Appel à publication : « Chercher l’or du temps : surréalismes, art naturel, art brut, art magique » (revue Déméter # 8 été 2022)

Appel à publication : « Chercher l’or du temps : surréalismes, art naturel, art brut, art magique » (revue Déméter # 8 été 2022)

Le LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole à Villeneuve d’Ascq organise une exposition intitulée « Chercher l’or du temps : surréalismes, art naturel, art brut, art magique » qui se tiendra du 10 juin au 16 octobre 2022. Dans un parcours qui s’étendra des années 1920 à la fin des années 1960, l’exposition étudiera les moments et les lieux de convergence intellectuelle, artistique, géographique et politique des acteurs du surréalisme dont André Breton et l’inventeur de l’art brut Jean Dubuffet, sans se limiter à ces personnalités majeures. Elle sera accompagnée d’un catalogue, d’une journée d’études et de ce numéro thématique. Un important travail de recherche est en effet à l’œuvre pour relire et relier les histoires du surréalisme, de l’art brut et de leurs prolongements selon une approche de l’art qui serait le fait de forces irrationnelles ou (sur)naturelles.

Dans leur pratique de collecte plus encore que dans leur propre création, les surréalistes s’affranchissent des hiérarchies et posent un regard autre sur le monde. C’est une véritable révolution qui est à l’œuvre pour réenchanter un quotidien marqué par deux guerres mondiales. L’art brut se trouve au cœur de cette réinvention des possibles. L’intérêt d’André Breton pour le pouvoir de création de la folie se manifeste dès 1916, lorsque, affecté comme médecin militaire auxiliaire au centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier, il demande aux soldats traumatisés : « À quoi rêvez-vous la nuit ? ». L’ouvrage de Hans Prinzhorn, Bildnerei der Geistekranken (1922) reconnaît la force créatrice d’œuvres issues du contexte asilaire. Les revues surréalistes, La Révolution surréaliste (1924-1929), Documents (1929-1931) ou Minotaure (1933-1939), explorent, elles aussi, ces formes de création qui relèvent de l’inconscient. Des œuvres entrent d’ailleurs dans les collections d’André Breton, Paul Éluard et des docteurs Lucien Bonnafé, Gaston Ferdière. Jean Dubuffet prend connaissance du livre de Prinzhorn en fréquentant le cercle de la rue Blomet, où se réunissent Michel Leiris, Georges-Henri Rivière, Georges Bataille, Carl Einstein ou encore André Masson. Il visite la collection à Heidelberg en 1950, cinq ans après sa propre mission de collecte d’œuvres dans les hôpitaux psychiatriques et prisons suisses en compagnie de Le Corbusier et Jean Paulhan, suivie d’une visite de l’hôpital de Saint-Alban, en Lozère.

Si Jean Dubuffet est clairement l’inventeur de l’art brut, terme choisi suite à son voyage de l’été 1945, il est intéressant de relever que Charlotte Perriand l’aurait utilisé auparavant pour désigner la collecte, le dessin et la photographie d’« objets naturels » qu’elle effectue en dialogue avec Fernand Léger et Le Corbusier. À la même époque, le « hasard objectif » des surréalistes se porte aussi vers des éléments naturels. Racines, silex ou coquilles d’huîtres sont interprétés, souvent dans un sens anthropomorphique, par les collectionneurs et les artistes côtoyant les cercles du surréalisme et de l’art brut. Avant eux, le Facteur Cheval a fondé la construction de son « palais idéal » sur une « pierre d’achoppement » qui « représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter ». Il déclare : « Je me suis dit puisque la nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture[1] ». L’idée d’une nature artiste ou d’un art existant à l’état naturel fait son chemin parmi les visiteurs du Palais. « Dégager le silex de sa gangue de terre » ou « se contenter de l’extraction » du « métal à l’état primitif » sont les images choisies par Dubuffet et Breton pour qualifier leur travail de collecte ou de création.

Dans le même temps, la fascination des artistes et écrivains pour les objets rapportés des missions ethnographiques françaises se double d’une prise de conscience du rapport prédateur de l’occident aux autres cultures, dont témoignent L’Afrique fantôme de Michel Leiris ou Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss. Cette approche critique s’accompagne d’une lecture réflexive sur nos propres identités culturelles dont les revues Documents (1929 – 1931) et Minotaure (1933-1939) se font le reflet. Georges-Henri Rivière, alors sous-directeur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, travaille à la création d’un musée des arts et traditions populaires qui ouvre en 1937, tandis que Gaston Ferdière, futur médecin d’Antonin Artaud et ami des surréalistes, milite pour la création d’un musée d’art psychopathologique. Jean Dubuffet y découvrira des objets pouvant intégrer sa collection d’art brut, au moment où il fera rupture avec un certain goût de l’exotisme encore perceptible chez les surréalistes et ébauchera son discours sur « l’homme du commun ».

