Appel à communication : « Le collectionnisme dada et surréaliste des ‘arts extra-européens’. Héritage et nouvelles perspectives » (Musée de Grenoble, Université Grenoble Alpes, Université Saint-Etienne, 24-25-26 octobre 2024)

Le musée de Grenoble peut s’enorgueillir d’être le premier musée en France à avoir accepté dans les années 1920 une donation de deux objets en provenance d’Afrique (un masque Toma en 1923 et un masque Dan en 1929) grâce à l’action de son conservateur Pierre-André Farcy, dit Andry-Farcy (1882-1950), et de ses liens d’amitié avec le jeune collectionneur et marchand d’art Paul Guillaume (1891-1934). Farcy expose ces deux objets conjointement à des œuvres de Louis Marcoussis, Jean Lurçat et Marie Vassilieff dès le début des années 1930. Ainsi la marque de Paul Guillaume et des artistes d’avant-garde qu’il défendait s’imposait pour la première fois sur les cimaises d’un musée français et consacrait une vision qu’au même moment les surréalistes pratiquaient activement sur les murs de leurs appartements privés. Près de cent ans après ce geste autant symbolique que prescripteur, l’université de Grenoble-Alpes et l’université de Saint-Etienne ont souhaité que s’organise dans les murs du musée de Grenoble un grand colloque international pour questionner l’objet de collection à l’aune des enjeux d’aujourd’hui.

Alors que 2024 marque le centenaire du Manifeste du surréalisme, ce colloque s’inscrit dans les différentes manifestations prévues cette année pour célébrer l’histoire du mouvement et faire un bilan sur son héritage. Collectionneurs passionnés et avisés, les surréalistes furent fascinés, à l’instar d’autres mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle, par les arts « non-occidentaux », qui prennent une place centrale dans l’imaginaire du mouvement et dans les collections de ses membres. Intégrer Dada à cette étude s’impose d’emblée, tant le surréalisme hérite du décentrement conceptuel déjà opéré par ce mouvement dont il est en partie issu, tout en l’infléchissant sensiblement. Dada, en effet, s’intéresse dès ses débuts aux arts « extra-européens ». Dès 1917 et la première exposition “Dada. Cubistes. Art nègre” à la Galerie Corray de Zurich, Dada dépasse un intérêt purement formel en proposant non plus seulement un contrepoint plastique à ses expérimentations formelles mais en se constituant comme “la négation du “sens” européen habituel de la vie”. Dans les créations plastiques, les pratiques performatives et la poésie bruitiste, l’altérité que les artistes dada perçoivent dans des formes artistiques venues d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord stimule la destruction des modèles occidentaux conventionnels et permet de repousser les limites expressives, qu’elles soient physiques ou spirituelles. Le surréalisme se développe sur un même terreau critique, dans lequel ces objets porteurs d’altérité sont des armes pour critiquer et contrer le rationalisme européen. Il systématisera les références à ces artefacts, ainsi que leur utilisation dans des manifestations collectives.

Si les traits les plus saillants de ce primitivisme dadaïste-surréaliste sont désormais bien connus, il semble important, à cent ans de la naissance du surréalisme, de le reconsidérer à partir des objets eux-mêmes, en étudiant leur circulation et le collectionnisme qu’ils purent susciter et nourrir. Plus en aval et plus tardivement, il est également essentiel de réfléchir à comment ce collectionnisme au sein du milieu dada-surréaliste a pu avoir une incidence sur le goût, le marché de l’art, et, au bout de la chaîne de reconnaissance, sur les musées. En effet, l’intérêt de ces mouvements pour les objets africains, océaniens et amérindiens est consubstantiel du formidable enrichissement, à l’heure de la consolidation des empires coloniaux, des collections ethnographiques occidentales. Tout comme ce développement marqua profondément l’imaginaire dada et surréaliste, ces poètes et artistes devinrent à leur tour acteurs du marché, prescripteurs de goût, et leur progressive inscription dans l’histoire de l’art et de la littérature fit et fait encore des objets de leurs collections des pièces de premier choix pour les musées ou les collectionneurs.

