Conférence : « Marx et l’art » par Isabelle Garo (Paris, samedi 26 janvier 2013)

Isabelle Garo, Marx et l’art, conférence dispensée dans le cadre du séminaire Marx au XXIe siècle, l’esprit et la lettre.  

En dépit des théories de l’art marxistes qui ont cherché leurs sources dans son œuvre, ce qui n’est en rien illégitime, il faut cependant commencer par affirmer que l’esthétique marxienne est introuvable. Cette absence est avant tout à relier à sa redéfinition du travail théorique, qui interdit tout autant la constitution d’une philosophie séparée que l’élaboration d’une esthétique en tant que telle. Néanmoins, la question de l’art apparaît régulièrement, tout au long de son œuvre et en des points cruciaux de l’analyse. Parallèlement aux nombreuses citations de poèmes, de tragédies et de romans, qui parsèment l’œuvre de Marx, on peut affirmer c’est avant tout comme activité sociale que la création artistique se trouve abordée et systématiquement reliée à deux autres questions : celle du travail en mode capitaliste de production et celle du développement non aliéné des facultés individuelles.
Au total, on essaiera de le montrer, l’approche de Marx est d’une grande originalité : synthèse anticipée de l’affirmation que le travail doit devenir le « premier besoin vital »[1] et du programme de l’abolition du salariat, l’activité artistique telle que Marx la pense est indissociable de la perspective d’une abolition du capitalisme qu’elle ancre dans le présent, fournissant le critère et le repère d’une praxis libre, mais aussi gratuite et désintéressée.
Mais cette vertu est en même temps son défaut : l’activité artistique laisse nécessairement en suspens et même élude la question de la construction sociale et politique d’un mode de production non capitaliste, contournant la centralité de l’affrontement de classe, de la réorganisation de la production ainsi que celle de l’affrontement au pouvoir étatique, et cela parce qu’elle se situe par définition radicalement hors ou en marge de la conflictualité sociale qui est le seul moteur de l’abolition des rapports de domination et d’exploitation.
Ainsi, loin de songer aux critères d’un art marxiste, Marx envisage l’activité de création artistique et celle de sa réception comme la part du jeu et du rêve, de l’enfance reconquise et de la libération du temps par opposition au « vol du temps humain » en quoi consiste le capitalisme. C’est pourquoi l’analyse de Marx ne conduit pas à une théorie de l’art, et surtout pas à une esthétique normative ou prescriptive. Il faut le souligner : elle délivre expressément l’activité artistique de toute injonction politique concernant son contenu ou ses tâches. Sa seule fonction est précisément de n’être pas asservie et de savoir le demeurer.

[1] Karl Marx, Critique du programme de Gotha, trad. S. Dayan-Herzbrun, Paris, Éd. sociales, 2008, p. 60.

 

Samedi 26 janvier 2013, 14h-16h
Sorbonne, amphithéâtre Lefebvre
Galerie Jean-Baptiste Dumas, escalier R, 1er étage
14, rue Cujas 75005 Paris

Séminaire de philosophie sous la responsabilité de Jean Salem (Paris 1), Isabelle Garo (Paris, Lycée Chaptal) et Jean-Numa Ducange (Université de Rouen),  avec le soutien du CERPHI et de la revue ContreTemps (Syllepse)

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