Eduardo Jorge de Oliveira
Fictions de l’animalité I :
L’invention d’une peau chez Nuno Ramos
Histoire de l’art, numéro 81 (2017/2)
ETUDE
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Introduction : l’effet de l’immanence dans la fiction
Dans le premier chapitre de sa Théorie de la Religion (1947) intitulé « L’animalité », Georges Bataille a saisi de l’animalité les signes de l’immanence et de l’immédiateté. Étant donné qu’il est dans un rapport de force direct avec le milieu sans être subordonné, ou subordonnant, l’animal reste donc indépendant et détaché de la conscience humaine. Par une figurabilité animale, Bataille a saisi les notions d’immanence et d’immédiateté. Selon lui, les deux notions se placent à « mi-chemin » de la conscience humaine, à savoir que les humains n’arriveront jamais à appréhender l’immanence et l’immédiateté animales. Cela fait de l’animal une énigme permanente ou selon les mots de Bataille, « une énigme plus gênante2 ». Ce sera par une indissociabilité entre l’animal et l’immanence, par la production de cette énigme que Bataille arrivera à la notion d’animalité, car la poésie serait un supplément pour ce « mensonge poétique » qui est l’animalité. À travers la notion d’animalité Georges Bataille expose à la fois une immanence et une absence, en faisant de cela un déplacement continuel du sens, comme il l’affirme : « Mais cette poésie n’est qu’une voie par laquelle un homme va d’un monde dont le sens est plein à la dislocation finale des sens, de tout sens, qui s’avère vite inévitable3. » En partant de la notion d’animalité chez Bataille, le choix du sujet traité dans cette lecture a été motivé par l’interprétation qu’il en donne, à savoir un « mensonge poétique ». Ce mensonge existe parce que nous sommes issus d’une vie animale qui par la suite s’est éteinte. D’après Bataille, l’animalité constitue une énigme dérangeante4 dont les formes de savoir glissent jusqu’à l’« incognoscible ».
Si Bataille nous propose un « saut poétique », la fiction maintiendra l’effet de cette immanence pour constituer l’animalité comme un espace de partage du sens. Par exemple, Dominique Lestel dans L’Animalité (1996) a établi un lien entre Georges Bataille et l’animalité pour faire de celle-ci un phénomène de surface5. Le cœur de la question posée par Lestel sera « le partage de sens et d’intérêts » sans que cela exige des relations contractuelles6. Cette absence de contrat, au sens juridique du terme, serait donc le point de départ de la force fictionnelle de l’animalité inscrite dans le champ des images. Par les images et par les textures, l’homme et l’animal inventeraient ce partage de sens.
En se tournant vers de la fiction, Jean-Marie Schaeffer avait remarqué que de nombreuses espèces animales ont développé des capacités mimétiques, et qu’elles réalisent un passage d’un sens à l’autre par le mimétisme. Schaeffer avait relevé la capacité de ces animaux à « mettre les mécanismes mimétiques au service d’actes de feintise (sérieux)7 ». Même en faisant cette distinction Schaeffer a remarqué que l’espèce humaine serait la seule à avoir développé « une aptitude à produire et à ‘consommer’ des fictions au sens canonique du terme, c’est-à-dire, des représentations fictionnelles8 ». La réflexion de Schaeffer nous aide à comprendre le récit et les possibilités de représentation. De même, le texte de Louis Marin, Le Récit est un piège9 (1978), nous fait prendre conscience que la représentation dissimule des pièges surtout quand il s’agit des images des animaux. Parfois conçues comme des exemples d’animalité, les images deviennent des leurres parce qu’elles ne font en fait que représenter des aspects pulsionnels humains, tandis que l’animalité comme texture échappe à la représentation. Comment donner forme à ceci ? Sur le plan pratique, cette lecture sur la fiction de l’animalité n’envisage pas d’être le porte-parole de l’espèce humaine. Au contraire, elle serait une prise de recul, une mise à distance, invitant à se tourner vers des objets spécifiques. Elle ne peut que parler des artistes. Nuno Ramos en est un exemple, son œuvre aidant à la compréhension de l’animalité. Ramos étant à la fois artiste et écrivain, une part importante de son travail littéraire porte sur la matière plastique. Le noyau de sa fiction de l’animalité crée un partage de sens : l’artiste produit de nouvelles surfaces, comme s’il inventait de nouvelles peaux permettant de lier entre elles des parties hétérogènes. La peau est inventée par Nuno Ramos à partir des notes, récits, poèmes, essais et projets artistiques auxquels il donne forme par les livres. Néanmoins, lorsqu’il réalise des installations et des sculptures, il met en place la fiction de l’animalité par l’invention d’une peau. Le déplacement du sens consiste à faire passer l’animalité de la chair à la fiction tout en inventant une peau pour préserver la chair dans la fiction. Pour revenir à l’essai de Lestel, l’animalité est présentée comme une relation et comme une texture10. La relation questionnée par l’animalité implique dans ce contexte la construction d’un espace de sens. Dans cet espace doit aussi être construit un espace physique et géographique entre les artistes et les animaux, de sorte que la notion de « relation » de Lestel puisse être comprise comme un tissu, une invention de la peau de l’animalité.
