Appel à communication : interpréter la peinture du XVIIe siècle en France

« Du corpus à l’exégèse : interpréter la peinture du XVIIe siècle en France, entre provinces et capitales européennes »
Cycle de journées d’études (2014-2016)

Capture d’écran 2014-05-11 à 01.18.06Depuis plusieurs décennies, l’histoire de l’art a redécouvert dans toute sa  richesse et diversité la peinture française du XVIIe siècle jusque-là associée à une poignée de noms aussi prestigieux que mal connus : Poussin, Le Lorrain, Vouet, Le Sueur, Philippe de Champaigne, les frères Le Nain, La Tour ou Le Brun. Si ce mouvement de redécouverte a surtout porté sur Paris (ou plus tard Versailles et la fin du siècle), il a également permis de remettre au premier plan un certain nombre de centres provinciaux qui, malgré le mouvement de concentration monarchique, sont restés extrêmement actifs et originaux : Lyon, Dijon, Toulouse, Nancy et la Lorraine, la Provence, etc. Il en a été de même à Rouen, où l’exposition déjà ancienne sur la peinture à Rouen à l’époque de Corneille (1984) a établi une première et remarquable étude d’ensemble où ont été remis à l’honneur des figures comme Le Tellier, Sacquespée ou Jean de Saint-Igny, que suivront plus tard Colombel – récemment magnifiquement exposé -, Jouvenet ou Restout.
Les travaux menés, souvent sous forme de monographies, soucieuses de données historiques, d’attributions et de considérations formelles, ont permis de dégager de nouvelles personnalités artistiques et de constituer de nouveaux et précieux corpus. Trop rares cependant sont encore les études récentes qui, à l’exception notamment de Poussin, Champaigne ou La Tour, ont su tirer parti de cette extension des connaissances pour renouveler en profondeur l’interprétation même des œuvres ainsi redécouvertes du Grand Siècle. Les productions décisives de Blanchard, de Blanchet, de Bourdon, de Stella, des Le Nain, ou même du Lorrain ou de Charles Le Brun, sans parler de figures plus marginales comme Le Tellier à Rouen, restent par exemple, de ce point de vue, encore méconnues et trop peu étudiées.

Sans ignorer la question du corpus, les rencontres veulent donc privilégier cette approche interprétative, portant sur des études de cas exemplaires : théories et pratiques anciennes de l’interprétation ; questions iconographiques et iconologiques ; approches contextuelles interdisciplinaires  ; lectures plus théoriques d’ordre herméneutique ou exégétique s’interrogeant, notamment, sur les questions liées à l’intentionnalité ou à la réception, etc.
Les situations régionales seront considérées, mais elles ne pourront l’être que dans une prise en compte, obligée au XVIIe siècle, des interactions permanentes entre provinces, Paris, mais aussi grandes capitales européennes (de Rome à Anvers via Madrid ou Londres), entre lesquelles pouvaient se déplacer œuvres et artistes français ou étrangers œuvrant en France. Le cas de Rouen et de la Normandie – pensons à l’itinéraire de Poussin, à celui de Jouvenet ou à ceux de « parisiens » œuvrant ponctuellement à Rouen (Champaigne, La Hyre) -, est à nouveau ici emblématique.

Ce projet, coordonné à Rouen par Frédéric Cousinié, professeur d’histoire de l’art moderne, et par Sylvain Amic, directeur du musée des Beaux-Arts de Rouen, est réalisé dans le cadre d’un partenariat et d’un comité scientifique élargi où ont été associés universitaires et conservateurs (et notamment l’Association des conservateurs des musées de Haute-Normandie), l’Institut national d’histoire de l’art, l’Institut allemand d’histoire de l’art et l’Académie de France à Rome.
S’appuyant sur un important réseau de spécialistes français et étrangers, et privilégiant les travaux récents de jeunes docteurs et doctorants,  cette rencontre prendra à nouveau la forme d’un cycle de journées d’études accueillies au musée des Beaux-Arts de Rouen dès 2014, les 26 et 27 novembre prochain, puis éventuellement dans d’autres villes d’accueils en 2015 et 2016.

