Appel à communication : « La couleur au défi du multiple » (Saint-Étienne, 31 mai et 1er juin 2017)

beatriz-milhazes-noite-de-vera%cc%83o-nuit-dete-2006-estampe« Les techniques industrielles de l’image – imprimerie, photographie, cinéma, télévision – excellent dans la reproduction des contours, des rapports de clarté et d’ombre (des valeurs), voire des couleurs en aplat, mais elles sont infirmes dès qu’il s’agit des couleurs complexes. D’où trois solutions : se cantonner dans une seule couleur neutre ; réduire l’image à quelques aplats juxtaposés ; s’approcher des couleurs complexes par la superposition de couleurs simples. Dans les trois cas, le chromatisme est infidèle à l’original. »

Si la reproduction industrielle et la diffusion massive des images en couleur qui se sont accélérées de façon vertigineuse depuis un demi-siècle ont profondément changé notre paysage visuel ainsi que notre rapport à l’œuvre d’art, les techniques qui les permettent semblent néanmoins, comme le suggère ci-dessus Henri Van Lier, encore très imparfaites : la couleur, ce phénomène instable et insaisissable entre tous, reste aujourd’hui encore un réel défi à la reproduction des images. Or, à une époque où les artistes sont confrontés à un devoir de communication grandissant et où ils ne peuvent plus échapper au problème de la reproduction et de la diffusion de leurs œuvres, il nous a semblé intéressant de nous questionner sur l’attitude des artistes, techniciens, historiens ou critiques d’art face aux écarts induits par la traduction chromatique des œuvres originales à leurs copies.

Dans le cadre de l’axe transversal 1 du programme scientifique du CIEREC intitulé « L’œuvre multiple », plusieurs journées d’études se proposeront d’interroger la place de la couleur dans une création contemporaine fortement marquée par les questions liées au multiple. La réflexion s’attachera aussi bien aux œuvres multiples par nature, comme l’estampe, la photographie ou le cinéma, qu’à la reproduction et à la diffusion photographique et/ou numérique d’œuvres « uniques » ou encore au design, aux arts appliqués et à la production industrielle d’objets.

Les deux premières de ces journées d’études se tiendront les 31 mai et 1er juin dans le département d’arts plastiques de l’Université Jean Monnet.

  • La journée du 30 mai 2017, dirigée par Laurence Tuot, sera consacrée à la question de la couleur dans l’art de l’estampe après 1945.
  • La journée du 1er juin 2017 dirigée par Charlotte Limonne, aura pour sujet la teinture.

Journée 1 : La gravure en couleur de 1945 à nos jours

Claude Roger-Marx, en conclusion de son ouvrage La Gravure Originale au Dix-Neuvième Siècle, édité en 1962, met en garde les graveurs qui prétendraient sortir de ce qu’il nomme le  «  royaume austère du noir et blanc ». L’auteur évoque avec inquiétude « un temps où la couleur, dont avaient su se garder prudemment la plupart des peintres-graveurs, tend à fasciner le public ! »
Il est vrai que le paysage de la gravure après 1945 se trouve profondément bouleversé. Sous l’influence, notamment, des expérimentations novatrices de Stanley William Hayter, une explosion de couleurs criardes, violentes, et même fluorescentes fait soudain son entrée dans cette discipline « discrète et modeste » qui,  toujours selon Roger-Marx, avait jusqu’alors l’habitude de confier « ses secrets à voix basse ». Ainsi, les recherches plastiques issues du courant surréaliste, de l’art minimal ou encore de l’abstraction renouvellent de façon spectaculaire, par leur usage de la couleur,  le langage de l’estampe dans la seconde moitié du XXe siècle.

Cette histoire de la gravure en couleur ne semble cependant pas avoir fait l’objet d’une réflexion globale en France. Comme l’écrit Florian Rodari, « une certaine résistance persiste à l’encontre de la couleur parmi les connaisseurs de la gravure (…). Questionnez un amateur d’estampes. Il vous répondra toujours que la couleur est superfétatoire, séduction tout juste bonne à satisfaire l’œil, incapable de jouir d’une richesse fournie par l’essentiel. » Ainsi, chez des auteurs de référence comme Jean Bersier ou Michel Terrapon, l’estampe en couleur est de façon récurrente décrite comme une « tricherie » ou une « sucrerie insupportable ». Cette journée d’études a donc pour objectif de pénétrer de plain-pied dans les inquiétants plaisirs de la couleur afin de proposer un état des lieux des expériences chromatiques dans le domaine de l’estampe (taille-douce, taille d’épargne et lithographie) après 1945 et jusqu’à nos jours, en France comme à l’international.

