« La littérature est le fragment de tous les fragments » disait Goethe, qui reconnaissait que ses œuvres étaient des « fragments d’une grande confession ». Alors que l’on cherche communément à établir des connexions et à bâtir des ponts – à créer et à renforcer ducontinuum –, travailler sur le fragment permettrait d’appréhender la littérature, les arts et la culture par l’irruption d’un autre dans le même, rupture, discontinu, fragmentation.
Voici ce que propose le colloque organisé en mars 2014 à l’Université de Haute-Alsace : s’attaquer aux fractures, à ce qui est brisé, incomplet. Délaisser les revendications d’une esthétique « classique » de la cohérence et de la cohésion au profit d’une représentation fragmentaire. Réfléchir à l’abandon de l’idée de totalité, à l’avènement de métonymies qui la remplaceraient dans les œuvres littéraires et artistiques, avec tout ce que cela implique / a impliqué / impliquera quant à leur organisation, leur structure, leurs esthétiques.
Les fragments sont-ils des parties d’un tout (le fragment serait donc incomplet en soi) ou la somme des parties n’équivaudrait-elle pas à l’ensemble ? « Le fragment est l’absolu de l’art » lancent Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe ; il brise la tradition, et correspond, dans le fil tendu de l’histoire de l’art, à des moments de coupure épistémologique, des périodes de doute et de perte de confiance. On constate néanmoins que le fragment a donné lieu à des formes littéraires comme les maximes, les sentences, les aphorismes, autrement dit une assurance inattendue de la pensée. « La vie est un fragment incompréhensible dans l’univers » écrit Pascal ; les Romantiques allemands se feront aussi l’écho d’un doute existentiel n’empêchant pas une foi dans la réflexion intellectuelle. Sans restriction de périodes ni de sphères géographiques, en s’appuyant sur le domaine de la littérature et de la culture, on essayera de s’interroger selon sur les trois données suivantes : son rapport à l’œuvre, son rapport au savoir et à la réflexion et le statut du sujet écrivant.
Dans ce colloque, les axes suivants seront privilégiés :
– le fragment est un morcellement subi, alors que la poétique est une construction esthétique. Dans ses Papiers collés, Georges Perros utilise le fragment pour faire échapper son écriture au système de fixation du sens.
– Alors que le fragment est un fait de connaissance, en archéologie et en paléontologie qui s’appuient sur les fragments pour reconstituer ce qui fut par un décryptage de ces fragments (les fragments d’os, de dents, les papyrus), la fragmentation brutalise le continuum de la pensée, elle remet en cause la notion de totalité et d’harmonie qui suscite une perte de confiance dans les systèmes de pensée ; le fragment provoque un doute éthique. René Char appelait ses Feuillets d’hypnos des « notes précaires ».
– Dans quelle mesure, le fragment morcelle-t-il le savoir, en est-il une expression parcellaire et partielle ? C’est en ce sens qu’on peut comprendre l’expression de « phonoclaste » de Pascal Quignard (Petite gêne esthétique à l’égard du fragment), le fragment brise l’harmonie de la voix et de la tradition orale. Le fragmentiste est aussi « logoclaste », il produit une pensée non articulée.
– Le fragment interroge la nature et la fonction du rapport entre la partie et le tout : est-il analogique, métonymique, substitutif, antithétique ?
– Enfin, le fragment est visuellement et typographiquement repérable, il est même ostensiblement visible, et exhibe ses deux spécificités formelles : la brièveté et le blanc. Comment pourrait-il pour lors évoluer ? Comment lire cette progression artistique vers le peu, le moins, l’allusif, l’elliptique ?
Les propositions de communications d’une dizaine de lignes, ainsi qu’une brève présentation bio-bibliographique, pourront être envoyées à Peter Schnyder (Peter.Schnyder@uha.fr) et Frédérique Toudoire-Surlapierre (frederique.toudoire@uha.fr) avant le 15 décembre 2013.
http://www.ille.uha.fr
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