Les collaborations entre architectes et plasticiens reposent sur des interactions et des solidarités mais aussi sur des confrontations et des rapports de force. Elles consistent théoriquement à mettre en retrait les pratiques personnelles, à inscrire les oeuvres dans une dynamique de création collective (voire dans l’anonymat) ou à privilégier l’oeuvre au détriment d’une démarche individuelle. Par ailleurs, au-delà de l’association, le travail collaboratif aspire souvent à mettre la créativité au service de la société, ou tout au moins à s’adresser à elle. Au XXe siècle, avant même les reconstructions de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale, la question des limites entre les pratiques artistiques avait atteint un degré expérimental particulièrement fécond. D’une violente remise en cause du cloisonnement académique des arts par les avant-gardes avait résulté une libération de tout préjugé dans l’appréhension des formes, des genres comme des matériaux. La dynamique de rapprochement, de dialogue et d’intégration des arts à l’architecture, voire de synthèse des arts qui s’en suit, suscite de nouveaux points de vue sur l’art et sur l’architecture, celle-ci étant alors considérée comme le paradigme d’un processus de production et d’une économie de projet. La collaboration entre les arts s’accompagne dès l’Entre-deux-guerres d’un objectif social: viser la réalisation de l’unité de la société. Pour parvenir à construire ce modèle déhiérarchisé, décloisonné, pour l’étendre le plus largement possible afin de rétablir le « contact rompu entre l’art et la société » (Ozenfant), s’impose alors l’idée d’un collectif de créateurs, l’idée d’une communauté dans laquelle les pratiques artistiques sont au coeur du système social. L’art et l’architecture participent à cette refondation dans laquelle la question idéologique demeure un enjeu majeur. La création et la réalisation d’oeuvres en commun, qui plus est quand ces dernières s’adressent à l’ensemble de la population, deviennent ainsi des actes pédagogiques, politiques et sociaux.
Ce dossier propose d’interroger le sens et la valeur des collaborations entre architectes et plasticiens, quelles que soient les pratiques artistiques de ces derniers et le champ qu’ils investissent dans la création d’oeuvres collectives au cours des XXe et XXIe siècles. Cette période voit en effet la notion d’oeuvre collective plusieurs fois réactivée, au travers d’initiatives individuelles, lors de grandes manifestations et expositions collectives, et enfin par le biais d’associations se fixant pour objectif de rendre effectives les collaborations entre architectes et plasticiens. En France, cette dynamique trouvera bientôt un soutien institutionnel de poids grâce au 1% artistique qui, dès 1951, induira de nouvelles pratiques collaboratives. La période choisie permet ainsi d’étudier la permanence de certaines perspectives et expériences, que la Première puis la Seconde Guerre mondiale n’ont, semble-t-il, fait qu’interrompre. Elle tend aussi à montrer que, de période de crise en période de prospérité, les architectes et les artistes, mais aussi les pouvoirs publics et certains acteurs privés, n’ont eu de cesse de redéfinir les cadres et les modalités de ces collaborations.
Etudier les collaborations entre architectes et plasticiens permet plus largement de questionner les synergies et les conflits culturels à l’oeuvre dans les processus de création. A partir d’études de cas, portant sur des projets réalisés ou ajournés, mais aussi à partir de réflexions plus théoriques, ce numéro propose d’aborder les ambiguïtés de ces collaborations, la singularité et la complexité de ces productions mais aussi la dimension patrimoniale des oeuvres, des espaces ou des architectures, fruits d’une genèse collective.
La réflexion pourra s’articuler autour des problématiques suivantes :
Intentions et réflexions théoriques : synergies, porosités et transgressions disciplinaires
Les pratiques collaboratives entre architectes et plasticiens sont sous-tendues par des intentions et réflexions théoriques fortes, parfois divergentes, ayant contribué à faire bouger les frontières disciplinaires. En ce sens, n’ont-elles pas poussé à comprendre l’identité de l’architecture comme art, soumis à un questionnement esthétique et historique ? Parallèlement n’ont-elles pas favorisé l’obsolescence des catégories artistiques ? Ces associations ont-elles permis de confronter l’architecture aux problèmes soulevés par l’évolution des pratiques artistiques au XXe siècle, lesquelles travaillent les seuils et procèdent par transferts et passages ? Si ces collaborations proposent une pratique du « collectif » qui n’est certes pas nouvelle, l’architecture a-t-elle constitué un continuum spatial dont la complexité a stimulé les plasticiens ? Comment cette diversité a-t-elle rendu la collaboration « fructueuse » et nécessaire ? Quels perspectives et intérêts mutuels architectes et plasticiens en ont-ils retenus ?