Face à la production et la circulation massive des images en couleurs permises par les nouvelles techniques industrielles, la gravure traditionnelle se trouve dans la deuxième partie du XXe siècle définitivement dépossédée de sa fonction de reproduction et les contraintes techniques liées à son statut de multiple, terriblement exigeantes dans le domaine de la couleur, sont à repenser entièrement. Plusieurs grandes tendances semblent alors se dessiner chez les graveurs, qui définiront les différents axes de notre réflexion.
Nous pourrons tout d’abord étudier la manière dont certains artistes mettent en avant, durant cette période, la matérialité et les textures propres à l’estampe, et en premier lieu, pour la taille-douce et la taille d’épargne, ses qualités d’impression en relief. En réaction au déferlement d’images lisses et superficielles de l’industrie médiatique, certains artistes semblent en effet travailler avec obsession les qualités haptiques de leurs gravures, la couleur y étant alors pensée dans ses trois dimensions, comme une matière épaisse, prégnante, débordante et parfois incontrôlable (Pierre Soulages, Bertrand Dorny, Frank Stella, Roberto Matta, Carroll Dunham…).

Un deuxième axe d’étude pourrait concerner les rapports des graveurs de cette période avec la technique et les gestes traditionnels, voire artisanaux de la gravure. Si certains vont faire le choix de la virtuosité, de la résistance du support et de la lenteur de l’exécution (Chuck Close), d’autres, au contraire, semblent vouloir mettre la gravure en couleur sur la voie de la spontanéité et de la liberté expressive, quitte à en devoir réinventer les techniques (Stanley William Hayter) ou jouer de la rudesse, de la maladresse ou de l’aléatoire (Jean Dubuffet).

Le caractère incertain des tirages, la spécificité de la gravure comme déploiement d’états successifs et permettant de multiples variations d’encrages en fait également le médium privilégié des artistes travaillant sur les jeux chromatiques sériels issus de l’abstraction ou du Pop art (Josef Albers, Robert Indiana, Jennifer Bartlett,…). La question de la série sera donc sans doute l’un des enjeux importants de cette réflexion autour de la gravure en couleur depuis l’après-guerre.

Nous pourrons également nous interroger, au sein de cette journée de recherches, sur la nature des sujets privilégiés ou induits par la pratique de la couleur en gravure. Si l’abstraction semble souvent privilégiée comme moyen d’envisager la couleur dans sa matérialité et sa puissance pure, on pourra se demander également si la gravure en couleur ne met pas également les artistes en devoir de penser un rapport nouveau à la figuration (Jean Lodge).

Enfin, de manière plus générale, il serait intéressant d’étudier la place que tient la gravure chez les artistes travaillant habituellement la problématique de la couleur avec d’autres supports, les contraintes techniques de l’estampe en couleur encourageant parfois ces artistes à une radicalité plus forte ou une ouverture inattendue de leur travail (Ellsworth Kelly, Helen Frankenthaler, Alex Katz,… ).

Journée 2 : La teinture, l’art et l’industrie, de 1940 à nos jours

En 1856, un jeune chimiste anglais, William Henry Perkin, met au point, par hasard, le premier colorant de synthèse : la mauvéine. Cette découverte jette les bases de la fabrication de nouvelles teintures, issues non plus d’éléments naturels mais de pigments artificiels. La mauvéine connaît un succès immédiat et est le point de départ, en Europe, d’une industrie qui a produit, en nombre, de nouveaux colorants avec, pour matière première, le goudron de houille. Dans les années 1940-50, les processus de teinture synthétique sont parfaitement maîtrisés et semblent sonner le glas des techniques traditionnelles qui ne survivent qu’au creux de niches restreintes, s’amenuisant.
Cette journée d’études se propose pourtant de faire un état des lieux de la création dans la teinture artisanale depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours, d’analyser ses enjeux et ses spécificités, et d’interroger  les liens qu’elle a noués au fil de ces dernières décennies avec la mode, la Nouvelle Tapisserie et, plus largement, l’ensemble de l’art contemporain. Il s’agira également d’envisager l’avenir de ces techniques et les différentes perspectives de renouvellement qu’offre ce domaine de création.
La réflexion s’organisera suivant trois axes :