Fiction de l’animalité : une lecture des surfaces
Pourquoi parler d’une fiction de l’animalité pour penser les images, voire pour penser l’œuvre de Nuno Ramos ? Il est nécessaire de mettre en lumière l’un des usages possibles du terme « fiction », pour tenter de présenter l’animalité non pas comme une construction tirée des animaux, ni comme une représentation de l’humanité, mais comme une fiction. Dans un premier temps, la fiction serait un point de fuite capable d’osciller entre la « tromperie » et « l’imagination prospective »11. Plus proche de la deuxième catégorie, l’animalité se présenterait plutôt comme un espace d’immanence (Bataille), notamment dans le cadre des installations. Si l’animalité appartient à la fiction, c’est pour montrer qu’on ne peut que faire référence à des œuvres précises dans des situations délimitées par un lieu inventé par un artiste dans une efficacité sociale. Néanmoins, « fiction » est un terme plein de contradictions sur lequel les entrées des dictionnaires ne s’accordent pas. Dorrit Cohn l’atteste dans Le Propre de la fiction12 : « Il s’avère que leur unique dénominateur commun est l’idée de ‘quelque chose qui a été inventé’, une notion qui, bien qu’elle ne coïncide pas exactement avec la racine latine du mot – fingere, ‘faire ou former’ – est dénotativement aussi vague qu’elle13. »
La fiction engage la matière par des lieux inventés et des situations proposées par chaque œuvre de Nuno Ramos. Elle se lie à l’animalité pour surmonter à la fois les rôles de l’artiste et de l’animal, au sens pulsionnel et organique autant que les notions de projet, d’œuvre et de biographie. Ce caractère de la fiction a pour enjeu de voir dans le détail la dimension du faire, du fabriquer et de l’invention des lieux moins par une feinte que par un « mensonge poétique ». L’animalité, dans ce contexte, moins qu’un agencement pulsionnel, serait plutôt une opération critique qui permettrait d’attacher plusieurs extraits de fictions à la matière. Ce faisant, l’animalité relève de l’animal, pour devenir un espace de croisement d’une mémoire des formes avec des gestes artistiques, ceux-ci gardent un côté immémorial.
La fiction de l’animalité chez Nuno Ramos envisage une lecture des surfaces sans opérer la distinction des textes et des images par les catégories de temps et d’espace, comme si la surface s’écrivait sur elle-même. Cette écriture signifie qu’il n’y a pas de sens caché, mais un sens possible constamment en train de se produire dans une exposition continuelle. La fiction va de soi en étant un espace d’expeausition pour emprunter le terme de Jean-Luc Nancy dans Corpus14 et par ce fait l’artiste qui invente un lieu, invente une peau.
L’invention d’une peau : les textures de l’animalité
En quoi consiste l’invention d’une peau ? Inventer une peau est un exercice minutieux, une pratique qui demande de la patience. La peau exige de celui qui l’observe une attention réticulaire pour percevoir son apparence, ses accidents, enfin, ses textures. Elle demande de la patience, car il est nécessaire d’effectuer une longue observation afin de percevoir les changements invisibles qui s’opèrent en elle. Selon notre hypothèse, les artistes participent à l’invention d’une peau dont ils manipulent une économie imperceptible des formes. Dans cette économie, nous interrogeons le sens que prennent les formes vivantes de telle façon qu’une texture plutôt qu’une scène artistique se réorganise continuellement.
Chaque artiste est engagé dans le changement de la peau du monde par des images produites ou agencées par lui-même. Cet engagement peut être une véritable phanérologie – qu’il faut particulièrement garder à l’esprit pour cette analyse, et qui est un éloge du changement de la surface –, car les images sont toujours en mutation continue et presque indécelable. Phanère vient du grec φανερóς et désigne l’apparition d’éléments dans la surface du corps, par exemple les dents, les poils, les ongles, les grains de beauté ; mais aussi tout ce qui est invisible, les petites et minuscules parties de la peau composées d’infimes cellules qui disparaissent une fois accompli leur rôle de nutrition de l’organisme. Elles disparaissent lorsque nous dormons en se mélangeant avec la poussière et les restes des peaux perdues au long de la journée. Au fil des ans, le changement de notre image présentée au monde modifie notre apparence. Inventer une peau peut être, en un sens, la remémoration d’une partie des peaux perdues, comme celui qui cherche une image de lui-même déjà disparue et qu’aucun miroir ne peut restituer. Tout cela fait partie de l’effort continuel de l’épiderme pour rendre le corps visible. Plusieurs artistes animent un mouvement de l’histoire par leur propre corps, ils s’exposent à une double tâche, celle d’affirmer la vie et celle de reconstituer de nouvelles formes de vie. Alors, ils inventent un mouvement indispensable pour composer une éthique permettant de comprendre que la vie en soi est une forme inventée. Elle se manifeste visiblement par les ressemblances et les dissemblances avec d’autres formes déjà existantes, en composant un réseau capable de rapprocher même les images qui s’opposent. Ce geste artistique permet d’affirmer que les images font partie d’une surface animée. Face à ce caractère inventif de l’existence et du noyau vivant dans chaque image, il y a une constitution de peaux. La vie, pour certains artistes, n’existe pas par l’essence mais comme phénomène de surface. Dans la force de cette affirmation formelle, la matière plastique de la vie est alors mise en valeur par un caractère fictif.
