Le surréalisme aura 100 ans en 2024, si on considère comme point d’origine la publication du premier Manifeste par André Breton. Mouvement international collectif et décloisonnant les médiums d’expression avant l’heure, il a essaimé sur le temps long et dans de nombreux pays, entretenant avec certains groupes, qui en étaient la continuité et même parfois la rupture, des relations complexes d’amitiés et de distance. Des centaines d’artistes, écrivains et poètes ou simplement sympathisants ont fait vivre ce mouvement dont l’ampleur en termes quantitatifs tout autant que qualitatifs a remodelé le récit de la modernité. Comment dès lors écrire et archiver l’histoire d’un mouvement international et dont les artéfacts sont autant littéraires, poétiques ou plastiques que philosophiques ou politiques ? L’accessibilité exponentielle aux sources, rendue possible par les moyens techniques, génère-t-elle de nouveaux regards et de nouvelles perspectives pour le chercheur et pour l’amateur/passionné ? Le marché de l’archive, aiguisant toutes les convoitises, n’a-t-il pas mis en lumière plusieurs pans que l’historiographie officielle du surréalisme ignorait ou avait refoulé ? Qu’entend-on par archive lorsqu’on aborde un mouvement si complexe ?
Le surréalisme a bien sûr laissé de nombreuses traces plus ou moins importantes, plus ou moins inventoriées, documentées, valorisées ou tenue secrètes. Il y a peut-être autant de nature d’archive que de groupes surréalistes. Mais que peut-on archiver ou que doit-on archiver ? Si le numérique nourrit le phantasme ou l’illusion d’une conservation totale, n’y a-t-il pas à cet endroit une sorte d’antagonisme avec ce qu’avait été le surréalisme, à savoir un rapport au monde où le hasard, l’oubli et l’insouciance étaient cultivés ? D’un autre côté, bien des moments surréalistes tenaient dans le fait d’être ensemble, simplement pour partager de l’intelligence, et ces moments ne méritent-ils pas d’être capturés, archivés, discutés ? La vie quotidienne au café n’est-elle pas digne de l’archive ? On voit bien que l’archive pose des problèmes infinis tant aux chercheurs qu’aux institutions ou aux publics.
Le surréalisme et les surréalistes ont entretenu des relations ambigües et complexes avec la mise en archive et de nombreux cas de legs ou de donations avortées ponctuent l’actualité du demi-siècle écoulé en France et à l’étranger. Tantôt perçues comme une bouée de sauvetage d’une mémoire qui s’efface à mesure que le temps passe, tantôt vilipendées pour servir des intérêts mercantiles ou bien patrimoniaux froids et désincarnés, les archives sont le centre de toutes les attentions. Elles sont au cœur de ce que deviendra le surréalisme et de ce que l’on voudra en faire.
Internet est sans doute à l’origine de nombreux changements dans la réception du surréalisme : archivage numérique, mises à disposition de tout matériel textuel, iconographique et vidéo au plus grand nombre et ce indépendamment des frontières, avec des traducteurs automatiques de plus en plus performants. Quels récits du surréalisme sont en train de naitre ? En quoi par exemple Internet modifie-t-il la perception, voire la postérité du surréalisme ? Que peuvent apporter les Humanités numériques à sa documentation, son édition, sa compréhension ? Grâce ou à cause d’Internet, le surréalisme ne devient-il pas inoffensif aux yeux de ses contemplateurs ? La propriété intellectuelle protégeant strictement certains surréalistes parmi les plus connus ne va-t-elle pas être le cheval de Troie d’autres figures plus lointaines ou anecdotiques s’immisçant sur la toile pour en ravir la première place ? Quelles en sont les conséquences sur l’historiographie à venir du surréalisme ?
L’objectif de ce colloque n’est pas d’apporter une réponse unique à ces différentes questions, mais de montrer une histoire multiple et en mouvement, toujours en train de se (re)construire et de s’archiver. Seront privilégiés les analyses et les retours d’expérience sur l’archivage d’individus, de groupes ou de moments collectifs. L’aspect juridique, tout autant que le marché ou le collectionnisme d’investissement, seront sans doute convoqués mais là ne sera pas le point central des discussions. Une table ronde ponctuera le colloque pour échanger et tracer des perspectives sur ce qui reste à faire ou pas.