  • Résister ou adhérer  à l’esthétique industrielle

Tout d’abord, il s’agira d’analyser la posture adoptée par les créateurs face à l’esthétique colorée d’origine industrielle. Pourront être analysés, par exemple, au sein de ce premier axe, les travaux de chercheurs comme Dominique Cardon ou Michel Garcia sur les colorants d’origine végétale, ou bien encore les créations de teinturiers comme India Flint qui choisissent clairement de résister aux tendances dominantes en puisant dans les savoir-faire anciens des matériaux et techniques alternatifs. Mais, à l’inverse, les colorants issus de la pétrochimie ont pu se révéler attractifs pour de nombreux artistes, leur donnant ainsi accès à des couleurs encore inédites, comme les couleurs fluorescentes, tout en simplifiant grandement les processus tinctoriaux. Face à l’abondance des matières colorées produites par la société de consommation, certains artistes font aussi le choix de ne plus créer leurs propres couleurs mais d’utiliser, à la façon d’un Ready-made, celles déjà  présentes dans les matériaux industriels. L’œuvre et les écrits d’un artiste comme Antoine Perrot pourraient venir enrichir nos réflexions à ce sujet.

  • Refuser le monochrome

La plupart du temps, la teinture précède la confection du vêtement. Pour obtenir une série de vêtements conformes aux attentes de notre société marchande actuelle, il est indispensable de parvenir à teindre de grandes quantités de tissus de manière uniforme. Cependant, il existe d’autres voies que certains créateurs (artistes, designers textiles, teinturiers, etc.) ont adoptées. La tache, la trace, l’auréole, perçues d’abord comme un défaut, peuvent-elles devenir un art, où hasard et expérimentations contrôlés alternent et se conjuguent ?
Il serait intéressant pour cet axe de réfléchir plus particulièrement aux pratiques tinctoriales contemporaines qui travaillent à rebours des principes industriels, entraînant une technique considérée comme artisanale vers les territoires de l’art.

  • Penser la peinture par la teinture

Le troisième axe, enfin, se propose d’éclairer d’une lumière nouvelle certaines pratiques picturales contemporaines par le biais d’une réflexion sur la teinture. Si cette dernière est « une opération ayant pour but de fixer, par imprégnation, un colorant, dans la matière traitée », c’est aussi « le résultat de cette action ». Ainsi, bien que mêlant toutes deux textile et pigments, le principe de la teinture diffère radicalement de celui de la peinture : la peinture est avant tout une pâte que le peintre étale sur la surface de sa toile sans qu’il ne soit aucunement question de pénétration du colorant dans le textile. Cependant, il existe des artistes qui se préoccupent, tels des alchimistes contemporains, de modifier les substances, de les transmuter en œuvres d’art par une cohésion plus étroite de la couleur et de son support. Au lieu de l’acrylique, il est parfois fait le choix de peintures plus aqueuses : aquarelle ou encre (chez Claire Chesnier par exemple). Le pinceau peut alors être abandonné au profit d’autres outils. Ainsi, Hiroyuki Shindo s’inspire-t-il de la calligraphie japonaise pour la réalisation de ses œuvres tout en faisant appel aux techniques ancestrales de la teinture à l’indigo.
Un autre point important qui pourra faire l’objet d’une étude approfondie dans le cadre de ce dernier axe, est le fait que le support ainsi coloré gagne souvent en présence physique (transparence ou opacité, texture), rendant son installation dans l’espace et son rapport à celui-ci radicalement différents et  riches de nouvelles possibilités (possibilité de le suspendre au lieu de l’accrocher au mur, de montrer autant sa face que son dos, etc.).
Une attention particulière sera ici également portée aux pratiques sérielles ou répétitives liées à une approche tinctoriale de la peinture.
D’autres axes de réflexion pourront bien sûr se greffer aux pistes que nous venons d’ouvrir pour ces deux premières journées d’études sur les thèmes associés de la couleur et du multiple. Pour les aborder, nous accueillerons aussi bien les contributions et témoignages d’artistes que ceux des historiens de l’art, des esthéticiens ou des philosophes. Les propositions de communication comprendront un titre, un résumé de 25 lignes maximum et une courte biographie de 6 à 7 lignes. Elles sont à envoyer par courriel aux contacts suivants :

avant le 15 décembre 2016

Les journées d’études auront lieu le 31 mai et le 1er juin 2017.

Comité scientifique

  • Laurence Tuot, Maître de conférences en Arts Plastiques, Université Jean Monnet, Saint-Étienne, CIEREC
  • Anne Bechard-Leauté, Maître de conférences en civilisations britanniques, Université Jean Monnet, Saint-Étienne, CIEREC
  • Charlotte Limonne, Doctorante en Arts Plastiques, Université Jean Monnet, Saint-Étienne, CIEREC

Appel en PDF: La couleur_au_défi_du_multiple

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