Cette invention d’une peau par les artistes nourrit aussi bien l’aspect fictionnel15, lié à la recherche des peaux potentielles au sein desquelles le regard est étendu. Une peau inventée ouvre au regard une fiction dans l’espace de l’œuvre plastique ; il constituera plutôt, dans l’esprit des installations créées par plusieurs artistes une double ambiance ; une ambiance qu’il faut entendre dans le sens d’Umwelt ou de Stimmung. Dans ces deux termes allemands, nous saisissons aussi l’importance de la relation animal-lieu, déjà posée par Bataille. La prétendue subjectivité animale se trouve dans un échange constant d’énergie avec l’environnement, comme on peut déjà le comprendre en lisant Jackob von Uexküll. Selon lui, chaque animal est en relation avec son environnement « par l’intermédiaire des sens physiologiques16 ». Par rapport à la Stimmung, Pascal David analyse ce terme musical tel qu’il est compris par certains esprits du xviii e siècle, à savoir Goethe et Diderot. Ce mot a fait l’objet d’un usage distinct dans l’histoire de la philosophie, de Kant à Heidegger (celui qui approche ce terme allemand du mot grec pathos) : c’est seulement si nous comprenons le pathos comme Stimmung (ou dis-position) que nous pouvons aussi caractériser d’une manière plus précise le thaumazein, l’étonnement17. D’après ces deux termes, la création d’une peau par un artiste est aussi création d’un lieu d’échange énergétique et d’une certaine disposition dans l’espace. Un regard artistique est alors nécessaire pour le saisir. Dans le cas de l’artiste et écrivain Nuno Ramos, les installations et textes choisis pour cette étude composent des textures fictionnelles de l’animalité fictionnelle selon quatre aspects que nous présenterons en quatre points ainsi intitulés : 1) l’invention de la peau comme procédé artistique ; 2) le rapport entre animalité et ambiance ; 3) fictions de l’animalité : du corps fictionnel au corps politique ; 4) inventer une peau, faire une peau : détour anatomique par la fiction de l’animalité.
« Mais la peau est toujours là » : l’écriture et les installations de Nuno Ramos
L’invention de la peau comme procédé artistique
Né à São Paulo en 1960, Nuno Ramos est philosophe de formation. Il devient peintre au cours des années 1980 et deux ans plus tard, il intègre le collectif d’artistes Casa 7 (Maison 7). Son premier livre, Cujo, ne sera publié qu’en 1993. Il s’agit d’un ensemble de notes sur la transformation plastique de la matière, qui fait partie d’une large recherche sur les textures. Ce livre parle de la peau comme d’une surface qu’il ne parvient pas à dépasser. Dans ces écrits, l’artiste présente ses réflexions sur l’espace qui est au fondement de ses installations. Il publiera ensuite des livres tels que O pão do Corvo (Le Pain du corbeau, 2001), Ensaio Geral (Essai général, 2007), Ó (2008), O mau vidraceiro (Le Vitrier mauvais, 2010) et Junco (Roseau, 2011), non traduits en français. Les deux premiers extraits desquels nous avons tiré la notion de « peau inventée » font partie de son premier livre Cujo (Dont). Celui-ci parle des textures produites par le contact entre des matériaux distincts. À travers cette expérience textuelle, nous avons montré comment il était possible d’inventer plastiquement une peau à l’intérieur de l’expérience littéraire :
J’ai passé l’asphalte froid sur le brai pour l’assombrir. Cela ressemblait à une boue huileuse d’une grande toxicité. Ensuite, avec un pinceau, j’ai étalé le brai fondu sur l’asphalte froid pour le faire sécher. Le résultat fut une sorte de caoutchouc brillant, minéral, qui recouvrait le feutre en dessous d’une façon étrange. À ce moment-là, j’avais un morceau de quelque chose. Il aurait fallu l’ériger, lui donner une forme, mais je ne savais pas comment donner cette forme. Je ne sais pas pourquoi n’importe quel choix me semblait si faux. Je voulais qu’elle apparaisse par elle-même. J’ai donc simplement rassemblé plusieurs morceaux et je les ai cousus en un tapis difforme. Mais les contours de ce tapis paraissaient encore être choisis méticuleusement. J’ai fini par tout détruire. Je n’arrive pas à aller au-delà de la peau.18
