Appel à publication : « De la destruction / On Destruction », Espace art actuel, n° 122 (Montréal, 2019)

Comme tout objet fabriqué par la main de l’homme, les œuvres d’art sont amenées, tôt ou tard, à disparaître. La philosophe Hannah Arendt a beau mentionner dans son essai La crise de la culture que leur statut, en tant qu’objet par excellence, est bien différent de celui des objets usuels, il n’en demeure pas moins qu’ils sont aussi voués, pour diverses raisons, au dépérissement, sinon à l’anéantissement. Par chance, plusieurs de ces œuvres « écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine » perdurent dans le temps et nous rappellent un monde culturel désormais passé. D’autres, cependant, appartenant au patrimoine culturel mondial se retrouvent vandalisées pour diverses raisons idéologiques. La démolition planifiée et perpétrée depuis quelques années par le groupe État Islamique de sites archéologiques, de bibliothèques ou encore de lieux sacrés fait partie de ceux-là. À ces actes terroristes s’ajoute la destruction d’œuvres qui, depuis des siècles sont les victimes collatérales des conflits armés, mais aussi celles d’œuvres qui, de façon délibérée ou non, subissent les bourdes de l’inaction de certains dirigeants politiques. Et que dire des torts irréparables causés par les autorités municipales ou autres sur certaines œuvres d’art public, que ce soit au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde, alors qu’elles ont la responsabilité de les protéger ?

Intitulé De la destruction, ce dossier de L’Espace art actuel du numéro 122 aurait beau s’instruire de toutes ces violences faites à des œuvres passées ou récentes, son objectif premier est de réfléchir sur le thème de la destruction sous l’angle de la création contemporaine. Même si, dans un premier temps, l’idée de création semble en contradiction avec le geste de détruire et s’accorde plutôt au caractère sacré qu’on prête à certains objets, la destruction en art peut être parfois positive, comme l’a proposé l’historien de l’art Dario Gamboni 1. Avec l’avènement de la modernité, l’idée de faire table rase du passé ouvre sur de nouvelles perspectives. La pensée moderne (et pas seulement en art) tient ses fondements dans la notion de progrès, qui se détourne du passé et qui, de diverses manières le détruit pour faire de la place à ce qui vient. Il ne s’agit donc pas de réfléchir uniquement à la destruction de l’art causée par des forces externes, mais aussi et surtout de questionner la destruction en art d’un point de vue artistique. Hormis les destructions délibérées d’œuvres par des individus suite à une controverse ou à ce que certains considèrent comme de la provocation, la destruction en art a depuis longtemps constitué une méthode d’exploration, voire d’expression artistique. Depuis les avant-gardes du siècle dernier la passion de détruire rime avec l’idée de changer l’ordre des choses, de bouleverser les codes artistiques établis. À partir des années 1960 et 1970, la destruction en art s’est aussi fait l’écho du refus du modèle imposé par la société de consommation enjoignant, ainsi, certains artistes à imaginer des œuvres pouvant s’autodétruire. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Bien que cet art de la destruction puisse subsister encore au 21e siècle, ce dossier aimerait également explorer d’autres avenues. Au moment où la dégradation de l’environnement s’accélère et devient mondialement inquiétante, que des conflits armés se poursuivent à certains endroits de la planète, et que l’industrie de la consommation rime trop souvent avec celle de l’obsolescence, comment l’esthétique de la destruction peut-elle répondre à cette dévastation ? À la suite des réflexions de Friedrich Nietzsche sur la destruction comme pouvoir de créer, c’est étonnamment un économiste du nom de Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) qui va développer au sein de l’économie capitaliste l’idée de « destruction créatrice » comme processus continuellement à l’œuvre misant sur l’innovation et le changement à tout prix. Mais alors, dans quelle mesure l’art de la destruction d’un point de vue artistique s’en distingue-t-elle ? La destruction en art n’est-elle pas d’abord une « dé-struction », une façon de faire qui permet de libérer un potentiel permettant de faire advenir autre chose ? Si tel est le cas, l’art détruit l’art, et en le détruisant fait encore de l’art. Sinon, l’acte destructif implique l’idée d’achever l’œuvre entendue ici dans le sens de la compléter, de la terminer. Bref, comme processus artistique et selon les esthétiques de chacun l’idée de destruction en art est multivoque. Mais dans tous les cas l’art de la destruction devrait être non pas seulement une façon de dire non, mais plutôt une autre façon de réactiver le désir de créer.

