Appel à communication : « La faute de goût dans l’esthétique renaissante et classique : « vices de style », « mauvaise grâce » et « sentiment du laid » » (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, 5-7 juin 2014.

Contre la philosophie esthétique kantienne, la sociologie contemporaine a pu affirmer, avec Pierre Bourdieu, que juger en matière de goût, c’était d’abord exclure et condamner. De fait, les textes critiques du XVIIe siècle proposent non seulement les règles à suivre mais aussi une description de ce qu’il faut fuir : le « faux brillant », le rude, le froid, le décousu, l’impur, le puéril, l’enflé, le hasardé, l’inégal, le barbare… C’est à cette approche de l’esthétique classique par sa « part maudite » que veut convier ce colloque. En quoi une démarche apophatique peut-elle permettre un nouvel éclairage de cette esthétique, depuis sa préhistoire à la Renaissance jusqu’à son triomphe et sa remise en question à l’âge des Lumières ? En quoi pareille démarche peut-elle même révéler l’impensé de l’esthétique classique et mettre au jour l’imaginaire sur lequel se construit le jugement esthétique ?

1. Dire la faute de goût : le vocabulaire critique

La terminologie apparaît indissociable des cadres de l’expérience esthétique, et Michael Baxandall, dans Giotto and the Orators, a montré comment les discussions de lexicographie latine des humanistes de la Renaissance italienne constituaient une réflexion sur la pensée de l’art. Il s’agirait alors de proposer une étude de la terminologie critique dans les jugements négatifs, à travers les dictionnaires de l’époque (une simple recherche « plein texte » dans une version électronique du dictionnaire de Furetière des occurrences du mot style livre la liste des épithètes associées à ce mot), à partir des œuvres d’auteur particulier (Hugh M. Davidson et Hélène Baby ont pu étudier le lexique critique de l’abbé d’Aubignac, Jean Jehasse et Bernard Beugnot celui de Guez de Balzac par exemple) ou en ébauchant une synthèse, comme avait pu déjà chercher à le faire, en 1957, l’article pionner de Noémi Hepp, « Esquisse du vocabulaire de la critique littéraire de la querelle du Cid à la querelle d’Homère ».

Le lexique français devra être comparé aux lexiques des langues « rivales » que sont l’italien et l’espagnol, mais aussi et surtout aux lexiques grec et latin en usage dans la critique rhétorique et littéraire de la France d’Ancien Régime. Un point de départ pour ce travail pourra être les index de L’âge de l’éloquence de Marc Fumaroli et du Handbuch der literarischen Rhetorik de Heinrich Lausberg (ouvrage qui comporte un index français), qui montrent tout ce que le lexique du jugement esthétique négatif doit à la tradition poétique, rhétorique et morale : description par la rhétorique des « vices de style » (vitia elocutionis) dans l’elocutio, constructions défectueuses ou « monstrueuses » dans la dispositio, attitudes malséantes, outrecuidantes ou viles dans les mores. On cherchera à voir ce que devient la tradition antique dans les traités modernes de rhétorique et de poétique. Tout le lexique est-il réductible à cette tradition ancienne ? À quel enrichissement terminologique procède la période moderne et cet enrichissement est-il caractéristique du XVIIIe siècle, comme l’affirmait F. Brunot dans son Histoire de la langue française ?

2. Penser la faute de goût : l’imaginaire de l’âge classique

Comment la faute de goût est-elle pensée ? Existe-t-il une théorie classique, au moins implicite, de ce qui a « mauvaise grâce » (Bouhours) ? Les mécanismes de cette pensée restent à décrire. La faute de goût est-elle nécessairement l’envers de ce qui est bon, de ce qui convient ? Si certains textes semblent privilégier une approche binaire, à la manière des traités de rhétorique caractérisant les styles « ratés » (grand/froid, simple/aride…), d’autres en revanche cultivent une approche ternaire par le « milieu » aristotélicien, qui permet de penser la faute de goût comme un manque ou un excès.

Par ailleurs, dans l’imaginaire classique, une grande importance est donnée à des figures récurrentes qui fonctionnent comme autant de contre-modèles. Voulant donner une idée de la bonne actio, la Rhétorique à Herennius demandait qu’on refuse l’afféterie et le laisser-aller qui feraient passer l’orateur pour un histrion ou un ouvrier (III, 26). Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, l’enfant, la femme, l’homme efféminé, le sauvage, le pédant, le soldat grossier, le sophiste, le gascon, etc. sont quelques-uns des nombreux « personnages théoriques » qui reviennent dans les textes pour désigner les marges du classicisme (Peter France, Politeness and its Discontents : Problems in French Classical Culture) et articuler la théorie esthétique à un imaginaire des âges de la vie, des identités sexuelles, des états et des nations. Il serait aussi possible d’interroger les liens qu’entretiennent ces repoussoirs avec la pensée naissante du style dans son sens moderne, non comme genus dicendi mais comme « style d’auteur », et d’étudier si des vices de style peuvent devenir des traits d’auteur.

Enfin, le vocabulaire du jugement esthétique négatif recourt amplement à la métaphore, et en particulier aux métaphores des sensations. Malgré la « hiérarchie des sens » (Lucien Febvre) sont mobilisés, pour penser la faute de goût, le goût évidemment, mais aussi le toucher (« dur », « froid »), la vue (style « bariolé », « incolore »), l’ouïe même (« bruyant »). La pensée esthétique est donc indissociable d’une réflexion sur la « logique des qualités sensibles » (Cl. Lévi-Strauss). Elle invite aussi à s’interroger sur le caractère transversal de certaines notions, appliquées aussi bien dans différentes pratiques de vie (cuisine, habillement, jeu, etc.) que dans la création littéraire.

3. Utiliser la faute de goût comme principe poétique

Certains genres consistent à rechercher sciemment ce qui est condamné comme déplaisant, odieux ou ridicule. Cette esthétique de la malséance et de la laideur est fondamentale dans le « satyrique », dans le burlesque et, plus généralement, dans le comique, où même galimatias et équivoque deviennent des agréments. Au-delà du seul rire, les jeux avec la faute de goût apparaissent parfois comme le ressort inattendu de certaines créations de l’âge classique. Malherbe selon la légende et Alceste dans la pièce de Molière vantent la poésie populaire et archaïque. Racine, pour faire parler l’enfant Joad et le prophète Joas, met respectivement le puéril et le propos « sans suite » au service du sublime. Perrault attribue ses contes à la plume de son jeune fils. L’œuvre de « Maître Adam, menuisier de Nevers » témoigne d’un goût pour l’art naïf, bien avant le Douanier Rousseau. Se donne peut-être déjà à voir, bien avant la fin du XIXe siècle, un goût pour le primitivisme. La faute de goût a autant partie liée avec le bas comique qu’avec le sublime des origines.

Modalités

Les propositions de communication sont à envoyer simultanément aux deux organisateurs avant le 15 janvier 2014 : carine.barbafieri@gmail.com et jean-yves.vialleton@wanadoo.fr

Organisation : Carine Barbafieri (Université de Valenciennes-Institut Universitaire de France)  et Jean-Yves Vialleton (Université Stendhal-Grenoble 3)

Comité scientifique : Emmanuel Bury (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines), Delphine Denis (Université Paris-Sorbonne), Françoise Douay-Soublin (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Georges Forestier (Université Paris-Sorbonne), Perrine Galand (Ecole Pratique des Hautes Etudes), Alain Génetiot (Université de Lorraine), Francis Goyet (Université Stendhal-Grenoble 3), Jacqueline Lichtenstein (Université Paris-Sorbonne).

 

Leave a Reply