J’ai commencé à arracher la peau des choses. Je voulais voir ce qu’il y avait en dessous. J’ai enlevé la surface du plancher, qui est venue entière, sans se casser. J’ai pelé la peau des briques petit à petit, patiemment. La peau du ciment était la plus fine de toutes et celle des carreaux reflétait comme un miroir. Sous ces peaux il semblait y avoir une autre peau, identique, mais ridée. J’ai enlevé encore cette couche et l’aspect ridé de la surface a augmenté. Lorsque j’enlevai des couches successives, à chaque fois elles étaient davantage ondulées et accidentées. La peau du plancher en bois était la première à présenter de gros trous et des tons rougeâtres sont apparus sur sa face inférieure. De petites échardes de bois étaient prises en elle et la perçaient en plusieurs points. Les couches de la peau du ciment ont commencé à adhérer les unes aux autres. Il était impossible de les enlever parce qu’elles étaient très fines (presque transparentes) et il me fallait faire plus d’effort (mes bras étaient épuisés, maintenant). La plus triste altération a eu lieu sur la peau des carreaux : plus elles étaient profondes, plus les couches devenaient opaques. La netteté spectaculaire de la première peau (très supérieure à celle du carreau entier) a revêtu peu à peu une tonalité laiteuse d’un jour nuageux ou d’un œil creux. La peau des briques est devenue poussière : si au début il était encore possible de la peler, maintenant sa consistance est perdue et elle se désintègre au premier contact. Elle n’était plus une peau ni même une surface : elle est devenue une matière sableuse quelconque. Cela pouvait être de la poussière de brique, de la chaux, du sable ou, qui sait, les restes d’un cadavre. Derrière chaque peau, je ne trouvais que des formes dégradées de la peau superficielle. Quoique les données ne soient pas suffisantes, il faut conclure que cette première couche ne recouvre pas un intérieur différent, mais elle correspond à l’expression la plus stable de cet intérieur, qui se répète de façon monotone.19
Les récits issus des expériences plastiques de Nuno Ramos appartiennent à sa vie quotidienne dans l’atelier. Le premier aspect de son invention consiste à faire de la peau un événement plastique avant de la reconstruire en objet littéraire. Pour réaliser ce passage, l’artiste part du potentiel hétérogène de la peau. Il choisit comme matériaux du brai (goudron) ou de l’asphalte, en raison de leur caractère « informe », mouvant, et préfère ne pas leur donner de forme fixe pour permettre l’invention d’une fiction. Par cette procédure, il introduit l’expérience plastique dans le domaine littéraire. Cette expérience date des années 1980, quand l’artiste fait une série d’installations intitulée Peau et divisée en trois parties : Peau I, Peau II, Peau III (1988-1989).
Dans Peau I (para Carlos Paraná), sont disséminés dans une grande pièce des morceaux de coton brut attachés à l’aide de nylon (comme s’il s’agissait de corps). Il a parsemé par-dessus des morceaux de chaux et de paraffine. La chaux, minéral blanc, donne à l’installation un aspect uniforme de poussière limpide. Dans Peau II (pour Frida), des objets tels que des bâtons récupérés, des grillages, des morceaux de plastique noirs, blancs et transparents et des tissus sont dispersés dans une pièce. Par-dessus ces objets, dans un désordre apparent, il a répandu un liquide jaunâtre composé d’huile et de vaseline. Ce travail rompt avec l’homogénéité chromatique du précédent. Peau III (Cobra) est une installation nécessitant un processus plus complexe. Des peaux et des morceaux de sculpture sont créés à partir d’une structure de grillage, recouverts par la suite avec du coton, du goudron et de l’huile. Il leur a donné une couleur et un aspect de peaux mortes. Dans cette installation, le principe de tégument est très ancré dans le réel, ces morceaux pourraient simuler des peaux d’animaux ou bien les écorces d’un arbre.
L’animalité et l’ambiance : « Leçon de géologie » et « Bernacle »
Dans le deuxième livre de Nuno Ramos, Le Pain du Corbeau, la matière serait encore plus ancrée dans une structure narrative et bien plus organisée à la manière d’une fiction. Il développe son récit en inventant des personnages animaux à partir de la matière même ou en contact direct avec la matière. Il aborde aussi l’idée d’une planète sans humanité en s’appuyant sur la constitution géologique de celle-ci. Cependant, l’entropie de la matière devient un fil conducteur du texte, comme dans l’extrait du récit « Leçon de géologie » :
En fait, le mouvement de rotation des masses d’air chaud, les chocs entre les masses polaires et l’air plus léger et chaud qui vient des tropiques, la condensation des tempêtes sur l’océan, tout le sel jeté dans l’atmosphère, la lutte des muqueuses et des branchies, la souffrance même des aspirations humaines, dragons qui répandent des paillettes et des écailles, vies fauchées, petits morceaux de bois qui font naufrage, yeux veillés par la cataracte, vasques où habitent les sargasses, tout ce qui était gris et a fleuri plus tard au printemps, tout ce que l’automne a égalisé avec l’argent et la monotonie, la rosée légère du ponant, l’air qui remplit la poitrine de joie, tout cela ressemble en fait en partie à une astuce, à des gestes furtifs que nous ne comprenons pas, séquelles d’un corps énorme et défectueux qui tente en vain de se recouvrir, de se loger sous l’apparence20.
