Projection cinématographique de Ciudad Moderna

« Ciudad Moderna »
Architectures, visites guidées

« Il y a des designers qui conçoivent des intérieurs, pas pour que les gens puissent bien y vivre, mais pour qu’ils paraissent tels sur les photographies. Il s’agit de ce qu’on appelle des intérieurs graphiques, dont les enchaînements mécaniques de lignes d’ombre et de lumière s’adaptent pour le mieux à une autre invention mécanique : la camera obscura. »
Adolph Loos avait à la fois raison et tort : lorsque le cinéma ou la photographie s’emparent de l’architecture, ils en démontrent autant la réussite que le cauchemar. Si le modernisme apparaît comme l’espace de l’avenir, où il fera bon vivre, en 1929, date à laquelle Hans Richter réalise Die Neue Wohnung, lorsqu’Ugo La Pietra filme le bâtiment de la Triennale de Milan en 1973, on en célèbre alors le vide – celui qui rend fou, dans lequel ne peuvent plus se rejouer que des scénarios burlesques et absurdes.
Cette séance est dédiée au geste, forcément paradoxal, de la visite guidée – lorsque celle-ci a lieu avec une caméra à la main. Entre Bâle, Milan, Mexico et Liverpool, entre 1929 et 2011, des cinéastes filment la ville, ses bâtiments, ses sous-sols. Leur « tonalité » nous intéresse : irrévérente, railleuse, souterraine – elle offre du modernisme une image moins triomphaliste que sinueuse.

Programme
Rosa Barba, A Private Tableaux, 2010, 16mm, son, 7 minutes.
Dans A Private Tableaux, Rosa Barba déambule sous le fleuve Mersey (UK), enregistrant l’air de la ville souterraine pompé par les tunnels. Sur le plafond des galeries, elle filme des dessins blancs, tracés par les ingénieurs dans le but d’observer les fissures créées par la pression des voitures, établissant ainsi un schéma du trafic urbain. S’affiliant visuellement à des peintures ou des dessins ancestraux de grottes, Rosa Barba oublie un instant le monde rationnel et fonctionnalisé pour ne plus imaginer dans ces motifs qu’une narration mystérieuse.
Installée à Berlin, Rosa Barba est née en Sicile et a été élevée en Allemagne. Elle a étudié à Cologne dans les années 1990 et à la Rijksakademie d’Amsterdam. Attachée au médium filmique, elle s’en empare pour saisir des espaces ou des paysages abandonnés, les marges ou les interstices.

Hans Richter, Die Neue Wohnung, 1929, BétaSP, silencieux, 27 minutes.
Film sur l’architecture moderne commandé par le Schweizer Werkbund. Présenté en 1930 à la première exposition bâloise de l’habitat (WOBA). Hans Richter (1888-1976) fait partie de ces figures phares du début du XXème siècle qui incarnent la passerelle entre Dada, De Stijl, Bauhaus et constructivisme. Film de commande et documentaire, Die Neue Wohnung continue de porter la trace des expériences abstraites menées en compagnie de Vikking Eggeling, ou dans Rythme 21 (1921).

Ugo La Pietra, La Grande Occasione, 1973, 16mm, son, 13 minutes.
Milan, 1973. Ettore Sottsass, commissaire générale de la Triennale, demande aux artistes et architectes invités de ne pas produire d’objets pour cette manifestation. Réagissant à cette commande, La Pietra s’empare du bâtiment vide pour y mimer les gestes fondateurs de l’architecte. Il explique : « La Grande Occasione est une ‘récitation’ de l’espace utilisable, disponible et multipliable. L’espace vide se charge d’utopies quantifiées et néanmoins improbables : l’homme, désorienté dans l’espace comme un tourbillon, perd son identité créative, risque d’être annihilé avec tout son projet. »
Artiste, architecte, designer, Ugo La Pietra est né en 1938. Diplômé de l’Ecole Polytechnique de Milan en 1964, il enseigne dans plusieurs facultés d’architecture et développe une intense activité expérimentale. Il y est question des rapports entre individu et environnement : en réalisant des outils de connaissance radicaux (« modèles de compréhension »), l’artiste cherche à transformer les rapports traditionnels « œuvre-spectateur ».

Terence Gower, The Polytechnic, 2007, DV, son, 8 minutes.
En s’appuyant sur une série de photos de l’Institut polytechnique national mexicain réalisées en 1963, Terence Gower propose une variation autour de l’idée de visite guidée. En éludant volontairement la position géographique du bâtiment en question, la voix-off insiste en creux sur la dimension internationaliste et universaliste du modernisme.

Terence Gower, Ciudad Moderna, 2004, DV, son, 6 minutes.
À partir d’un film mexicain populaire réalisé en 1966 par Juan de Orduña, Despedida de Casada, qu’il traite comme un document, Terence Gower isole et sélectionne les plans tournés dans des bâtiments ou des intérieurs typiques du modernisme alors adopté l’urbanisme mexicain. Le musée d’anthropologie, les appartements de l’Avenida de la Reforma et l’Hotel Presidente d’Acapulco incarnent cette modernité.
Né en 1965, Terence Gower est un artiste canadien installé à New York. Il s’intéresse de très près aux stratégies de représentations de l’architecture moderniste. Son intérêt pour ce type d’images lui permet d’en analyser les composantes tant idéologiques qu’utopistes. Son travail instaure donc la distance nécessaire pour saisir en quoi elles façonnent notre regard, ont installé des modèles tant structurels, affectifs que conflictuels.

 

Cette projection cinématographique s’inscrit dans le cadre du programme « Art contemporain et cinéma. XXe-XXIe siècle » piloté par Annie Claustres (INHA), en partenariat avec Le Silo.

INHA
Auditorium de la Galerie Colbert
2, rue Vivienne
75002 Paris

Pour en savoir plus : http://www.inha.fr/spip.php?article3816

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