Quatrième séance du séminaire d’Athamas – Art et Antipsychiatrie : « Le genre au miroir de l’antipsychiatrie »
Jeudi 16 mai de 18h à 20h à la Galerie Colbert – 2, rue Vivienne – Paris 2e – Salle Vasari (1er étage).
• Présentation :
An 1967, à l’invitation de Joseph Berke, psychothérapeute à Kingsley Hall, Carolee Schneemann participe à Londres à l’International Congress Dialectics of Liberation qui a pour objectif de « démythifier la violence humaine sous toutes ses formes, le système social d’où elle émane, et d’explorer de nouvelles formes d’action ». Elle y réalise la performance « Round House » mais ne trouve pas d’échos à ses revendications féministes. De nombreux artistes questionnant ou politisant le genre se sont intéressés aux écrits et expérimentations des antipsychiatres dès les années soixante. En effet Pour les féministes Betty Friedan, Kate Millett ou encore Germaine Greer, les psychiatres constituent « des ennemis, des agents du patriarcat qui enferment les femmes dans une psychologie qu’ils leur attribuent, les droguent à l’aide de pilules et de thérapies et les confinent à une vie réduite aux conventions ». Dans son ouvrage « Mad, Bad and Sad, a History of Women and the Mind Doctors from 1800 » to the Present Lisa Appignanesi rappelle que « la définition qu’une période particulière a d’une féminité ou masculinité appropriée est liée à l’idée de folie. Ne pas se conformer à une norme fait courir le risque d’être identifié comme fou et d’être traité en conséquence ».
Cependant, il faut attendre les années soixante-dix pour que les violences particulières liées à l’identité sexuelle soient pleinement prises en compte. Ainsi l’ouvrage du Réseau Alternative à la Psychiatrie publie en 1977 un texte de Marine Zecca qui affirme : « Dans tous les pays participant au Réseau international, l’impérialisme culturel et économique aboutit à des alternatives qui ne sont pas des alternatives à la psychiatrie mais des psychiatries alternatives. Ces dernières gratifient le besoin artificiel imposé d’une “salvation personnelle”, qui en fait s’oppose à la libération personnelle indissolublement liée à la libération collective de toutes les catégories d’opprimés – ouvriers, femmes, enfants, “marginaux sexuels” – tout dissident dans le corps qui proteste».
Ces réflexions trouvent des échos dans la création contemporaine.
• Interventions :
« Carolee Schneeman dans la verve d’Artaud » par Emilie Bouvard (docteur en histoire de l’art contemporain et conservatrice du patrimoine)
Carolee Schneemann découvre l’anti-psychiatrie par la poésie. Nulle expérience personnelle de trauma psychique, d’internement violent en ce qui la concerne. C’est son goût précoce pour l’écrit sous toutes ses formes, essais, poésie, que l’on peut qualifier typique de la « Beat Generation » qui la précède de peu, qui la mène vers la pensée radicale. Elle fréquente ainsi à New York à l’orée des années 1960 le Living Theater, où elle expérimente des pratiques vocales, théâtrales et poétiques nouvelles. Elle rencontre Jean-Jacques Lebel. La pensée d’Artaud, de son « théâtre de la cruauté » y sont fondateurs et Schneemann nourrira des années durant sa propre pratique de la verve d’Antonin Artaud. Son amitié avec le poète et psychiatre Joe Berke, son séjour de plusieurs années à Londres à la fin des années 1960 la placent enfin aux première loges du mouvement anti-psychiatrique dont les effets sur son travail sont à ce jour trop peu connus.
« Emprises » par Agnès Geoffray (artiste contemporaine)
Avec un rapport très personnel à la question de la perception et de la folie, le travail de l’artiste est traversé par l’idée d’emprise qu’elle soit physique ou psychologique, et de résistance ou de soumission à cette emprise. Qu’il s‘agisse de la confrontation des injonctions qui condamnaient les individus considérés comme « infâmes » (sorcières, prostituées, lépreux…) aux chants de résistance des femmes afghanes et pashtounes dans « Clamor », à l’étude du corps pathologique comme corps résistant dans « Battling with the wind », à la question de l’engagement via l’héritage de Claude Cahun dans « Le Soldat sans nom », ses pratiques interrogent notre capacité à voir la violence, à nommer nos peurs, à identifier les processus d’intégration ou d’exclusion qui hantent notre rapport à l’autre.
Agnès Geoffray est une artiste française qui a été en résidence à la Rijksakademie van Beeldende Kunsten à Amsterdam (2002-2003) et pensionnaire à la Villa Médicis à Rome (2010-2011). Elle a exposé dernièrement au Jeu de Paume, aux Rencontres photographiques d’Arles, au Centre Pompidou Metz, à la Maison rouge. Sa dernière exposition personnelle Battling with the wind a été présentée à la Galerie Maubert, avec un second volet Verticales du désordre, au Centre d’art Les Brasseurs, à Liège. Une prochaine exposition personnelle est prévue au Frac Auvergne en janvier 2020. Elle est actuellement en résidence « Accélérations » au Centre Pompidou Paris en partenariat avec Neuflize OBC.
« Langage et partage » par Agnès Thurnauer (artiste contemporaine)
Pour cette intervention, Agnès Geoffray traitera de la place du langage dans son travail plastique. Celui-ci a en effet toujours occupé une place cruciale dans sa vie, depuis l’expérience de l’autisme de son frère suivi au sein de l’équipe de Maud Mannoni à Bonneuil-sur-Marne, à la fréquentation de la Petite Bibliothèque Ronde fondée par son père, puis aux archives de son grand oncle Jacques, pensionnaire de La Borde pendant des décennies. Partant de la lecture de deux textes de la philosophe Michèle Cohen-Halimi: le premier sur la place du féminin dans le travail du nom- et de cet autre dont je ne suis pas l’autre-, le second sur le rapport entre lisible et visible au travers du « Zarathoustra » de Nietzsche qui est selon la philosophe, son « livre-matrice », l’artiste explorera comment la peinture est une langue, comment elle se prononce, s’articule, se chante, produisant des sonorités toujours inédites, si tant est qu’on se livre à son espace du scriptible : le romanesque sans le roman, la poésie sans le poème, dit Barthes, et, peut être, le langage sans la langue, dans une expérience première, primitive, fondatrice du rapport à l’autre.
Le travail d’Agnès Thurnauer a été découvert par le public lors d’une exposition au Palais de Tokyo en 2003. En 2005, elle participe à la Biennale de Lyon et est en 2009 la figure de proue de l’exposition Elles@centrepompidou avec ses Portraits Grandeur Nature qui seront accrochés à l’entrée des collections permanentes du Centre Pompidou pendant deux ans. En 2017 elle est invitée à la Biennale de sculpture de Cambridge avec Phyllida Barlow et Mona Hatoum. Sous l’égide de commissaires comme Catherine Grenier, Ann Hindry, Camille Morineau ou Elena Sorokina, son travail a été montré dans de nombreux musées en France et à l’étranger : musée des beaux-arts de Nantes, d’Angers, de Colmar, Smak de Gand, Seattle Art Museum, CCBB Rio, Kunsthalle de Bratislava entre autres.
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