Ce texte montre comment l’artiste arrive à remanier des termes scientifiques à partir de la genèse du corps, comme si le monde était une peau en constante formation et décomposition. En 1995, Nuno Ramos a participé à la 46e Biennale de Venise. À cette occasion, il a exposé une série de boîtes de sable, sortes de grands blocs sur lesquels des corps d’animaux sont imprimés ainsi qu’une sculpture en aluminium intitulée Craca. Craca est une texture en mouvement imitant celle d’une couche de bernacles, crustacé que l’on trouve généralement sous la coque d’un bateau ou sous une surface rocheuse. Le rassemblement de bernacles peut en effet former une épaisseur de taille variable, faisant de l’animalité une texture ou une matière. Cette œuvre constituait l’aboutissement de l’invention d’une peau, car c’est en elle que se concrétise plastiquement l’idée d’une texture de l’animalité.
Fictions de l’animalité : du corps fictionnel au corps politique
Son livre Ó (2008) relate la manière dont l’artiste utilise les textures plastiques à des fins fictionnelles de manière encore plus développée. Désireux de comprendre sa propre peau devant un miroir, il décompose, dans cette narration, les couches de son corps :
Depuis mes treize ans, jamais, je n’ai jamais utilisé un déodorant. C’est un des rares traits de mon caractère dont je suis fier – ou, autrement dit, je préfère l’odeur de ma transpiration à la saveur aigre-douce, dégoûtante, de mon odeur mélangée à un parfum pas cher. Mais comment je perçois avec tant de netteté cette odeur, mon odeur, parmi toutes les autres ? Comment puis-je en être si sûr ? Est-ce que toutes les sécrétions (l’urine, le crachat, la merde) ont cette empreinte digitale personnelle ? Je prends un peu de savon liquide et je le passe sous l’aisselle. L’odeur continue. Toutefois, en regardant de près, je me suis rendu compte des marques riches en détails des épaules jusqu’aux flancs, les tâches du tee-shirt que je viens d’enlever. Je grimpe complètement sur le lavabo en granit et, à genoux, le corps touche pratiquement le miroir. Parchemin. C’est ça. Sable. Nous sommes parchemin, sable. Nous subissons la compression continue des autres corps sur le nôtre, qui impriment une forme d’écriture que personne ne lit, et qui s’efface ensuite toute seule.21
L’invention d’une peau chez Nuno Ramos nous reconduit vers un corps fictionnel qui fait partie d’une stratégie pour placer la matière au cœur d’un récit dont le corps devient également la matière. Chez Nuno Ramos, ce corps-matière passe pour un récit du corps, c’est-à-dire, un corps où les symptômes autant que les taches font partie d’une écriture continuelle. Ce corps existe surtout dans son œuvre littéraire. Et sur cette peau se trouve un deuxième corps : le corps politique. Également matière, ce dernier est cependant inscrit collectivement dans la violence de la société brésilienne, comme le donne à voir 111 (1992).
Cette œuvre évoque l’événement historique de l’assassinat de 111 prisonniers pendant l’invasion policière de la prison de Carandiru, à São Paulo, en 1991. La présentant lors d’une exposition en 1992, Nuno Ramos retranscrit sur le mur de la galerie quelques extraits de son livre Cujo (Dont). Le matériel gras utilisé pour transcrire le texte est de la vaseline. Le résultat est assez précaire. Au sol sont éparpillés des feuilles d’or, des ampoules (celles-ci libèrent de la fumée), ainsi que quelques agrandissements photographiques de l’endroit où se trouvait la prison, vue prises par des satellites. Au sol sont dispersés 111 petits plombs sur lesquels il a mis des cendres des pages de la Bible.
Le troisième corps de « peau inventée » par Nuno Ramos est une structure qui s’oppose à un lieu déjà existant, et compose un corps de résistance. Bandeira Branca (Drapeau blanc) a été présenté lors de la 29e Biennale de São Paulo, en 2010.
Pour cette œuvre, trois vautours ont été introduits dans l’espace de l’exposition (le bâtiment du pavillon central de la Biennale a été conçu par Oscar Niemeyer). Il y avait également une structure noircie, construite en granit avec du sable brûlé. Attachés à cette structure, deux haut-parleurs, une boîte de verre et une grille délimitaient l’espace de l’installation dans le bâtiment. Les signes de l’animalité y étaient d’autant plus visibles que cette installation offrait une lecture à rebours de la modernité brésilienne. L’animal comme le vautour venaient hanter le récit de la modernité brésilienne, incarnée dans le bâtiment du célèbre architecte moderniste.
