Appel à communication : « Où sont les bibliothèques spoliées par les nazis ? Tentatives d’identification et de restitution, un chantier en cours » (Paris, 23-24 mars 2017)

livres-spolic3a9sL’ampleur des spoliations effectuées par les forces nazies durant la seconde guerre mondiale a été révélée à la Libération. Des opérations de localisation, de retour et de restitution des biens culturels spoliés ont été mises en place, notamment en Europe occidentale, pendant que les vainqueurs soviétiques en Europe de l’Est estimaient, plus que d’autres, que ces biens constituaient des « prises de guerre » légitimes suite aux souffrances endurées. Rapidement, chacun, et surtout les spoliés, a été requis de « tourner la page », comme si la paix et la vie devaient s’accompagner du renoncement, d’un oubli imposé. Depuis que cette mémoire a resurgi, en lien avec les changements de perspective de la recherche historienne, elle s’est d’abord focalisée sur les spoliations d’oeuvres d’art, auxquelles leur rareté donnait une puissance symbolique et financière particulièrement perceptible.

Les spoliations effectuées par les diverses forces nazies, et notamment par l’ERR d’Alfred Rosenberg, dans toute l’Europe occupée avec la même brutalité, se sont abattues sur toutes les formes d’expression, dont les documents écrits et graphiques : livres, archives, manuscrits, estampes,  etc. Au procès de Nuremberg, le représentant de l’accusation française estimait que si l’on tentait de comptabiliser les saisies de livres dans les différents pays occupés par l’Allemagne nazie « dix millions serait un chiffre trop bas ». Il est bien au-dessous de la réalité : au moins 5 millions de livres, peut-être 10, ont été arrachés par les nazis à leurs propriétaires légitimes durant la seconde guerre mondiale dans la seule France.

Divers travaux historiens se sont attachés, au cours des dernières années, à mieux connaître les logiques, processus, modes, ordres, de ces spoliations de masse. Ces travaux se sont aussi attachés à montrer les spécificités des spoliations nazies comparées à celles qui ont durablement accompagné, hier et aujourd’hui, les guerres et le sort des vaincus. Ces spoliations nazies obéissent, comme d’autres, à une logique de guerre, nationaliste, expansionniste, et de répression politique. Elles présentent un caractère particulièrement planifié, organisé, massif, systématique et systémique. Elles ont touché les archives et bibliothèques des ministères jugés stratégiques, des associations slaves en France, des personnalités ou organismes des milieux radicaux, socialistes et communistes, et plus encore francs-maçons. Mais c’est leur lien originaire avec l’antisémitisme nazi qui en fait la spécificité première.
Á partir de la mi-1942, accompagnant la mise en place de la solution finale, les saisies touchent des milliers de familles juives, traquées, cachées, emprisonnées, déportées, dont les bibliothèques sont emportées en Allemagne ou abandonnées dans des lieux de stockage, après un incessant travail de triage. S’emparer de ces milliers de bibliothèques familiales ne répond à aucune stratégie d’enrichissement des bibliothèques allemandes, mais avant tout à une volonté de détruire une culture, d’accompagner l’élimination physique des personnes du meurtre symbolique de leur esprit. Ces collections ont été souvent déplacées, pendant et après la guerre.
D’abord affectées, après de sévères tris dans les pays occupés puis en Allemagne, à la Hohe Schule, à l’Ostbücherei et à de nombreux organismes nazis, elles ont été ensuite entreposées ailleurs, déplacées vers l’Est du Grand Reich. Les pays annexés ont ensuite retrouvé certaines bibliothèques spoliées sur leur territoire, pendant que les vainqueurs soviétiques, s’estimant légitimes à faire leur les collections qu’ils découvrent sur le théâtre des opérations, leur font subir de nouvelles transhumances, les conduisant derrière le rideau de fer. Le retour de la démocratie à la fin des années 1980 ne s’accompagne pas toujours des restitutions attendues.

L’histoire des collections spoliées comporte encore de nombreux pans d’ombre. Seule une part des documents a pu être restituée après-guerre, parfois plus récemment, à leurs légitimes propriétaires ou attribuée à d’autres spoliés. Où sont les collections qui n’ont pas été restituées ? Si certaines localisations sont connues, la dispersion qu’on subi ces ensembles en rend la traçabilité d’autant plus difficile. Peut-on avancer encore sur la connaissance de leurs errances forcées ? Comment inviter les institutions, voire les personnes privées, concernées à revoir à cette aulne les collections qu’elles conservent ? Quels usages ont été faits de ces documents ? Ces collections ont-elles contribué, paradoxalement, au long des ces 70 ans, à une meilleure connaissance des univers culturels des personnes, voire des pays victimes de ces spoliations ? Ou sont-elles restées « choséifiées », possédées mais inaccessibles ? Quelle a été la politique des pays qui, retrouvant leur liberté, ont découvert ces documents qui avaient été spoliés ailleurs, à d’autres ? La construction européenne a-t-elle atténué cet usage politique d’un bien culturel ? Que nous apprennent-elles des horizons intellectuels de leurs légitimes propriétaires ?  Comment dresser un tableau de cette Europe du livre en partie perdue ? Pourra-t-on, un jour, reconstituer ces bibliothèques, physiquement ou virtuellement ?

Autant de pistes de travail qu’il est proposé d’explorer dans le cadre de ce colloque international, organisé par le Centre Gabriel Naudé de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP, UMR CNRS Paris 8) et l’université Paris Diderot (EA Identités, cultures, territoires), avec le soutien de la Bibliothèque nationale de France, se tiendra à Paris, les 23 et 24 mars 2017, à la Bibliothèque nationale de France et à l’Université Paris Diderot.

Les projets de communication (3000 signes/600 mots) en français ou anglais doivent être envoyés avant le 30 septembre 2016, au Comité scientifique, à l’adresse suivante : martine2.poulain@free.fr

Les communications seront présentées en français ou en anglais. Une traduction simultanée sera assurée.

Comité scientifique

  • Laurence Bertrand Dorléac, professeur d’histoire de l’art  à Sciences Po
  • Sophie Coeuré, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris Diderot
  • Jean-Marc Dreyfus, reader in Holocaust Studies, Université de Manchester
  • Anne Grynberg, professeur à l’INALCO, chercheuse à l’Institut d’histoire du temps présent
  • Jean-Claude Kuperminc, directeur de la Bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, Commission française des archives juives
  • Anne Pasquignon, adjointe au directeur des Collections, Bibliothèque nationale de France
  • Martine Poulain, chercheuse au Centre Gabriel Naudé (Enssib) et associée à l’Institut d’histoire du temps présent
  • Dominique Trimbur, Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

 

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