Quatre sessions sont envisagées sur deux jours :
1er jour
- Présentation d’archives surréalistes : vers la construction d’une cartographie
Il existe de nombreux lieux connus pour regrouper des corpus archivistiques divers tant par leur nature, leur taille, leur qualité que par leurs modalités de patrimonialisation. Quelques exemples : Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque Kandinsky du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou, l’Institut mémoire de l’édition contemporaine (Imec), Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Musée et archives de la littérature à Bruxelles ; Fondation Martin Bodmer à Genève, Getty Research Library à Los Angeles, la Beinecke à Yale. Sans oublier toutes les « maisons » d’ayants-droits et les cabinets de curiosités de collectionneurs compulsifs. Comment donne-t-on des archives, où et pourquoi ? Quelles sont les motivations d’une mise en archives par les institutions, les donateurs ou par les artistes ou écrivains eux-mêmes ? Quelles conséquences proviennent de la diversité des supports d’archives, reflet d’un surréalisme « multimédia » ?
- Présentation de réalisations de mise en valeur d’archives.
Quel est le travail de la mise en archive ? Comment s’opèrent les choix éditoriaux et la mise à disposition aux publics ? Du site de l’Atelier André Breton numérisé après la vente aux enchères de la collection Breton, aux archives de surréalistes déposées dans diverses institutions en passant par la numérisation des fonds de la Bibliothèque Kandinsky ou d’institutions américaines et en n’oubliant pas le travail des libraires et des maisons de ventes, c’est toute une économie de la mise en archive qui est questionnée ici face aux spécificités du surréalisme. Quelles évolutions ont été constatées avec l’apparition du numérique et de l’internet dans les pratiques tant de recherche que de publication des archives ?
2e jour
- L’accès aux archives comme perspective de recherches
La disponibilité de certaines archives et/ou le non accès à d’autres, entrainent sans doute une mise en récit asymétrique ou fragmentaire du surréalisme lui-même. Par exemple, que penser de l’inaccessibilité de certains fonds tandis que le fonds André Breton a été numérisé depuis longtemps déjà ? Que penser également de la localisation des archives en Europe ou aux Etats-Unis qui déterminent, par la proximité ou l’éloignement des chercheurs, une réévaluation spatialement différentiée ? Cela a-t-il une incidence sur l’historiographie du surréalisme ? Cette dysmétrie réévalue-t-elle la place de certains surréalistes plus étudiés que d’autres ? La mise en récit du surréalisme serait-elle fortement tributaire de ces archives ? On s’intéresse ici à des cas où l’accès aux archives a fait découvrir quelque chose de nouveau.
- Périmètre d’archive : mise en perspectives et relations avec d’autres avant-gardes.
Le mouvement surréaliste ayant été d’une grande longévité et ses ramifications internationales très importantes, est-il souhaitable d’en délimiter le périmètre et selon quels critères ? Le mouvement surréaliste ayant été suivi, critiqué, combattu, détourné par d’autres groupes ou collectifs, est-il souhaitable d’élargir le champ à investiguer au risque de perdre le surréalisme dans sa dimension historique ? Doit-on renoncer à fédérer d’autres collectifs, d’autres avant-gardes ayant gravité autour du surréalisme au risque d’en avoir une vision tronquée ? Comment établir une circulation pour mieux comprendre enjeux et conflits ? Par exemple, en quoi la prise en compte des archives sur Cobra peut modifier la perception du surréalisme d’après-guerre ? Les archives appellent-elles les sujets de recherche ou les recherches appellent-elles les archives ? On examinera ici des cas où la comparaison d’archives permet de montrer de nouvelles problématiques.
Comité organisateur
Fabrice Flahutez (Institut universitaire de France, Université Jean-Monnet Saint-Etienne, ECLLA)
Anne Foucault (Musée national d’art modern – Centre Pompidou)
Christophe Gauthier (Centre Jean Mabillon, Ecole nationale des Chartes)
Richard Walter (UMR Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)
Comité scientifique
Olivier Penot-Lacassagne (Université Sorbonne Nouvelle)
Olivier Wagner (Bibliothèque nationale de France)
Effie Rentzou (Princeton University)
Marianne Jakobi (Université Clermont Auvergne, CHEC)
Monique Yaari (Pennsylvania State University)
Daniel Vassaux (Bibliothèque nationale de France)
Les langues d’intervention seront le français ou l’anglais. La langue d’usage des tables rondes sera le français.
Procédure de soumission d’une conférence :
Envoi d’un abstract de 500 mots (français et/ou anglais), une courte bio-biblio (une page maximum) et la session envisagée sont à envoyer sur le site du colloque :
https://arch-surrealisme.sciencesconf.org avant le 30 mai 2024
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