Inventer une peau, faire une peau : un détour anatomique de la fiction de l’animalité
Y aurait-il une peau entre l’esprit et le corps ? L’invention d’une peau chez Nuno Ramos prend le corps comme un point de départ. Cependant entre l’écriture et les installations ou les sculptures, dans les images proposées par l’artiste, on trouverait un phénomène de surface entre le corps et la pensée. Pour exemple, ce récit de l’artiste intitulé « Règles pour la direction du corps », paru dans l’ouvrage Le Vitrier mauvais (2010). Issu d’une formation en philosophie, l’artiste connaît bien le texte de Descartes Règles pour la direction de l’esprit, traité composé de 21 règles dont le philosophe n’a complètement rédigé que 18. Nuno Ramos extrait du texte en question le commentaire dans lequel il stipule dès la première règle que les arts ont besoin d’un certain usage et d’une certaine disposition corporelle22. L’artiste-écrivain a trouvé chez Descartes une ouverture pour écrire comme une paraphrase du texte philosophique afin de faire du corps son objet. Dans la « règle III », par exemple, l’artiste écrit : « tout devient contigu à vous parce que vous êtes extensif23 ». Cette extension passe chez lui par l’invention d’une peau étendue à toutes les choses du monde. Un détour par l’anatomie s’impose donc. Dans Rembrandt, l’odeur de la peinture, Gérard Dessons analyse le Discours de la méthode (1637) en relation avec le tableau La Leçon d’anatomie du Docteur Tulp (1632). Rembrandt et Descartes vivaient tous deux aux Pays-Bas. Dessons en arrive à la conclusion que le démontage du corps dans le discours anatomique répond symétriquement aux longues phrases de Descartes. Cette syntaxe mimerait ainsi la perpétuelle circulation du sang, découverte en 1628 par le médecin anglais William Harvey24. Nuno Ramos fait un bref passage par l’anatomie pour sortir finalement la peau du corps humain sans la prendre dans le sens métaphorique.
L’idée centrale de l’invention d’une peau nous renvoie à des points importants : à celui de la matière et à celui de la fiction, et ce faisant à la fiction de l’animalité ; par cette idée l’artiste choisit le corps plutôt que l’esprit, même si, entre la polarité du corps et de l’esprit, Nuno Ramos a conçu un mode de circulation entre les textes et les images. C’est précisément par ce mode de circulation que se forme un épiderme en dehors de l’existence biologique. Toute notre lecture se fait à partir de sa phrase de Cujo (Dont) : « il faut inventer une peau pour toutes les choses ». Cette phrase renvoie à la formulation du philosophe Emanuele Coccia « faire une peau de toutes choses » parue dans La Vie sensible (2010)25. La différence entre l’artiste et le philosophe est que le premier cherche à inventer une peau, lorsque le deuxième propose de la faire. Deux possibilités pour penser la peau dans sa dimension fictionnelle s’offrent à nous. D’abord par un nouvel usage proposé par l’artiste, ensuite par le caractère poïétique – dans le sens étymologique de la poiesis – à partir duquel se développe toute une dynamique de l’espace, d’une peau frontière qui enveloppe les choses, c’est-à-dire, la peau gardant sa dimension séparatrice et imperméable.
Extraite du livre La Vie sensible, la réflexion d’Emanuele Coccia nous renvoie à une idée de l’artiste comme animal capable d’habiller toutes les choses, de les envelopper, et ainsi de « faire peau à toutes les choses ». Dans cette perspective, la peau et la matière sont sensiblement liées par la caractéristique de l’enveloppement, la fiction étant comprise comme une couche entre l’artiste et les choses. Même la voix, son ton et sa texture, constituent une « peau phonique » et un point d’articulation entre notre pensée et le monde26. La pensée de Coccia nous permet ici de rapprocher le projet de l’extension du corps de Nuno Ramos et l’autre sens du faire peau, c’est-à-dire l’invention d’une peau. Chez Ramos, la voix, les larmes, la sueur et le sperme font partie d’une matérialité d’un corps visible et invisible. Autrement dit, cette illusion d’immatérialité du corps dans la voix ainsi que sa dimension éphémère est aussi une extension du corps. Dans une autre des règles inventées par l’artiste, la VIII, il écrit : « Votre voix est encore votre corps y compris les larmes et la sueur (jusqu’à l’évaporation), votre foutre (jusqu’au séchage)27. » Opposé au tarissement des fluides, car ceux-ci sont indispensables à son concept, Nuno Ramos utilise les liquides et autres viscosités dans certaines de ses œuvres. Il s’oppose à l’idée de créer une forme fixe, en faisant de cette résistance une forme d’expression artistique à part entière. Ainsi, son œuvre de plasticien est un supplément, au sens derridien du terme, à sa production littéraire.
Fictions de l’animalité
Pourquoi donc « fictions » ? Ce terme provient de la notion de « mensonge poétique », de texture (de l’animalité) et d’invention (d’une peau). L’animalité permet plusieurs formes d’entrée et de déplacement de sens entre les animaux-humains et les animaux non-humains. Par la fiction, les sens seraient partagés entre les animaux non-humains et les animaux-humains. Ils seront dans les images où ces partages ont lieu. Les fictions nous permettent de faire des allers-retours entre la matière des mots et le matériel plastique. Dans les événements textuels et plastiques de Nuno Ramos, nous trouvons d’abord une façon mimétique de tisser une peau. Quand l’artiste emprunte le mot « peau », il désigne de façon inévitable cette première attestation des tissus vivants qui couvrent le corps des hommes et des animaux. Mais ce mimétisme ne serait qu’une démarche pour inventer une peau. Dans son premier livre, il énonce un projet « inventer une peau par toutes choses », qu’il poursuit par la fiction dans son univers littéraire et plastique. Après avoir parcouru quelques œuvres de Nuno Ramos, nous notons une distinction entre le mensonge poétique (ainsi que Georges Bataille définissait l’animalité : un glissement de sens vers l’inconnu) et l’animalité comme une texture (telle que l’a définie Dominique Lestel). Entre Bataille et Lestel, deux approches se dessinent : d’abord celle de l’animalité et de ses textures, puis les mouvements de la forme à partir des peaux inventées par un artiste qui gagnerait à être connu en France.
