Enseigner l’histoire des arts au collège

Un nouveau blog  Aggiornamento hist-geo vient d’être mis en ligne. Créé par des historiens et  géographes, il ouvre ses colonnes aux réflexions et propositions pour un renouvellement de l’enseignement de l’histoire et de la géographie du primaire à l’université. Un débat sur l’enseignement de l’histoire des arts s’est ouvert en avril 2011 avec la publication des textes de Sophie Gaujal et  de Vincent Chambarlhac (texte daté de mars 2008, déjà en ligne sur le site du CVUH), suivie d’échanges, et de la parution d’un article de Véronique Servat, co-responsable du secteur contenu histoire-géographie du SNES. On reproduit ci-dessous quelques échanges entre Vincent Chambarlhac et Sophie Gaujal :

Vincent Chambarlhac :
Vous semblez poser comme équivalent histoire de l’art, histoire des arts. C’est là un effet de brouillage du point de vue de l’hist/géo. L’histoire des arts participe de la fabrique scolaire dans son dispositif interdisciplinaire et patrimonial construit contre l’histoire de l’art, discipline universitaire. C’était d’ailleurs là tout le sens de l’allocution de Luc Châtel au colloque sur l’Histoire des arts comme également le moteur de la bronca des historiens de l’art depuis la généralisation de l’HDA. L’IG a systématiquement répercuté ce discours et les préconisations du programme le rappellent.

Sophie Gaujal :
J’ai écrit ce texte  en  m’appuyant  sur une  situation  particulière, qui est mon expérience d’enseignante,  et je  suis  partie  d’un constat : j’enseigne depuis deux ans l’option histoire des arts en lycée en Terminale, et cet enseignement me plonge dans des abimes de perplexité et un sentiment d’inconfort. Ce qui m’a conduite à me demander pourquoi. J’enseigne depuis plus de 10 ans, pourquoi cet enseignement en histoire des arts me pose-t-il autant de problèmes ? Tout ceci m’a amenée à faire l’hypothèse que peut-être ce malaise n’est pas seulement le mien, que peut-être il pouvait être partagé, que peut-être il pouvait s’expliquer par le fait que l’étude de l’œuvre d’art ne se fait pas avec la même pédagogie que celle que j’utilise habituellement.  Mais alors qui suis-je ? Est-ce que je cherche à endosser les habits du professeure d’arts plastique ? Du professeur de lettres ? Est-ce que ma matière peut apporter quelque chose à cet enseignement ? La généralisation de cet enseignement et son caractère obligatoire m’amènent à me dire que si je rencontre ces difficultés et qu’elles ne sont pas que de mon fait, alors il faut s’en emparer et mener une réflexion théorique sur la question, même si la posture de l’enseignement de l’histoire des arts n’est pas la même selon qu’on l’enseigne en option (l’oeuvre est alors le sujet de l’étude) ou au sein des disciplines (pas d’horaire dédié).
C’est très important en effet de différencier l’histoire de l’art de l’histoire des arts. C’est bien tout le problème de ce « nouvel » enseignement (pas si nouveau que ça en option, vous avez raison, Vincent, de le souligner) : est-ce de l’histoire de l’art appliquée à l’école ? L’histoire des arts est-elle la version scolaire de l’histoire de l’art enseignée à l’université ou est-elle un objet à part, coupé de l’histoire de l’art ? Vient-elle se substituer aux enseignements artistiques ? L’histoire des arts est-elle uniquement de la propagande du ministère destinée à distiller un peu de culturel dans les écoles, de la poudre aux yeux ? Y a-t-il disjonction entre l’histoire de l’art et l’histoire des arts ? Quelle pédagogie pour enseigner l’histoire de l’art est-elle utilisée dans le supérieur ? Et puis finalement, l’enseignement de l’oeuvre d’art en classe d’histoire, est-ce si nouveau ?
Mener une réflexion théorique, épistémologique, sortir de l’intuition n’a pour moi rien d’évident. Ce que j’ai écrit dans ce texte que j’ai soumis à la discussion est ma manière de tenter de passer de mon cas particulier à une généralisation, belle illustration en ce qui me concerne de la difficulté à articuler le particulier et le général et à contextualiser ! Il m’a semblé qu’une hypothèse possible de ma difficulté à utiliser / enseigner l’oeuvre d’art en classe pouvait s’expliquer par un autre rapport au temps.