Une réunion du comité scientifique, le  29 mars dernier, a été l’occasion de préciser plusieurs thématiques regroupées ici en trois axes évolutifs. Ceux-ci sont distingués par commodité mais, de fait, sont fortement susceptibles de s’articuler ou de se superposer dans les différentes communications qui pourront sans doute aisément glisser d’un axe à l’autre. Les deux premiers sont d’ordre essentiellement historique (modèles de l’interprétation au XVIIe, problèmes des « sources », des « objets » et des « acteurs » de l’interprétation) ; le dernier est d’ordre plus réflexif et historiographique.

– 2014 : Historiciser l’interprétation ? Protocoles et sources de l’interprétation (Qu’est-ce qu’interpréter au XVIIe siècle ? Les « sources » font-elles sens ?) ;
            – 2015 : Trajets de l’interprétation  (L’œuvre comme lieu et forme d’interprétation ; Les acteurs comme vecteurs de l’interprétation) ;
– 2016 : Au-delà ou en deçà de l’interprétation (Construire le sens ; Suffisance et insuffisances du sens).

Trouver, en somme, ce qui fait encore sens, ou est susceptible de faire encore sens, collectivement, dans la peinture du XVIIe siècle.

Comité scientifique élargi : Olivier Bonfait (Université de Dijon) ; Michèle-Caroline Heck (Université Paul Valéry, Montpellier) ; Marianne Cojannot-Leblanc (Université de Paris Ouest Nanterre La Défense) ; Emmanuelle Hénin (Université de Reims) ; Perre Ickowicz (Musée de Dieppe) ; Dominique Jacquot (Musée de Strasbourg) ; Pascal Julien (Université de Toulouse-Le Mirail) ; Guillaume Kazerouni (Musée de Rennes) ; Thomas Kirchner (Centre allemand d’histoire de l’art, Paris) ; Annick Lemoine (Académie de France à Rome) ; Anne Le Pas de Sécheval (Université de Paris Ouest Nanterre La Défense) ; Jacqueline Lichtenstein (Université de Paris IV) ; Philippe Luez (Musée de Port-Royal) ; Alain Mérot (Université de Paris IV Sorbonne) ; Colette Nativel (Université de Paris I) ; Véronique Meyer (Université de Poitiers) ; Nicolas Milovanovic (Musée du Louvre) ; Bruno Nassim Aboudrar (Université de Paris III) ; Patrick Ramade (Musée de Caen) ; François Trémolières (Université de Paris Ouest Nanterre La Défense) ; Hendrik Ziegler (Université de Reims).

Contact/Informations : f.cousinie@orange.fr                                                 * * *

 

Appel à communication pour les premières journées.
Le document ci-dessous expose plus en détail et sous forme juste indicative, quelques possibles directions de recherche concernant les journées de novembre 2014.
Les propositions, concenant les journées de novembre 2014, sont à adresser avant le 20 juin 2014 à : f.cousinie@orange.fr


I- Historiciser l’interprétation ? Protocoles et sources de l’interprétation (Rouen, 26-27 novembre 2014)

Deux directions pourraient être envisagées .

a/Qu’est-ce qu’interpréter au XVIIe siècle ?