La fiction de l’animalité souligne l’impossibilité de parler uniquement pour les humains – de n’être le porte-parole que de l’espèce humaine. C’est de manière erronée que l’homme ne se perçoit ni comme espèce, ni comme animal. Par l’animalité, les écrivains et les artistes produisent tout d’abord des étonnements, des bruits qui brisent les significations de l’humanité. Ils nous conduisent vers des mondes incommunicables, voire fictionnels, en inventant et en fabriquant des peaux. Les subjectivités animales, les formes de vie végétales, les silences minéraux, nous donnent quelques exemples d’une construction en dehors de l’ordre humain, qui rejette les images et l’idée d’une nature dont il n’aurait pas le contrôle. Toutefois, transpercés par les formes de récit qui déstabilisent l’homme, la nature, la culture, les espaces immersifs des installations nous confrontent à nous-mêmes, mais pas dans le sens d’un narcisisme. Elles nous confrontent à notre animalité. Prenant pour point de départ la notion d’animalité, le caractère spécifique de la fiction ouvre des possibilités d’analyse des textes et des installations inédites. La vie y devient une forme sensible en renouvellement permanent dans les textes et dans les images.
Eduardo Jorge de Oliveira est professeur assistant au département des Langues romanes (Romanisches Seminar) de l’université de Zurich. Il est chercheur associé au Zentrum Kunst und Kulturtheorie (ZKK) et au Lateinamerika Zentrum (LZZ) de la même université.
Notes
1. Une partie de cet essai a été l’objet d’un séminaire au département de Philosophie de l’École normale supérieure (Paris) le 29 janvier 2015 et fait partie d’une série de textes sur quelques artistes sud-américains dont Nuno Ramos est le premier.
2. G. Bataille, « Théorie de la Religion », dans Œuvres Complètes VII, Paris, Gallimard, 1976, p. 293.
3. Bataille, « Théorie de la Religion », p. 293.
4. Ibid.
5. D. Lestel, L’Animalité, Paris, L’Herne, 2007, p. 69-73.
6. Ibid., p. 69.
7. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 15.
8. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, p. 15.
9. Dans cet ouvrage, le terme « piège » est instable parce qu’« il fait image, délibérément. Il n’appartient ni au dictionnaire de la science ni à celui de la philosophie ; ce n’est pas un concept, ni une notion, même pas une catégorie mentale. Terme de cynégétique ou de poliorcétique, il relève du procédé, de la machination technique, de l’art » ; la division que Marin a trouvée chez Gian Battista de Contugi, dans le traité Des pièges, de leur composition et de leur usage, a paru dans la première décennie du xvie siècle. Chez Contugi, il y a trois types de pièges : la fantaisie, l’appétit et la force. Sans rentrer dans les détails de la classification, ce qui nous intéresse particulièrement ce sont les images des animaux surtout dans les deuxième et troisième exemples : 1. « le mouvement de l’animal appétant vers l’appât produi[sant] l’aporie de son mouvement d’aversion, ainsi dans la nasse ou la séduction amoureuse ou dans l’embuscade » ; 2. « Le piège de la force ou du mouvement » dépend de « bien choisir le lieu et le moment de sa machine » pour « transformer la force en faiblesse et le mouvement en repos ». L. Marin, Le Récit est un piège, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978, p. 8, 12, 13-14.
10. Lestel, L’Animalité, p. 98.
11. À l’entrée « Fiction » du Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, cette division nous semble productive pour l’ouverture de celle-ci vers la notion d’animalité. A. Rey, « Fiction », Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992, s.v.
12. D. Cohn, Le Propre de la Fiction, trad. Claude Hary-Schaeffer, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 11.
13. Ibid., p. 11.
14. J.-L. Nancy, Corpus, Paris, Métaille, 2006, p. 31.
15. La question de la fiction passe sûrement par un tournant anthropologique (d’où les fondements anthropologiques de la fiction) de Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la Fiction?.
16. D. Lestel, « De Jakob von Uexküll à la biosémiotique », dans J. von Uexkull, Milieu animal, milieu humain, trad. Charles-Martin Fréville, Paris, Payot & Rivages, 2010, p. 8.
17. P. David, « Stimmung », dans B. Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Éditions du Seuil, Le Robert, 2004, p. 1217-1219.
18. Dans la version originale : « Passei o asfalto frio sobre o breu, escurecendo-o. Parecia uma lama oleosa de grande toxicidade. Espalhei depois com um pincel o breu derretido sobre o asfalto frio para secá-lo. O resultado foi uma espécie de borracha brilhante, mineral, que recobria o feltro que estava por baixo de modo estranho. Agora eu tinha um pedaço de algo. Precisava erguer aquilo, dar forma, mas não sabia como dar essa forma. Não sei porque qualquer escolha parecia tão falsa. Queria que ela aparecesse por si só. Então juntei simplesmente vários pedaços e costurei num tapete disforme. Mas os contornos desse tapete pareciam sempre escolhidos cuidadosamente. Acabei destruindo tudo. Não consigo passar da pele. » N. Ramos, Cujo, São Paulo, Éd. 34, 1997, p. 7, trad. de l’auteur.
