Appel à publication : « Fiction et savoirs de l’art », Revue critique de fixxion française contemporaine / Critical Review of French Contemporary Fixxion

Depuis le début des années 1990, la vogue des récits dont le personnage ou le narrateur sont des peintres (Michel Houellebecq, La carte et le territoire), des critiques d’art ou des historiens (Jean-Philippe Domecq, Le Désaccord, Dominique Fernandez, Signor Giovanni), les fictions où l’œuvre plastique, réelle ou imaginaire, est l’objet de la diégèse (Bernard Teyssedre, Le Roman de l’origine, Philippe Delerm, La Bulle de Tiepolo, Tonino Benacquista, Trois carrés rouge sur fond noir), où l’intrigue concerne les milieux de l’art à travers l’histoire (Olivier Bleys, Pastel, D. Fernandez, La course à l’abîme, Jean-Philippe Delhomme, La dilution de l’artiste), ne faiblit pas. Des éditeurs et des collections leur font une place privilégiée, des écrivains s’en font une spécialité (Christian Garcin, Patrick Roegiers) ou entretiennent la pratique comme un fil rouge de leur oeuvre (Pierre Michon, Gérard Macé, Pascal Quignard), tandis que des historiens de l’art accomplissent l’excursion fictionnelle avec conviction (Hubert Damisch, Le Voyage à Laversine, Philippe Dagen, Les Poissons rouges). Ces livres, romans, essais, proses imaginatives, qui traversent les genres, du polar à l’hommage en passant par la satire ou l’érotisme (José Pierre, Le dernier tableau) sont souvent l’occasion pour leurs auteurs de décrocher un prix. Cette tendance ne concerne pas seulement l’aire française et francophone, notamment pour ce qui est du genre des “art history mysteries” (Ian Pears, Jonathan Argyll series) et de l’usage de l’objet d’art dans la fiction [1].

La critique s’est particulièrement penchée sur le rôle considérable des arts plastiques dans la réévaluation de l’écriture (auto)biographique et du genre des Vies par la fiction contemporaine. Ce qui nous intéressera ici c’est une perspective résolument épistémocritique, soit une interrogation sur la situation présente du savoir et des savoirs de l’art : savoir biographique certes, mais plus généralement historique, savoir iconographique, savoir sociologique. L’attention contemporaine portée aux fictions savantes et aux médiations littéraires du savoir s’est jusqu’ici peu tournée vers l’histoire des arts [2]. On se demandera par exemple quelle alternative au savoir du spécialiste offre à l’historien de l’art le recours à la fiction. Nicolas Bourriaud suggérait qu’ “à côté de ces deux genres établis que sont l’histoire des choses et l’histoire des formes, une histoire des comportements artistiques rest[ait] à inventer. […][3] » D’autre part, le lien entre la forme narrative dominante et le savoir de l’art amène à se demander de quoi la fiction fait l’histoire. Mais la fiction d’art est-elle vraiment productrice de savoir(s) ou suppose-t-elle, pour être lisible, l’usage de lieux communs sur les œuvres et les peintres ? Il faudra alors apprécier leur reconversion littéraire et le sens d’une telle relation à la culture artistique, son éventuelle valeur de symptôme d’un état de la littérature. Que signifie l’intérêt majeur porté aux maîtres anciens à une époque où les arts visuels ont radicalement transformé leurs procédés et leurs horizons ?

Mais s’interroger sur la fiction et le savoir des arts ce n’est pas seulement mesurer la portée épistémologique du texte de fiction, c’est aussi réévaluer une pratique discursive dans le champ du savoir tel que l’entendait Foucault. Les figures du savoir retenues par l’écrivain au début du XXIe siècle sont-elles les mêmes que celle de Balzac ou de Huysmans, que celles de Camille Mauclair ou de poètes phénoménologues des années 1960 ? Les contributeurs sont invités à se demander quels sont les paradigmes dépréciés ou oubliés, ceux qui perdurent. Le choix que fait Jacques Roubaud d’élire Aby Warburg (La bibliothèque de Warburg, Seuil, « Fiction et Cie », 2002) comme guide et référence pour construire son projet de mémoire, l’année même où Georges Didi-Huberman publie son livre majeur sur Mnémosyne (L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes, Minuit, 2002) signale la mise en vigueur d’un nouveau modèle de savoir susceptible de favoriser à nouveaux frais les passages entre histoire de l’art et littérature. Le savoir, déclarait Foucault, ne se définit pas uniquement comme la somme de ce qu’on a cru vrai mais comme ce dont on peut parler. Sur cette voie, nous explorerons les fictions en relation avec un espace dans lequel le sujet peut prendre position pour construire son discours, où des énoncés de provenance variée s’articulent, des concepts se transforment, des valeurs sont convoquées. C’est cette orientation à la fois textuelle et polémique que le présent numéro aura à charge d’explorer.

Enfin, nous nous demanderons si, comme le propose Rancière, les configurations littéraires ne sont pas susceptibles, en « ouvrant les frontières entre les discours », de mettre à distance, ou de traverser, le savoir de l’art au profit d’une « pensée de l’art » conçue comme processus de recherche et de connaissance inséparable de l’acte même d’écrire : « écrire est toujours un acte de solitude qu’aucune communauté, aucun métier, aucun savoir ne garantit. [4] »

 

Les propositions de contributions, environ 300 mots, en français ou en anglais, sont à envoyer d’ici le 15 novembre 2013 à Dominique Vaugeois et Johnnie Gratton. Les articles définitifs seront à remettre avant le 1er mars 2014 sur le site (Soumissions) ou à l’adresse fixxion21@gmail pour évaluation par le comité de la  Revue critique de fixxion française contemporaine.

 

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES


[1] Cf. A. Hepburn, Enchanted objects : visual art in contemporary fiction, University of Toronto Press, 2010.

[2] Une exception : Fictions d’histoire littéraire, Études réunies et présentées par Jean-Louis Jeannelle, La Licorne, n° 86, 2009.

[3] N. Bourriaud, Esthétique relationnelle, Presses du réel, 1998, cité par Nella Arambasin, Littérature contemporaine et histoire de l’art : récit d’une réévaluation, Genève, Droz, 1997.

[4] J. Rancière, « À propos de Les Noms de l’histoire », 2005, http://multitudes.samizdat.net/La-poétique-du-savoir.

 

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