Pour des historiens soucieux d’une possible mais très relative restitution/reconstruction du sens « originaire » des images, nous privilégierons, d’une part, des travaux relatifs à des lectures interprétatives et à des grilles de lectures « historiques », c’est-à-dire formalisées par les acteurs eux-mêmes, et plus ou moins contemporaines des œuvres étudiées.
Il s’agirait d’inventorier et d’analyser certains des différents modes de théorisation et de pratiques historiques de l’interprétation : philologie et tradition du « commentaires » humanistes ; exégèse médiévale (et ses réélaborations modernes sous la pression des nouvelles orientations de la Réforme, de la philosophie et de la science moderne, ou des images mêmes avec l’articulation entre exégèse textuelle et exégèse visuelle) ; pratiques spirituelles (exercices spirituels) ; allégorisme (au profit d’interprétations morale, physique, etc.) ; théories et pratiques de la littérature emblématique ; cadres interprétatifs établis par la littérature artistique et l’institution académique, etc.
Quelles incidences ces modes de lecture, souvent issus de pratiques textuelles (de Blaise de Vigenère commentant Philostrate, à Richeome ou Ménestrier par exemple), ont-ils sur l’appréciation des images (et réciproquement) ?  Comment concilier l’extrême élaboration contemporaine de certaines interprétations avec les formes parfois élémentaires, voire triviales, de nombre de lectures anciennes ? Peut-on réactualiser de façon critique ces modes interprétatifs ? Une lecture historique ou contextuelle de l’œuvre ne risque-t-elle pas de nous enfermer excessivement dans la reconduction de catégories et de grilles de lecture certes « justes » mais conventionnelles de l’époque (la survalorisation, par exemple, de la succession des conflits académiques ou de la hiérarchie des genres) ? Quelle place accorder à des questionnements différents ou inédits, non nécessairement explicités ou même pensés par les acteurs historiques, mais auxquels se prêtent ou doivent aussi se prêter les œuvres ? Quels sont les écueils, ou les vertus, de l’anachronisme ?

b/ Les « sources » font-elles sens ?

Nous pourrions, d’autre part, revenir et interroger sur ce qui fonde tout travail d’historien et notamment la légitimité de son interprétation, à savoir le recours aux « sources » supposées, le corpus et référents externes (textuels ou visuels : nature, modèle, images de différents statuts), des œuvres et artistes étudiés.
Ici s’imposent  à la fois la question de la délimitation et de la pertinence des sources convoquées ; celle des différentes et problématiques formes de traduction, médiation, intégration, incorporation, usage au sein de l’œuvre de ses « sources » ; celle encore du rapport entre sources et sens : si l’identification des « sources » et du « sujet » ne suffit pas à fonder le sens (« l’intelligence » ou « l’explication » du tableau dans les termes du XVIIe siècle), en quoi et comment peut-elle y contribuer ?
Pour le XVIIe siècle, nous sommes notamment confrontés à l’omniprésente question du rapport texte/image dans ses multiples modalités (la question de l’inscription, du titre, du commentaire, du programme, de l’illustration, du corpus convoqué pour l’explication, etc.). Mais toute aussi importante est la question du rapport entre images : la peinture elle-même comme acte interprétatif d’autres images « sources ».

Le privilège excessif donné aux « sources » pour autoriser l’interprétation a été l’objet de nombreuses et répétées critiques et mises en garde : « logocentrisme » dominant où sont négligées « formes » et « pensée plastique » ; brutalité d’une explication terme à terme univoque au détriment de « mises en réseaux » intertextuelles ; négligeance à l’égard de l’ensemble des médiations et des intermédiaires concrets comme des phénomènes de décalages temporels et spatiaux qui s’interposent entre « sources » et « œuvres » ; tentation d’un réductionnisme symbolique, moraliste, didactique, politique (le docere de la rhétorique) ; identification des seules correspondances superficielles (formes ou contenus), incapables d’atteindre par exemple ce que Panofsky lui-même (ou plus tard un Lucien Goldmann, un Bourdieu ou, dans un autre cadre encore, un Claude Lévi-Strauss), appelait des analogies ou des « homologies » structurales, etc.      Dans ce qui relève ici déjà nécessairement d’un questionnement d’ordre méthodologique et historiographique (voir 3e session), on pourrait se demander quelles sont les réponses et stratégies de l’histoire de l’art ?

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