19. Dans l’original : « Comecei a arrancar a pele das coisas. Queria ver o que havia debaixo. Ergui a superfície do assoalho, que saiu inteira, sem quebrar. Tive de descascar a pele dos tijolos aos poucos, com paciência. A pele do cimento era a mais fina de todas e a dos azulejos refletia como um espelho. Debaixo destas peles parecia haver outra pele, idêntica porém enrugada. Retirei mais esta camada e o enrugado da superfície aumentou. Fui retirando camadas sucessivas, cada vez mais onduladas e acidentadas. A pele da tábua do assoalho foi a primeira a apresentar grandes rombos e uma tonalidade avermelhada apareceu em sua parte inferior. Pequenas farpas de madeira prendiam-se agora a ela, perfurando-a em diversos pontos. As camadas da pele do cimento começaram a grudar umas nas outras. Já não era possível retirá-las tão finas (quase transparentes) e a força empregada passou a ser bem maior (tinha os braços cansados, agora). A alteração mais triste acompanhou a pele dos azulejos: quanto mais profundas, mais opacas ficavam as camadas. A nitidez especular da primeira pele (bem superior à do azulejo inteiro) transformou-se pouco a pouco na tonalidade leitosa de um dia nebuloso ou de um olho vazado. A pele dos tijolos foi simplesmente virando pó: se no início era ainda possível descascá-la, havia perdido agora toda consistência e se desintegrava ao primeiro toque. Não era mais uma pele, nem uma superfície: transformara-se num material arenoso qualquer. Podia ser pó de tijolo, cal, areia ou, quem sabe, os restos de um defunto. Por trás de cada pele, portanto, encontrei apenas formas degradadas da pele superficial. Ainda que os dados não sejam suficientes, devo concluir que esta primeira camada não recobre um interior diferenciado, mas é a expressão mais estável deste interior, que a repete monotonamente. » Ramos, Cujo, p. 27-31.
20. Dans la version originale : « Na verdade, o movimento com que giram os gases aquecidos, os choques de massas polares com o ar mais leve e quente que vem dos trópicos, a condensação das tempestades sobre o oceano, todo o sal lançado na atmosfera, a luta das mucosas e das guelras, o sofrimento mesmo das aspirações humanas, dragões espalhando lantejoulas e escamas, vidas ceifadas, pedaços de madeira que naufragam, olhos que a catarata vela, bacia onde moram os sargaços, tudo o que ficou cinzento e floriu depois na primavera, tudo o que o outono equalizou com prata e monotonia, o rosado leve do poente, o ar que enche o peito de alegria, parecem na verdade parte de uma astúcia, gestos furtivos que não compreendemos, sequelas de um corpo enorme e defeituoso que tenta inutilmente recobrir-se, sumir debaixo da aparência. » N. Ramos, O Pão do Corvo, São Paulo, Éd. 34, 2001, p. 11.
21. Dans la version originale : « E o cheiro ? Desde os treze anos, jamais, usei desodorante. Uma das poucas marcas de caráter é não ter cedido – ou, para colocar de outra forma, de preferir o cheiro da minha transpiração ao sabor agridoce, enjoado, desse mesmo cheiro misturado a perfume barato. Mas como percebo agora com tanta nitidez este cheiro, meu cheiro, entre todos os demais? Como posso ter tanta certeza? Será que todas as secreções (urina, cuspe, merda) têm essa mesma digital exclusiva? Pego um pouco de sabão líquido e passo na axila. O cheiro continua. Mas percebo então, olhando bem de perto, impressas com riqueza de detalhes desde os ombros até a lateral do meu ventre, as marcas da camisa que acabei de tirar. Subo definitivamente na bancada de granito e, de joelhos, quase encosto o corpo no vidro. Pergaminho. É isso. Areia. Somos pergaminho, areia. Sofremos a compressão contínua dos outros corpos no nosso, que vão imprimindo ali uma forma de escrita que ninguém lê e depois se apaga sozinha. » N. Ramos, Ó, São Paulo, Iluminuras, 2008, p. 278-279.
22. R. Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, trad. et notes Jacques Brunschwig (Coll. Classiques Garnier), Paris, Garnier, 2002, p. 75.
23. Dans la version originale : « Tudo te é contíguo porque você é extenso. » N. Ramos, O Mau Vidraceiro, São Paulo, Globo, 2010, p. 84.
24. G. Dessons, Rembrandt, l’odeur de la peinture, Paris, Laurence Teper, 2006, p. 43.
25. E. Coccia, La Vie sensible, trad. Martin Rueff, Paris, Payot & Rivages, 2010, p. 133.
26. Coccia, La Vie sensible, Paris, Rivages, 2010, p. 133.
27. Dans l’original : « tua voz é teu corpo ainda, bem como as lágrimas e teu suor (até evaporarem), tua porra (até secar). » Ramos, O Mau Vidraceiro, p. 86.
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