Appel à publication : « Rematérialiser l’art contemporain (Marges N°18) »

Nous pouvons observer un intérêt croissant pour la matière et la matérialité au sein de la création contemporaine sans que l’on en sache encore les raisons ou la portée. Or si l’on peut parler de rematérialisation, c’est précisément parce que ce retour de la matière vient après une période ayant eu tendance à faire oublier ou à mettre au ban la matière en privilégiant un certain idéalisme.

Qu’il s’agisse des nombreuses formes de classicisme prônant la règle de la belle forme, de l’idéal moderniste d’une pureté du médium, voire du matériau, voici autant de signes conduisant à la « dématérialisation de l’art » notée par Lucy Lippard et John Chandler dès 1968, qui s’avère être avant tout celle de l’objet d’art. Il semble aujourd’hui que la présence et plus encore, la matérialité de l’oeuvre, retrouvent une importance toute primordiale. Constat déjà établi de manière plus générale (touchant aussi la science et l’industrie) par François Dagognet en 1989, dans son essaiRematérialiser auquel nous empruntons le terme. Selon lui, il ne s’agit plus tant de penser la mise en oeuvre d’une matière à partir d’une l’idée (sculpture d’une forme) que de chercher comment des formes se créent par l’ajointement de matières et matériaux bruts. L’enjeu de ce numéro de la revue Marges est de comprendre la portée et les modalités de ce retournement du regard visant à insister sur les qualités matérielles de l’oeuvre.

La multitude de possibilités engendrées par les caractéristiques plastiques et physiques de la matière nous invite à interroger son rôle dans la détermination de la forme finale de l’oeuvre d’art. Le choix de certaines matières contribue-t-il par exemple à ce que l’oeuvre s’organise elle-même comme le souhaitait par exemple Robert Morris pour la sculpture ? Certaines pratiques artistiques réactualisent en effet aujourd’hui le questionnement sur l’informe, la densité, l’opacité ou encore l’impénétrabilité.

Conscients qu’à l’état naturel la matière est rarement pure et est ainsi toujours déjà engagée dans un rapport entre différents éléments, certains artistes à l’instar de Katinka Bock, cherchent à se saisir de ces rapports primitifs et organiques pour repenser la construction et la mise en forme à partir des capacités inhérentes au caractère brut de la matière. Dans certains cas, cette volonté d’interroger la matière se réduit à un simple agencement de matériaux.

La finition des oeuvres pourra ainsi être questionnée à partir du principe d’équivalence de Robert Filliou, Bien fait­ – mal fait – pas fait. Parfois, le geste technique semble si minime, que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une nouvelle forme d’abstraction, peut-être proche du minimalisme ?

Comme nous le montrent Fischli et Weiss, ce ne sont pas simplement les capacités de la matière qui devront être réinterrogées, mais les assemblages qu’elle induit, mettant en jeu les notions d’équilibre, de résistance, de composition… Notions que des techniques comme l’explosion et autres formes de destructions mettent à mal. Il semble alors possible de repenser la sculpture et l’architecture comme des catégories clairement identifiées, à partir de l’idée première d’une simple installation de matériaux dans l’espace.

Il semble que cette rematérialisation ne soit pas réduite à la matière dite naturelle. On observe un intérêt semblable, peut-être encore plus prégnant, dans l’utilisation de matériaux de construction, déjà façonnés par l’homme, mais non directement fonctionnels, comme le carton, le sable ou le parpaing. L’utilisation de ces matières ou matériaux renvoie à une esthétique que l’on pourrait qualifier d' »esthétique de chantier ». Ces pratiques nous invitent à nous demander s’il y a des propriétés, des matériaux ou des techniques qui s’imposent comme les usages de notre temps – effet d’un contexte socio-économique prônant la durabilité et la réduction de l’empreinte environnementale. Ces usages de la matière peuvent-ils nous dire quelque chose de l’ordre du rapport de l’humain à son environnement (aussi bien urbain que naturel) ?

En définitive, c’est la plasticité de la matière qu’il nous faudra questionner. Ce terme mis en jeu dans la dénomination d’arts plastiques peut à la fois signifier la malléabilité de la matière (lien avec la physique des matériaux) et celle de notre capacité mentale de faire face à l’expérience et l’appréhension de la matérialité du monde (lien à la psychologie). La matière n’est-elle pas à la base de toute relation empathique avec l’oeuvre ?

Axes de réflexion :

– Définition des différents termes en jeu : matière, matériau, matérialité, physicalité, substance, substrat, matérialisme… et leur relation avec l’opposition traditionnelle réalisme/idéalisme

– Limites ou fins de la sculpture

– Liens entre matière et imagination  (Bachelard)

– Le retour très marqué ces dernières années de techniques anciennes ou artisanales. Par exemple utilisation des différentes techniques de la photographie primitive. Est-ce simplement du à une mode du vintage ? Ou pourrait-on y voir une volonté de retrouver une certaine matérialité de l’oeuvre supposant un travail de manipulations manuelles de la part de l’artiste ?

– Rapport (proximité et différences) aux années 1960-1970 (Land art, support-surface, arte povera, minimalisme…) ?

– Nouvelles technologies (dématérialisées) et matérialité

– Le travail avec les matières organiques et périssables, leur conservation. S’il est compliqué de reconstituer les archives d’un art dématérialisé, est-il plus facile de conserver, restaurer des oeuvres organiques ou constituées de différentes matières, parfois fragiles ou périssables ? Quel est le devenir des ces oeuvres ?

– Notion d’art durable

– Retour à la matière et réification

– Questionnement anthropologique (C. Levi-Strauss, A. Leroi-Gourhan) ou archéologique du rapport des artistes à la matière

Artistes pouvant entrer dans le questionnement :

Michel Blazy, Urs Fischer, Milène Guermont, Dewar et Giquel, Tadashi Kawamata, Shigeru Ban, Lara Almarcegui, Paul Pouvreau, Vincent Ganivet, Aurélie Mourier, Didier Marcel, Natalia Villanueva, Katinka Bock, Rachel Whiteread, Georg Herold, Fischli & Weiss, Jannis Kounellis, Nancy Rubins, Cornelia Parker, Isabelle Frémin, Sarah Tritz…

Propositions

Les propositions devront nous parvenir sous forme d’une problématique résumée (5.000 signes maximum, espaces compris) avant le 4 janvier 2013 par courriel à Nathalie Desmet (nathalie.gm.desmet@gmail.com) et Anaël Marion (anaelmarion@gmail.com).

Le texte définitif des propositions retenues devra nous parvenir avant le 15 mars 2013 (40.000 signes maximum espaces compris). Les textes sélectionnés (en double aveugle) seront publiés dans le numéro 18 de Marges. La revue Marges (Presses Universitaires de Vincennes) fait prioritairement appel aux jeunes chercheurs des disciplines susceptibles d’être concernées (esthétique, arts plastiques, études théâtrales ou cinématographiques, musicologie, sociologie, histoire de l’art…).

 

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