Ainsi ces artistes apparaissent-ils comme des acteurs du processus qui permit aux souhaits de Guillaume Apollinaire et Félix Fénéon de se matérialiser : débordant du musée ethnographique, l’art « extra-occidental », ces « arts lointains » sont entrés au Louvre et trouvent un espace dédié au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac.

À l’heure où les musées ethnographiques entreprennent une profonde et nécessaire mutation autour des questions de spoliation, de restitution et d’étude des provenances, ce colloque se propose de mettre en lumière ce mouvement de balancier. Il s’agit aussi, en prenant en compte les perspectives décoloniales et postcoloniales, de souligner avec une précision accrue les contradictions du primitivisme dada et surréaliste, qui promeut ces cultures, prône la fin de l’entreprise coloniale, tout en se nourrissant de ce même contexte. Dans ce cadre, les objets, admirés, commentés, achetés et échangés condensent en eux beaucoup de contradictions de ce discours avant-gardiste.

En réunissant des spécialistes internationaux de Dada, du surréalisme, de l’art océanien, africain et des Amériques, des conservateurs de musée, des universitaires et des anthropologues, ces deux journées aspirent à replacer ce primitivisme particulier dans le contexte colonial et marchand où il a émergé pour mieux en déterminer l’origine, mais aussi, sujet d’étude plus neuf, son incidence sur le milieu qui l’a favorisé.

Le sujet appelle à sortir des récits traditionnels sur l’histoire des collections, en privilégiant une approche pluridisciplinaire, nourrie des apports de l’histoire de l’art bien évidemment, mais aussi de l’histoire du patrimoine, de l’anthropologie et de l’histoire de l’anthropologie, des études post-coloniales et décoloniales. Un tel ancrage permettra d’embrasser dans toute sa complexité les enjeux historiques, artistiques, muséologiques et anthropologiques de l’histoire des collections, du marché de l’art, et du patrimoine passé et présent.

Lors des deux journées seront présentées des études de cas ou des recherches originales couvrant la période de la fin des années 1910 jusqu’à la fin des années 1960, traitant de collections européennes et nord-américaines.

 

Les axes thématiques ou les problématiques à privilégier seront les suivants :

 

  • Des études inédites portant sur des collections dada et surréalistes particulièrement significatives, qualitativement, quantitativement et historiquement, afin de déterminer leur histoire, leurs spécificités, leurs différences et leur éventuelle destinée muséale. Aux côtés de celles d’André Breton, Paul Eluard ou Tristan Tzara, peuvent également être abordées celles de Paul Chadourne, Victor Brauner ou Roberto Matta. Ces études monographiques pourront être complétées par l’étude du rôle de certaines figures médiatrices, comme celle de Jacques Viot.

 

  • Quel fut le rôle des dadaïstes et surréalistes au sein du marché de l’art ? Comment l’évolution du marché a-t-elle marqué celle de leur collection (rareté ou abondance de certaines pièces) ? Comment, de simples arpenteurs et acheteurs assidus, devinrent-ils formateurs d’un nouveau marché, et ainsi prescripteurs de goût ? Quels types de stratèges furent-ils en achetant et revendant des pièces, misant sur des plus-values ? Ce double rôle pourra être abordé en ce qui concerne les objets venus d’Amérique du Nord et du Sud, de Mésoamérique, d’Océanie et d’Afrique.

 

  • De la même manière, en quoi les musées ethnographiques (comme le Musée d’ethnographie du Trocadéro) furent-ils un lieu de formation du goût dada et surréaliste en matière d’art extra-européen, qu’ils leur fournissent des connaissances ou au contraire qu’ils fassent figure de repoussoir dans leur appréhension des objets ? Cette étude est à mener en parallèle de celle, mieux connue, de l’influence des collections privées, au premier chef celles de Guillaume Apollinaire ou d’André Level, sur les collections surréalistes à venir.