OEuvrer ensemble : le collectif à l’épreuve des processus de réalisation
Si les pratiques collaboratives ont fédéré architectes et plasticiens autour de projets communs, ces derniers ont connu des fortunes diverses qui invitent à interroger les modalités mêmes de ces collaborations. Comment architectes et artistes ont-ils travaillé ensemble, au sein de quelles structures et de quelle manière ? Quelles ont été leurs relations tout au long des processus de création, alors même que ces derniers reposaient sur l’activation d’une collaboration entre des individus créateurs ? La question, et éventuellement les tensions, inhérentes à la place, aux attributions et aux apports de chacun ont parfois eu raison des intentions initiales. Au-delà des expériences individuelles, le statut même des architectes et des plasticiens s’en est-il trouvé bousculé ?
Traces et significations des oeuvres collectives dans l’espace d’hier et d’aujourd’hui
L’étude des projets et des oeuvres conçus par les architectes et les artistes renvoie à la place de l’art dans la cité, sa réception mais aussi son cadre social. L’oeuvre in situ peut-elle agir sur le réel, sur l’environnement, comment s’adapte-t-elle au cadre architectural et aux contraintes du lieu ? Dans les oeuvres collectives, l’art et l’architecture sont amenés à dialoguer dans l’espace, mais comment y existent-ils, dans leur interrelation comme dans leur indépendance ? Quelle est la nature du dialogue qu’ils nourrissent ? Dès l’achèvement des oeuvres s’est aussi posée la question de leur « visibilité », de leur perception et de leur réception. Cette question est encore plus prégnante à l’heure actuelle puisque l’environnement pour lequel elles ont été conçues a généralement connu de profondes mutations. Par conséquent, si les oeuvres collectives incarnent une rencontre possible entre art et architecture, constituent-elles pour autant un patrimoine singulier ? Induisent-elles des problématiques particulières, notamment tant en termes de conservation et de protection ?
Thèmes pouvant être abordés :
- Genèse des oeuvres ; intentions qui président à leur réalisation ; réflexions et débats théoriques sur les formes et le statut de ces oeuvres, sur les aspirations plastiques et idéologiques et sur leur possible destination sociale ; le commanditaire face l’oeuvre collective.
- Processus et modalités de réalisation, réévaluation des oeuvres et abandon des projets ; relations entre architectes et plasticiens tout au long du processus de création ; rôle et fonction de chaque individualité dans le collectif ; apports mutuels tirés de ces collaborations ; formalisation et mode de fonctionnement des collectifs de créateurs, cadres institutionnels dans lesquels ils inscrivent leur action.
- Nature et statut particuliers des oeuvres conçues en collaboration ; rapport à l’espace et à la ville dans le cas des oeuvres in situ ; perception et réception des oeuvres ; études et processus de patrimonialisation dont ces oeuvres font l’objet ; problématiques inhérentes à leur conservation et leur protection.
Propositions de contributions
Les articles attendus doivent contenir une part inédite de recherche, d’hypothèse ou de mise à jour ; ils ne peuvent reprendre la totalité d’un article déjà paru. Une attention particulière sera portée aux contributions dans lesquelles la dimension patrimoniale matérielle ou non sera abordée, que cette question soit au centre du propos ou qu’elle participe d’une réflexion plus large.
Si vous souhaitez contribuer à ce numéro, nous vous remercions d’envoyer votre proposition accompagnée d’un résumé de 1500 signes au maximum, ainsi que d’un court CV avant le 30 septembre 2015.
Par voie postale :
Ministère de la Culture et de la Communication, Direction générale des patrimoines
DPRPS, In Situ, revue des patrimoines
6, rue des Pyramides
75001 Paris
à l’attention de Françoise Cosler
ou par courriel à : eleonore.marantz-jaen@univ-paris1.fr, delphine.chauvel@univ-lille3.fr et francoise.cosler@culture.gouv.fr
Les articles devront être livrés avant le 15 janvier 2016.
Pour toutes les recommandations faites aux auteurs concernant le nombre de pages ou d’images, les droits de l’iconographie, l’insertion de notes et de liens, etc., voir le site de la revue : http://insitu.revues.org/401
Coordination du numéro
- Delphine Bière (MCF en histoire de l’art contemporain, université Lille III)
- Eléonore Marantz (MCF en histoire de l’architecture contemporaine, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
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