Pour la section dossier, nous souhaitons des textes originaux portant sur des études de cas pouvant couvrir au minimum deux à trois pratiques. Si vous souhaitez contribuer à ce dossier, nous vous invitons, dans un premier temps, à contacter la direction de la revue par courriel alpare@espaceartactuel.com afin de présenter sommairement votre proposition.

Très rapidement, nous vous informerons si votre proposition est retenue. Votre texte version complète ne devrait pas dépasser les 2000 mots, notes incluses et il sera soumis au comité de rédaction. En plus du cachet de 65 $ par feuillet (250 mots), nous vous offrons un abonnement d’un an à la revue. Date de tombée pour le texte, version finale, est le 28 janvier 2019.

 

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Like all handcrafted objects, artworks will disappear sooner or later. Although philosopher Hannah Arendt in her essay The Crises in Culture states that the status of an art object is, above all, very different from that of an everyday object; nevertheless, it is destined to deteriorate if not disintegrate for various reasons. Fortunately, many artworks “kept apart from the processes of consumption and use, and isolated from the necessities of human life” have endured over time and remind us of our cultural past. However, others, belonging to our world cultural heritage, are being vandalized on diverse ideological grounds. Over the last few years, the Islamic State militant group has planned and perpetrated the demolition of archaeological sites, libraries and even sacred places. To these terrorist acts is added the destruction of works that for centuries have been the collateral damage of armed conflicts, but also works that have been subjected to the blunders of inaction and neglect, whether deliberate or not, on the part of certain political leaders. And what about the irreparable damage municipal authorities and others have done to public art works, when they are responsible for protecting them, in Quebec, Canada and elsewhere in the world?

Titled On Destruction, the collection of essays in issue number 122 could very well present all this violence done to past and recent artworks; however, our primary objective is to reflect on the subject of destruction from the viewpoint of contemporary art. Even though, initially, the idea of creating seems to contradict the gesture of destroying and is more in keeping with the sacred nature given to some objects, destruction in art can be positive at times, as art historian Dario Gamboni has proposed.1 With the advent of modernity, the idea of putting the past behind us opens up new perspectives. Modern thought (not only in art) has its foundations in notions of progress, which turns away from the past and in various ways, destroys it in order to make way for what comes next. This is not a matter of reflecting only on the destruction of art caused by outside forces but also and above all of questioning the destruction in art from an artistic point of view. Apart from people deliberately destroying works following a controversy or what some consider a provocation, destruction in art has been a method of exploration indeed even of artistic expression for a long time. Since the avant-garde of the last century, the passion for destroying goes hand in hand with the idea of changing the order of things, of disrupting established artistic codes. From the 1960s and 1970s on, destruction in art also has echoes in a refusal of consumer society’s imposed model thus calling on some artists to conceive of artworks that can auto-destruct. But where are we today?

Although this art of destruction lives on in the 21st century, in this collection of essays we would like to explore other angles. At a time when the accelerating deterioration of the environment has become troubling worldwide, armed conflicts continue in certain parts of the planet and the industry of consumption too often goes together with obsolescence, how the can the aesthetics of destruction respond to this devastation? Following Friedrich Nietzsche’s reflections on destruction as a creative power, surprisingly, it is an economist named Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) who would develop the idea of “creative destruction” within the capitalist economy as a process constantly at work, banking on innovation and change at all costs. But then, how do we distinguish the art of destruction from the point of view of art? Is destruction in art not initially a “de-structuring,” a way of making or creating that enables one to have the potential to make something happen? If this is the case, art destroys art, but in destroying the art one creates more art. If not, the destructive act implies the idea of finishing the work, understood here in the sense of completing or terminating it. In brief, as an artistic process and according to each one’s aesthetics, the idea of destruction in art is open to multiple interpretations. But in any case, the art of destruction should not only be a way of saying no but rather another way of activating the desire to create.

For this collection of essays, we would like to have original texts on this subject that cover a minimum of two or three art practices. If you would like to submit a text, we first invite you to email the editor of the magazine André-Louis Paré at alpare@espaceartactuel.com to present a summary of your project.

We will inform you promptly if your proposal is accepted. Your completed text should not exceed 2000 words, footnotes included. As well as an honorarium of $65 per page (250 words), we will send you a free one-year subscription to the magazine. Deadline: Reception date of the final version of the text is January 28, 2019.

1. Dario Gamboni, The Destruction of Art. Iconoclasm and Vandalism since the French Revolution, London, Reaktion Books, 2007.

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