Conférence : « Les choses au musée. Objets de mémoire, objets d’histoire, objets d’une construction, objets d’oubli ? » par David Guillet (Paris, 6 avril 2016)

Feuilleteur numérique. "Dürer et son temps"Qu’il s’agisse de collections permanentes ou d’expositions temporaires, le conservateur ou le commissaire – c’est selon – s’assigne pour objectif, par un accrochage ou un parcours, de « mettre en valeur », suivant la terminologie consacrée, les œuvres ou les objets muséaux qui lui sont confiés. Tous les moyens sont déployés à cette fin : éclairage, soclage, choix des couleurs mais aussi et surtout voisinage d’autres œuvres qui resituent chaque pièce dans un contexte historique, esthétique, thématique et visent à en délivrer le sens. Ces dispositifs, que viennent désormais compléter des outils audiovisuels ou électroniques, englobent et dépassent l’œuvre ou l’objet isolés, aident à l’appréhender et à le comprendre mais leur conception relève d’un choix conscient et leur mise en œuvre vient accuser un parti pris donc oblitérer tous les autres possibles de la chose exposée.

Certaines expériences récentes, nées de la prise de conscience du caractère nécessairement réducteur de ces pratiques, ont proposé des alternatives plus ou moins radicales, parfois provocatrices. Même si beaucoup s’apparentent à des impasses, la plupart offrent une occasion de penser ou de repenser la question de la polysémie des objets et des moyens de la préserver dans un musée ou, au moins, de la suggérer. Comment faire, en d’autres termes pour que les choses nous soient livrées, au musée, pour tout ce qu’elles sont, dans leur richesse, dans leur caractère énigmatique, dans leur épaisseur irréductible à toutes les rhétoriques ? Le faut-il et, même, le peut-on autrement que par le dépouillement et le silence ?

Pour aborder cette question, sinon pour y répondre, deux détours s’avèrent fructueux : le premier afin de s’interroger sur ce qu’est la perception de la chose ou, pour citer E. Husserl, sa constitution. Celle-ci en effet, à la différence du vécu, ne se donne pas immédiatement et comme telle ; elle apparaît de façon toujours renouvelée, c’est la conscience qui lui confère son sens et la constitue par esquisses successives. N’y a-t-il pas là un modèle dont s’inspirer pour appréhender les objets de musée, pour construire ou reconstituer l’expérience qu’ils nous offrent et pour la faire partager aux visiteurs sans la leur imposer ?

Le second, afin de confronter la chose à l’histoire, à son histoire d’abord, à l’histoire en général aussi. Dans deux œuvres tardives, Eduard Fuchs, collectionneur et historien, puis Sur le concept d’histoire, W. Benjamin dénonce les ravages de l’historisme et de toute vision téléologique. Il s’y pose en historien matérialiste ; oppose à la recherche de la continuité de l’histoire les méthodes de la connaissance dialectique ; exige du chercheur qu’il renonce à la contemplation de l’objet et saisisse en lui non pas l’image éternelle du passé mais une expérience unique nourrie par la conscience du présent, le saut du tigre dans le passé.

 

David Guillet est Conservateur général du patrimoine, Directeur adjoint au musée de l’Armée, chargé de l’ensemble du domaine scientifique et culturel. Il a été commissaire de nombreuses expositions et il a dirigé de nombreux catalogues. Récemment : le catalogue de l’exposition Dürer et son temps. De la Réforme à la guerre de Trente Ans. Dessins allemands de l’École des Beaux-Arts, présentée à l’Ensba, Paris et au Criocker Museum of Art, Sacramento 2012-2015. Il est l’auteur du texte : « Le Paradis terrestre est où je suis » dans le catalogue de l’exposition Un beau palais fait pour moi. Dessins pour l’Architecture française de Jean Mariette, Ensba, Paris, octobre 2015-janvier 2016.

Conférence dispensée dans le cadre du  séminaire Arts & sociétés.
6 avril 2016,  17h-19h
Centre d’histoire de Sciences Po

Salle du Traité
56 rue Jacob
75006 Paris

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