Appel à publication : « L’Art et les arts », Nouvelle Revue d’Esthétique, n°16 (décembre 2015)

Jean-Siméon Chardin, Les attributs des arts, 1766. Huile sur toile, 108 x 145 cm. MinneapolisFaut-il embrasser les arts d’un seul coup d’œil, au risque de la réduction, ou faut-il les faire dialoguer sans cesse ? Les arts sont-ils un ou multiples ? L’art se conjugue-t-il au singulier et/ou au pluriel et l’esthétique, elle-même, est-elle une discipline fragmentée ou indivisible ? A quelles incidences (philosophiques, esthétiques, artistiques, historiques) est-on confronté selon que l’on privilégie une approche de l’Art, au singulier, ou une appréhension de la pluralité des arts ?

Pour le présent volume, nous nous proposons tout d’abord de prendre une distance critique par rapport aux différentes strates historiques qui ont contribué à forger une figure idéale de l’Art réputée à la fois une et universelle. Dans quelle mesure l’unicité de cette figure idéale ne s’est-elle pas constituée sur des impensés ou sur des exclusions, à l’image de cette « assemblée de chefs-d’œuvre semblable à un Salon Carré[1] » où Rembrandt lui-même, comme le soulignait Malraux, « restait en marge » (Malraux, 1965) ? Si le culte occidental de l’universalité de l’Art s’est bien construit sur des dénis tant diachroniques que synchroniques, reléguant dans le hors champ de la mémoire des périodes de l’histoire et de la préhistoire de l’art, ou des aires culturelles non occidentales, doit-on, aujourd’hui, conjuguer à nouveau pluralité et universalité de l’art ? Un panesthétisme (Daniel Albright, 2014) est-il possible, et qui le souhaite? Comment jeter les bases d’une discipline des “Arts comparés” au même titre que la Littérature comparée, qui a connu un engouement à la fois sur le plan méthodologique, mais aussi dans ses ambitions pluralistes et universelles depuis l’Europe des Lumières au sein des sciences humaines ?

S’il s’agit d’éviter de perdre de vue la multiplicité singulière des arts au nom du principe abstrait de l’unicité de l’Art, peut-on, pour autant, faire complètement l’économie d’une philosophie de l’art ? A quoi pourrait nous exposer la disparition d’une ontologie de l’art, fût-elle toujours appréhendée sous la forme d’une question mouvante plutôt que d’une norme ? En l’absence de la postulation commune d’une figure générique de l’Art, n’y-a-t-il pas un risque d’autarcie de chaque art, isolé dans sa spécificité ou dans les limites réductrices de sa propre histoire ? Quels sont les enjeux d’une stricte séparation des arts—d’une taxonomie à l’autre : d’un côté, de Gotthold Ephraïm Lessing, distinguant strictement arts du temps et arts de l’espace avec son célèbre  Laocoön ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture (1766-1768), à Clement Greenberg qui défend farouchement l’idée de pureté artistique dans le contexte de la modernité esthétique ; de l’autre, de  Horace et son Ut pictura poiesis (donnant ses fondements théoriques à l’ekphrasis occidentale) à Dick Higgins qui le premier a explicitement défendu l’intermédialité non seulement comme pratique d’échanges inter-arts mais aussi comme mélange des médias? Penser cette esthétique inter-médiale —promue par Dick Higgins comme un outil de transformation et de rénovation sociale et artistique au début des années Soixante, mais aujourd’hui également très présente dans le champ des pratiques contemporaines —reste cependant un défi.