Vincent Chambarlhac :
Votre démonstration s’appuie, non sur un autre rapport au temps, mais sur un déplacement significatif où vous passez du professeur d’histoire à celui de professeur d’esthétique — chaussant ainsi les lunettes de vue du professeur d’arts plastiques. C’est là tout le sens de votre rapport à Arasse ; pourquoi pas, mais du point de vue de l’équilibre des disciplines scolaires vous participez de la mise en concurrence HG/arts plastiques, et des procès en hégémonie intentée aux profs d’HG par les plasticiens, procès également répercuté dans le corps d’inspection, jusqu’aux IG…

Sophie Gaujal :
Daniel Arasse se voyait avant tout comme un historien, comme l’a bien montré Bruno Nassim Aboudrar lors du colloque de l’INHA consacré à D. Arasse en 2006 et dont je reprends les principaux arguments dans mon texte [1]. D. Arasse a laissé peu de textes théoriques, mais il revendique à plusieurs reprises son identité d’historien. L’oeuvre d’art peut être étudiée dans sa dimension esthétique en classe d’histoire, au risque sinon de faire une pédagogie par l’image et non une pédagogie de l’image. Il n’y a pas pour moi de concurrence avec le professeur d’arts plastiques.

Vincent Chambarlhac :
L’HDA option (non HDA généralisée) est à la fois problématique et éclairante sur le positionnement en tant que professeur d’HG. Dans les textes fondateurs, le binôme de base associe explicitement et obligatoirement un prof d’HG et un prof d’art plastique. Ce qui suppose que le premier ait un discours de contextualisations sur l’oeuvre (donc de l’oeuvre document à l’œuvre, monument si l’on veut bien simplifier) et le second un discours qui travaille en symétrie dans le sens de l’histoire de l’art discipline universitaire (soit un discours fondé sur l’esthétique). Le malaise du professeur tient à ce que seul l’élève doit être en position de synthèse. D’où un travail en équipe non exempt de frictions tant sur la notation, que les attendus du sujet (quelques douzaine de réunion d’harmonisation pour le bac m’ont rompu à ce genre aussi saisonnier qu’un marronnier qu’est l’affrontement disciplinaire sur la copie). S’ajoutent éventuellement d’autres collaborations à l’équipe, de deux ordres : enseignant du domaine artistique (musique le + souvent), enseignants de Lettres ou de philosophie. Les motifs de friction peuvent être exponentiels mais le sens commun des équipes découpe les points du programme (point de synthèse, point de friction : des soucis le jour de la correction et de l’harmonisation). Donc l’HDA option est une non-discipline scolaire mais qui avance masquée ou tout du moins s’affirme comme une discipline émergente, liée à l’IG et à la collaboration du MEN et du Ministère de la culture, et déconnectée de l’université et des savoirs académiques. La ruse de l’histoire c’est que l’option a servi de pont pour digérer et rendre « MEN compatible » la volonté politique, davantage portée (si l’on veut bien) par une conception traditionnelle de l’histoire de l’art, discipline académique. L’écart signifié par le singulier/pluriel est donc tout sauf anodin.
Dans cette conjoncture, il n’est pas de pédagogie fixée du rapport à l’oeuvre sinon l’incantation patrimoniale plus que prégnante dans la généralisation de l’HDA. Ce que celle-ci fait déporte le prof d’HG de l’habitus d’une lecture construite dans l’horizon du social et du politique vers autre chose. Le hic est que cette « autre chose » respire l’air du temps embué de moralisme (plus que de morale) et de civisme appliquée à la contemplation de l’œuvre; ajoutons que celle-ci participe des TICE (cette joie du powerpoint) et nie toutes les médiations possibles dans le rapport à l’oeuvre (le musée, les politiques culturelles, etc) sauf dans l’argument du local, ce SMIC patrimonial évidemment et totalement inégalitaire.

[1] Bruno Nassim Aboudrar, « l’évènement de l’œuvre d’art », colloque INHA,  9 juin 2006 : http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1372


Pour accéder à l’ensemble des débats
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