Dès le milieu des années 1930, différents acteurs issus de diverses disciplines vont inventer des outils de résistance à l’inhumanité et à l’aliénation sociale générées par les totalitarismes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, loin de Paris ou New York, c’est une « intelligence en guerre » (Louis Parrot) qui se déploie. Marseille, Toulouse ou l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban seront des points de diffusion du surréalisme dans ses composantes françaises (Aragon, Artaud, Breton, Crevel, Éluard, Bousquet), mais aussi espagnoles (Buñuel, Dali) voire du dadaïsme (Tzara). Les innovations et les idées que portent ces acteurs vont rencontrer celles de plusieurs médecins, psychiatres, psychanalystes et philosophes, comme Lucien Bonnafé, François Tosquelles, Henri Ey, Jacques Lacan, Georges Canguilhem. L’art brut, qui ne porte pas encore son nom, tient une place essentielle dans ce contexte de résistance et d’invention. Dubuffet ne s’y trompera pas en se rendant à Saint-Alban en 1945.

En novembre 1947 s’ouvre le Foyer de l’art brut pensé par Jean Dubuffet comme un lieu d’exposition pour présenter le fruit de ses recherches. En septembre 1948, le Foyer se déplace dans un pavillon prêté par Gallimard et devient la Compagnie de l’art brut dont les membres fondateurs sont André Breton, Jean Dubuffet, Jean Paulhan, Charles Ratton, Henri-Pierre Roché et Michel Tapié. Au printemps précédent, un important projet éditorial est lancé par Dubuffet en collaboration avec Breton : un Almanach de l’art brut. Sont prévus douze cahiers révélant les œuvres d’une quarantaine d’auteurs d’art brut avec des textes demandés à différentes personnalités. Mais le projet de publication échoue et en 1951, Dubuffet dissout la Compagnie de l’art brut et déménage sa collection aux États-Unis. Les collections et les discours se séparent, s’opposent – parfois violemment – mais conservent artistes et sensibilités en commun.

Depuis la publication du Musée imaginaire de Malraux en 1947, chacun construit son histoire de l’art et son musée personnel. C’est chose faite par Breton avec la création de la galerie À l’Étoile scellée en 1952 et la publication de L’Art magique en 1957. Dubuffet recrée la Compagnie de l’art brut et installe sa collection en 1962 au 137 rue de Sèvres, puis commence à publier une série de fascicules intitulés L’Art brut. Arcanes ésotériques, dispositions psychiques, cultures matérielles des délaissés touchent avec acuité un après-guerre qui est à la fois consumériste et en proie à l’agitation sociale. À partir de 1948, les artistes liés au surréalisme révolutionnaire puis au groupe CoBrA cherchent à mettre en place des modes de relation de type organique, en opposition aux valeurs bourgeoises et à la prédominance de la raison. Quelques années après, art brut et réalisme fantastique sont rejoués aux prismes des contre-cultures. La tension entre objet naturel et objet culturel change ainsi de registre.

 

Ce numéro thématique de Déméter a pour objectif d’explorer plus particulièrement certains des enjeux historiques ou esthétiques soulevés par le projet d’exposition. Les propositions croisant l’histoire de l’art et l’histoire des collections, de la psychiatrie ou des sciences naturelles avec une approche philosophique, littéraire, anthropologique ou psychanalytique seront bienvenues pour appréhender les points de rencontre entre les acteurs du surréalisme et de l’art brut.

Plusieurs axes sont d’ores et déjà identifiés comme particulièrement féconds :

  • Le rôle des forces et objets naturels dans les collections, créations et discours des acteurs du surréalisme ou de l’art brut
  • L’opposition apparente entre le singulier et l’universel qui se noue dans ces mêmes discours
  • Le désir de faire émerger une contre-culture ou une contre-histoire de l’art et / ou de l’humain dans lesquelles le naturel pourrait jouer un rôle à déterminer
  • En corollaire, celui de procéder à une décolonisation des esprits ou d’inventer une forme de résistance intellectuelle

[1] Claude et Clovis Prévost. Les Bâtisseurs de l’Imaginaire. Paris, Klincksieck, 2016, p. 27.

Télécharger l’appel complet (avec bibliographie) : Demeter – Appel à publication surrealismes

 

Ce numéro est coordonné par Savine Faupin, conservatrice en chef en charge de l’art brut, Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne et Christophe Boulanger, attaché de conservation en charge de l’art brut.

Soumission des contributions

Les propositions de contribution doivent être soumises au comité de rédaction pour le 1er octobre 2021. Les auteurs dont la proposition aura été acceptée devront adresser leur article à la rédaction pour le 20 décembre 2021 dernier délai.

Les propositions accompagnées d’une courte présentation biobibliographique de l’auteur doivent être envoyées aux adresses suivantes : sfaupin@musee-lam.fr, cboulanger@musee-lam.fr, jblacourt@musee-lam.fr, en format word (.doc) ou PDF.

Pour plus d’informations sur ce numéro, veuillez contacter : apenamejia@musee-lam.fr

La revue Déméter

Déméter est une revue scientifique interdisciplinaire à comité de lecture. La revue, semestrielle, privilégie le dialogue entre les arts (arts plastiques, cinéma, théâtre, danse, musique), ainsi qu’avec les sciences humaines en général (philosophie, histoire, sociologie, anthropologie). La revue est vouée à réfléchir les articulations entre théorie et pratique (pratique artistique ou pratique de l’analyse), entre discours scientifiques et gestes créateurs, entre savoir et imagination.

https://demeter.univ-lille.fr/

 

 

 

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