Appel à candidature : « Montrer / Chercher : l’art brut à l’épreuve de l’archive » (Paris, 4 – 11 juillet 2022)

Charles Dellschau, (Sans titre), 1921, Gouache, encre, vernis, ficelle et collage, 53 x 43,5 cm.
AM 2021-974. Photographie : César Decharme

Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky

Montrer / Chercher : l’art brut à l’épreuve de l’archive

4 – 11 juillet 2022

Appel à candidature

Date limite de dépôt : 10 avril 2022

Dans une lettre à son ami Jacques Berne datée du 3 août [1970], Jean Dubuffet déclare : « L’entreprise de l’Art Brut […] a consisté non pas à montrer l’art brut après l’avoir défini, mais à chercher où est l’art brut, en vue de réunir une documentation qui pourrait peut-être finalement le définir. » [1]

En écho à la donation historique consentie par Bruno Decharme – collection abcd au Musée national d’Art moderne en 2021, comportant plus de neuf cents œuvres majeures d’art brut dont une sélection est présentée dans une salle dédiée du parcours permanent, la huitième édition de l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky questionnera la diversité des figures de « passeurs » et « découvreurs » (médecins, chercheurs, collectionneurs, artistes, galeristes…) impliquées dans la documentation, la collecte, la diffusion et la reconnaissance de l’art brut.

L’opposition des termes « montrer » / « chercher » sous la plume de Dubuffet illustre l’attention cruciale qu’il accordait aux sources, dont le rassemblement ne constitue pas la condition d’une étude préalable, mais l’aboutissement d’une recherche de terrain dont les fruits, œuvres et documentation, se confondent. De fait, l’ infinie variabilité de la définition des objets de l’art brut, tour à tour source de plaisir esthétique et de connaissance, nous invite à explorer de manière critique la porosité des frontières entre ce qui fait « œuvre » et ce qui fait « document » : œuvres à part entière qui documentent des pratiques singulières et dont elles restent souvent la seule trace, corpus dynamiques, qui sont archive et œuvre tout à la fois, artistes archivistes à vocation encyclopédique à l’instar du facteur Cheval, de Henry Darger ou d’August Walla, compulsant leur propres collections d’images

Art Brut, outsider, naïf, populaire, vernaculaire, psychopathologique, médiumnique : cette pluralité terminologique ne doit pas constituer un facteur d’indétermination mais au contraire nous inviter à préciser les contextes historiques et géo-culturels, internationaux, des multiples définitions et pratiques de l’art brut. Quelles sont les traces de l’art brut ? Écrits/écritures, dessins, photographies, correspondance, rapports et comptes-rendus d’analyse, récits littéraires, reportages photographiques, sources audiovisuelles, quelles sources pour comprendre l’activité d’individus dont on ignore ou l’on cache parfois jusqu’au nom de famille ? Les collections des « passeurs » qui ont su voir et valoriser l’art brut suffisent-elles à expliquer et analyser ces histoires ? Quelles furent, quelles sont les méthodes de regroupement, d’étude et de valorisation employées pour faire collection et constituer une documentation ? Quels sont les enjeux d’une définition « en creux » de l’art brut ?

L’Université d’été s’attachera à revenir sur la longue histoire des pratiques de l’art brut, des regards pionniers de Marcel Réja, Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet ou Léo Navratil et Roger Cardinal, aux pratiques de recherche et de création les plus contemporaines.

Quelques enjeux à explorer :

Enjeu « idéologique » /   Pour dépasser le moment historiographique très situé décrit par Jean Dubuffet, l’histoire de l’art brut est une histoire de nombreuses résistances institutionnelles, de paradoxales oppositions et de contestations des structures dominantes. Retracer le fil des archives administratives, littéraires, psychiatriques, publiques et privées, qui ont structuré le processus de production et de classification des œuvres, c’est montrer à corps ouvert les mécanismes idéologiques, discursifs, qui ont essayé de proposer un cadre de compréhension – parfois figé, parfois répressif, ou au contraire très décloisonné et très ouvert – à la richesse des pratiques et des visions « autres » qui excédaient ces mêmes structures de pouvoir.  Comment l’institution a-t-elle pris et prend-elle en charge le discours anti-institutionnel ? Comment les discours normatifs de classification, d’assignation, sont-ils mis à mal par les pratiques de l’art brut ? Comment l’art brut fabrique ses propres structures de monstration et d’étude ? Sont attendues également des propositions de candidature qui reviennent sur des études de cas et situations spécifiques d’institutions de l’art brut/art autre qui ont su réinventer le périmètre institutionnel.

Enjeu historiographique / Entre la « singularité » des profils « bruts » et la pluralité des modernités artistiques, il s’agira d’interroger à la lumière des sources archivistiques les conditions de production et d’interprétation de ces œuvres, et de redéfinir de manière critique les canons historiographiques de l’art (histoire de l’art euro-américano-centrée, primitivisme trop souvent associé aux productions dites naïves, glissements terminologiques vers les pratiques vernaculaires, etc.) Il conviendra donc de déplacer la question de « comment regarder l’art brut » vers le « comment l’art brut change-t-il notre manière de regarder ».