 

  • Il importe, bien évidemment, de situer ce collectionnisme dans le contexte colonial dont il dépend et bénéficie directement. Quels réseaux coloniaux permettaient l’arrivée de ces objets jusqu’aux artistes ? Quelles contradictions cela soulève-t-il au regard de l’anticolonialisme des surréalistes ?

 

  • A quelles connaissances ethnographiques ces artistes et poètes avaient-ils accès, et comment cela put-il influer sur leur collectionnisme et leur rapport à l’art extra-européen ? En quoi furent-ils influencés par la littérature ethnographique de leur temps (Marcel Mauss, Franz Boas, plus tard Claude Lévi-Strauss) ainsi que des ouvrages d’approche plus artistique (Carl Einstein, Album Paul Guillaume et Guillaume Apollinaire, livres d’Henri Clouzot et André Level, ou Primitive Negro Sculpture, de Paul Guillaume et Thomas Munro) ? Que révèle, au regard de ces sources, la partition faite par André Breton au début des années 1930 entre Afrique et Océanie ?

 

  • Cet antagonisme du musée et de la collection privée soulève inévitablement la question de la présentation et de l’accrochage de ces pièces au sein des collections privées des dadaïstes et surréalistes, de leur intégration à un discours plus général sur l’expression humaine, voire d’une véritable épistémè. Qu’est-ce que le regard dada et surréaliste fait à ces objets une fois intégrés dans l’espace intime du collectionneur ?

 

  • Quelle fut et quelle est encore, enfin, l’incidence de ces collections sur les collections muséales : peut-on comme Gérard Toffin affirmer que la vision surréaliste des objets est à l’origine de l’approche plus artistique qu’ethnographique du musée du Quai Branly ? Et si Apollinaire appelait de ses vœux à une partition entre musée ethnographique et musée d’art (“Sur les musées”), doit-on conclure que l’incidence de la vision surréaliste sur le musée serait uniquement de l’ordre d’une approche poético-esthétisante ? L’étude des acquisitions du musée (pièces venant des anciennes collections de Breton, Lebel, Tzara) incite à voir l’héritage surréaliste principalement dans l’inflation symbolique que leur nom apporte aux pièces. En adoptant une perspective inversée, la muséalisation de ces collections a-t-elle eu comme conséquence une vraie mise en valeur de ces ensembles, ou plutôt une dénaturalisation des collections d’origine, où les objets extra-occidentaux se trouvaient en dialogue avec d’autres objets et formes d’art ?

 

  • La recherche de la provenance de ces objets étant au cœur des missions actuelles des musées et du débat scientifique et politique international, quelle est la posture des musées face aux objets provenant de collections historiques et prestigieuses comme celles des dadaïstes et des surréalistes ? Quelles sont les méthodologies et les approches pour retracer la provenance de ces objets avant leur arrivée dans ces collections ? En ce sens, est-il possible de retracer les réseaux d’acquisition de ces collectionneurs ?

 

Les communications seront de 30 minutes par participant.

 

Comité organisateur :

 Alice Ensabella, Université Grenoble-Alpes

Fabrice Flahutez, Université Jean Monnet Saint-Etienne, Institut universitaire de France (IUF)

Anne Foucault, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne

 

Comité scientifique :

 Sophie Bernard, Musée de Grenoble

Maia Nuku, Metropolitan Museum, New York

Marie Mauzé, CNRS, Collège de France

Magali Mélandri, Musée du quai Branly – Jacques Chirac

Philippe Peltier, Musée du quai Branly – Jacques Chirac

Joëlle Vaissière, Musée de Grenoble

Aurélie Verdier, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne

Laurick Zerbini, Université Lumière Lyon II

 

Date :  24-25-26 Octobre 2024

Auditorium, Musée de Grenoble

5 Place de Lavalette, 38000 Grenoble

Les abstracts de 500 mots + une courte bio-blio seront à envoyer à :

SurrealismeGrenoble2024@outlook.com

Avant le 1er mai 2024

Les participants retenus seront avertis début juillet 2024

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