelles)
  • Christina MORIN (Queen’s University Belfast)
  • Miguel NORBARTUBARRI (Universiteit Antwerpen)
  • Andréa OBERHUBER (Université de Montréal)
  • Olivier ODAERT (Université de Limoges)
  • Jan OOSTERHOLT (Universität Oldenburg)
  • Maïté SNAUWAERT (Université d’Alberta)

Bibliographie sélective

  • Bourgeois Bertrand, Poétique de la maison-musée dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle (1847-1898), Paris, L’Harmattan, 2009.
  • Braun Peter, Dichterhaüser, Münich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 2003.
  • Butor, Michel, Mériel Olivier & Molinari Danielle, Dans l’intimité de Victor Hugo à Hauteville House, Paris, Paris-Musées, 1998.
  • Clarke Brock, An Arsonist’s Guide to Writers’ Homes in New England : A Novel, New-York, Algonquin Books, 2007.
  • Davallon Jean, L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, « Communication et civilisation », 1999.
  • De Bary Marie-Odile, « Les différentes formes de muséographie : de l’exposition traditionnelle au centre d’interprétation », Manuel de Muséographie, s. dir. Marie-Odile De Bary & Jean-Michel Tobelem, Paris, Seguier, 1998, pp. 195-203
  • Depoux Anneliese, « De l’espace littéraire à l’espace muséal : la muséographisation de Joachim du Bellay », dans Communication et langages, n° 150, 2006, pp. 93-103.
  • Desvallées André & Mairesse François, « Muséalisation », dans Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 251
  • Emery Elizabeth, Photojournalism and the Origins of the French Writer House Museum (1881-1914). Privacy, Publicity, and Personality, Farnham, Ashgate, 2012.
  • Fabre Daniel, « L’auteur et ses lieux », dans Le Débat, n° 115, 2001, pp. 172-177.
  • Hamon Philippe, Expositions, littérature et architecture au xixe siècle, Paris, José Corti, 1989.
  • Id., « Le Musée et le texte », dans Revue d’histoire littéraire de la France, no 95, 1995, pp. 3-12.
  • Hendrix Harald (s. dir.), Writers’ Houses and the Making of Memory, Abingdon, Routledge, 2012
  • Jeanneret Yves, Penser la trivialité. La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès-Lavoisier, 2008.
  • Hoover Biggers, Shirley, British Author House Museums and Other Memorials : A Guide to Sites in England, Ireland, Scotland and Wales, Jefferson, Mcfarland & Co Inc Pub, 2002
  • Kahl Paul & Breuer Constanze, « … ein Tempel der Erinnerung an Deutschlands großen Dichter », dans Das Weimarer Schillerhaus 1847–2007. Gründung und Geschichte des ersten deutschen Literaturmuseums, Iéna,Verlag Vopelius, 2011.
  • Mairesse François, Le Musée, temple du spectaculaire : pour une histoire du projet muséal, Lyon, Presses universitaires de Lyon, « Muséologies », 2002.
  • Marsh Kate, Writers and Their Houses : A Guide to the Writers’ Houses of England, Scotland, Ireland, Londres, Hamish Hamilton, 1993.
  • Martin-Payen Catherine, « Muséographe, quel métier ? », dans Muséologue, muséographe, expographe, scénographe. Un seul métier à plusieurs ? La Lettre de l’OCIM, n° 88, 2003.
  • Pety Dominique, Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2003.
  • Rosenthal Olivia & Ruffel Lionel (s. dir.), « La littérature exposée », dans Littérature, n° 160, 2010.
  • Riel Marie-Ève, « La fabrication et la conservation posthumes des figures d’auteurs : le cas des lieux littéraires et des maisons à visiter » dans « Fictions du champ littéraire », s. dir. GREMLIN, Discours social, vol. XXXIV, 2010, pp. 55-59.
  • Trubek Anne, A Skeptic’s Guide to Writers’ Houses, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2010.

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