Enjeu éthique / Comment les sources témoignent-elles de la relation entre les artistes et ceux qui regardent ces œuvres ? Ces relations, qui peuvent être des relations où le « passeur » incarne une figure d’autorité (critique, thérapeute, tuteur, collectionneur, chercheur, etc) orientent-elles dès lors la production des œuvres ? Entre l’anonymat de certains artistes et le paradoxe du porte-parole (une voix dont on se fait le porte-parole est par définition une voix qu’on n’entend pas) : comment exposer et interpréter sans entériner la marginalisation ni occulter la circulation et la diffusion de ces œuvres, ni figer leur lecture ?

Enjeu expographique / quels documents renseignent ces récits collectifs, comment l’art brut est-il montré (voire collecté, documenté) dans les institutions psychiatriques, religieuses, muséales ? Quels collectifs d’auteurs et quelles conditions de création, quels lieux à la limite entre atelier, lieu d’exposition, de vente, de soin ? Quels sont différents lieux et approches à l’international (Asie, Amérique du Sud, Europe de l’Est) et les espaces alternatifs qui montrent l’art brut ? Quels sont les enjeux de conservation (spécificité matérielle des œuvres, patrimoines paysagers, …).

Enjeu prospectif / De quelle manière l’art brut sert-il de source d’inspiration pour de jeunes créateurs et incite à de nouvelles pratiques critiques ? Où se déplacent aujourd’hui les débats relatifs à cette variabilité des objets de l’art brut ?

Selon son principe de travail structurant, l’Université d’été mettra à disposition des participants un ensemble de ressources archivistiques et documentaires conservées par la Bibliothèque Kandinsky. Elle invitera les participants à enrichir le débat en partageant les sources de travail sur lesquelles ont reposé leurs recherches et à poursuivre des opérations historiographiques sur un mode critique et inventif.

 

PROCEDURE DE CANDIDATURE 

L’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky s’adresse à un public international de jeunes chercheurs (à partir du niveau doctorat ou équivalent en termes d’expérience et recherche) : historiens et historiens de l’art, anthropologues, sociologues, psychanalystes, psychiatres, artistes, critiques, commissaires d’expositions.

Dossier de candidature :

– Une proposition de communication, d’intervention ou de contribution (4500 signes/700 mots en format pdf; peut être rédigée en anglais ou français)

– Un CV et une liste de publications (format pdf)

– Il est nécessaire d’avoir une bonne maîtrise de l’anglais et du français.

Les participants devront apporter un choix de sources qui servira de support à la présentation de leur travail.

Les propositions de communication sont à adresser avant le 10 avril 2022 à l’adresse électronique : recherche@centrepompidou.fr

La ligne « sujet » du mail doit préciser le nom du candidat précédé de la mention Université d’été.

Les propositions seront examinées par le Comité de pilotage qui se chargera d’établir le programme définitif de l’Université d’été. Le Comité de pilotage retiendra 25 candidatures. Tous les candidats, qu’ils soient ou non retenus, seront contactés individuellement avant le 19 avril 2022.

Une contribution d’inscription de 150 € sera demandée aux participants qui bénéficieront de l’enseignement de l’Université d’été. Cette contribution couvrira un certain nombre de frais – transport vers des lieux visités, éventuels droits d’entrée dans des institutions, etc.

A l’attention des candidats qui en feront la demande, le Centre Pompidou émettra toutes attestations utiles leur permettant d’obtenir toutes bourses ou aide de financement qu’ils pourraient requérir auprès de fondations, de musées ou d’institutions universitaires ou de recherche.

 

COMITE DE PILOTAGE 

Cristina Agostinelli, attachée de conservation et responsable de programmation, Collections contemporaines, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Thomas Bertail, chargé de coordination de la recherche, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

 

Bruno Decharme, collectionneur et spécialiste de l’art brut

Sophie Duplaix, conservatrice en chef des Collections contemporaines, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris

Mica Gherghescu, responsable du pôle recherche et programmation scientifique, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur, chef de service de la Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Anne Montfort, conservatrice, Cabinet d’arts graphiques, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Lucienne Peiry, docteure en histoire de l’art, spécialiste d’Art Brut, commissaire d’expositions

Mathieu Potte-Bonneville, directeur du Département Culture et Création, Centre Pompidou, Paris

Xavier Rey, directeur du Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, Paris

Barbara Safarova, productrice de films, docteur ès lettres et en esthétique, présidente de l’association abcd (art brut connaissance & diffusion), directrice de programme au Collège international de philosophie.

Diane Toubert, archiviste, collections contemporaines, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Aurélie Verdier, conservatrice, Collections modernes, au Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Vous pouvez adresser vos demandes de renseignements à l’adresse :

recherche@centrepompidou.fr

Tel : +33 (0)1 44 78 46 65

https://carnetbk.hypotheses.org/4143

[1] Citée par Baptiste Brun dans son article « Réunir une documentation pour l’Art Brut : les prospections de Jean Dubuffet dans l’immédiat après-guerre au regard du modèle ethnographique », Les Cahiers de l’Ecole du Louvre, n°4, 2014.

 

Source : https://carnetbk.hypotheses.org/4143

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