En effet, la prééminence d’un art par rapport à d’autres a pesé, parfois fortement, tant dans les relations inter-arts que dans leurs modalités comparatives (et donc au sein de différentes taxonomies esthétiques). Paul Valéry a vu dans la danse — et le geste — la clé même de cette démarche transversale d’un art à l’autre, donnant ainsi au mouvement une primauté absolue dans la comparaison. Les arts visuels ont également eu une prétention à la prépondérance ; tandis que la musique s’est parfois faite picturale, en faisant sienne des prérogatives plus exclusivement visuelles, comme la représentation d’un référent reconnaissable (Moussorgsky et ses ‘Tableaux d’une exposition’, Messiaen et ses ‘Chants des oiseaux’, Debussy et ses ‘Images pour le piano’), ou le déroulement narratif d’un récit (la musique à programme comme la ‘Symphonie Fantastique’ de Berlioz). De la même façon, l’abstraction picturale a souvent été pensée en des termes profondément musicaux, comme si seule la musique pouvait prendre le pas sur les autres médias et les faire tenir tous ensemble, comme accordés à un même diapason. Si l’on a souvent conçu l’intermédialité chez Wagner comme une façon pour lui de faire prédominer la musique dans son œuvre, alignant texte, décor et mise en scène sur ses seuls impératifs, on a laissé dans l’ombre son ouvrage L’œuvre d’art de l’avenir (1849) dans lequel il critique le risque d’asservissement d’un art à un autre —ainsi inféodés au modèle de l’emprunt — pour lui opposer une ouverture fondée sur la dynamique du don, promouvant un agir en commun, et permettant ainsi à chaque art d’excéder sa limite propre. La visée finale, pour Wagner, est bien qu’ «il  ne [subsiste] plus  que l’art seul, l’art commun, universel, illimité. »[2]. Quelles que soient les formes de prééminence, d’emprunt ou de don entre les arts reste en définitive l’exigence d’une démarche partagée. Quels seraient les éléments communs susceptibles de faire tenir les arts dans un même ensemble : serait-ce le souci ou le refus de la mimésis, l’attrait ou la condamnation du pathos, l’engagement politique ou l’attachement à la forme —qui peuvent être abstraits d’un médium spécifique pour migrer vers un autre, parce qu’ils sont par définition transversaux, et tout ensemble spatiaux et temporels?

La transversalité ainsi pensée nous paraît dépasser ces logiques de prééminence, ainsi que des démarches plus ou moins hégémoniques, prétendant délimiter le territoire de chaque art. Mais qu’impliquerait d’aller réellement au-delà de la constitution des codes, des règles et des canons qui indiquent à chacun des arts leur juste domaine, et leur propre spécificité expressive ? Que faire de l’impératif catégorique de ne pas envahir, ni violer le territoire de leurs voisins, ou frères consanguins ? On se rappellera que les Muses sont bien distinctes, mais sœurs, selon l’Antiquité. Cette métaphore martiale —de la défense d’un territoire — et juridique —déclarant le droit de propriété inaliénable — est importante pour Lessing. Le classicisme et le néo-classicisme s’appuieront donc sur cette commune nécessité de division des tâches, avec la délimitation de territoires propres et inviolables pour les différentes formes d’expression esthétique. L’intermédialité supposerait en revanche un décentrement des enjeux esthétiques par rapport à ces conflits de territoire entre arts. Dans le paysage artistique, a fortiori contemporain, l’identité des arts se trouverait moins définie par leurs séparations garanties par des frontières réputées hermétiques que par leur façon singulière d’éprouver leur « artialité » par la traversée de ces frontières. A la lumière de l’intermédialité, l’art serait-il davantage perceptible dans ce jeu entre les arts que dans la somme de leur pluralité ? Plutôt que dans l’illusion d’une figure homogène, l’art pourrait-il être pensé davantage comme ce mouvement de passage à la limite où chacun des arts met en jeu son identité ? En regard et en opposition à cette dichotomie un/multiple, la relation Art et arts ressortirait-elle in fine à la question de l’entre-deux ?

Les propositions ou notes d’intention doivent comporter un titre et un résumé du propos (5000 signes espaces compris). Elles doivent être envoyées à Cécile Guédon (guedoncecile@gmail.com) et Isabelle Rieusset-Lemarié (irieusset@orange.fr) ainsi qu’au comité de rédaction (alexandre.gefen@gmail.com et Carole.TALON-HUGON@unice.fr) avant le 31 mars 2015.

Après appréciation des propositions par le comité de rédaction, un courrier sera envoyé aux auteurs. Ceux dont les propositions seront retenues devront suivre les consignes qui leur seront données par les organisateurs du numéro. Les textes définitifs devront être reçus avant le 1er juin 2015.

Responsables du numéro : Cécile Guédon et Isabelle Rieusset-Lemarié

 

[1]  Cf. André Malraux, Le Musée imaginaire, Folio/essais, 1965, p.90.

[2] Cf. Richard Wagner, « L’œuvre d’art de l’avenir » (1850), in Œuvres en prose, tome III, Editions d’aujourd’hui,
1976, p. 101.

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